Par Eleonora Gosman
Odebrecht est la principale entreprise de construction du Brésil ainsi que la principale intervenante dans le scandale du Lava Jato («lavage express»). Marcelo Odebrecht a récemment déclaré à la justice que l’actuel président avait reçu 4,5 millions de dollars US en guise de pots-de-vin.
La marge de manœuvre du gouvernement de Michel Temer s’est trouvée brusquement réduite le mercredi 14 décembre suite à la publication [le samedi 10 décembre] des déclarations de Marcelo Odebrecht, ex-PDG repenti de l’entreprise de construction qui porte son nom. L’ex-dirigeant de l’entreprise, qui était détenu à Curitiba depuis juin 2015, a confirmé l’information donnée par Claudio Melo, ex-directeur de son entreprise, concernant le versement d’un pot-de-vin de 4,5 millions de dollars au Parti du mouvement démocratique du Brésil (PMDB). Il a également confirmé que la transaction avait été effectuée directement, lors d’un dîner, par le président Temer, qui était à cette époque – au début de 2014 – le vice-président de Dilma Rousseff.
Arrière-petit-fils du fondateur du groupe, Marcelo a passé un accord avec la justice pour une «délation récompensée» [qualifiée aujourd’hui de «la délation de la fin du monde»]. Dès lundi, il a commencé à décrire comment fonctionnait le schéma de corruption dans l’entreprise Petrobras et quelles étaient les personnes qui en bénéficiaient. Son témoignage se poursuivra jusqu’à la fin de la semaine. D’après l’ex-PDG, il se trouvait au Palais de Jaburu à Brasilia en mai 2014 [soit quelques mois avant la campagne pour l’élection présidentielle], lors d’un dîner auquel l’avait convié l’actuel chef de l’Etat. Il était accompagné d’Eliseu Padilha (PMDB), aujourd’hui ministre en chef de la Casa Civil [donc le bras droit du président Temer, en tant que «chef de cabinet»]. Entre un plat et un autre, Temer et Odebrecht ont convenu que l’entreprise de construction devait «rapporter»10 millions de reais aux dirigeants du parti. Au taux de change de l’époque, cela faisait 4,5 millions de dollars. Ces sommes devaient sortir non pas des coffres de la compagnie, mais de celui de Petrobras, l’entreprise pétrolière publique. C’est le produit des lourdes surfacturations des travaux pour l’entreprise étatique qui allait atterrir dans les coffres de l’entreprise Odebrecht. Le rôle de Padilha, l’actuel ministre chef de la Casa Civil, a consisté à indiquer à Odebrecht qu’il devait verser une partie de ce pot-de-vin au cabinet d’un ami de Temer, situé à São Paulo. L’ami en question était José Yunes, qui devait assumer la position de conseiller spécial du président. Il a dû démissionner en catastrophe le mercredi 14 décembre, suite aux accusations qui pèsent contre lui. [Il l’a fait dans une lettre à Michel Temer, rendue publique le 14 décembre, dans laquelle il décline l’invitation de Temer. Il termine sa missive adressée «à un ami de plus de 50 ans» – après avoir dénoncé les accusations «ignominieuse» faites contre «un père de famille» – par cette déclaration d’admiration: «Vous avez en moi un ami loyal qui vous a accompagné pendant des décennies et que j’admire pour vos qualités incomparables, parmi lesquelles l’équilibre, la capacité d’harmoniser les contraires, la sagesse, le respect pour les autres, la détermination de faire des grandes réformes que le pays exige et la volonté de fer de pacifier la Nation.»]
Les personnes mises en cause par les confessions de Marcelo Odebrecht ont évidemment nié catégoriquement avoir commis les délits dévoilés par les délateurs. Ce qui est certain, c’est que la situation semble s’aggraver d’heure en heure. Or, ce même mercredi 14 décembre, un projet de loi a été proposé à la Chambre de députés. Il s’agit d’un amendement de la Constitution permettant l’élection directe du président du pays en cas de démission ou d’impeachment (destitution) jusqu’à six mois avant la fin du mandat. Selon la norme constitutionnelle actuelle, dès le 1er janvier 2017, en cas de décès ou de démission, le titulaire de l’exécutif serait élu indirectement par le Congrès pour les deux dernières années du mandat gouvernemental [1].
La Commission de Constitution et de Justice de la Chambre basse n’a pas accepté d’incorporer cette mini-réforme constitutionnelle. Celle-ci a été présentée par le député Miro Teixeira, du parti Red Sustentable (Réseau soutenable), dirigé par Marina Silva [ex-ministre de l’Environnement du premier gouvernement Lula], et soutenue par le PT (Parti des travailleurs), le PdT (Parti démocratique travailliste), le PSOL (Parti du socialisme et de la liberté) et le PC (Parti communiste). Mais elle a également eu des soutiens venant des secteurs de l’officialisme, dont les députés du DEM (Democratas, droite affirmée), du Parti socialiste du Brésil et du PSDB (Parti de la sociale-démocratie brésilienne)
La hiérarchie du PMDB, le parti du gouvernement était furieuse. Un de ses députés, Carlos Marum, a menacé de s’en prendre à l’opposition. En fait, la coupure entre les politiques ne se fait plus entre «opposants» et «officialistes». Les rangs de ces derniers se sont désagrégés et beaucoup d’entre eux réclament aujourd’hui un geste de «magnanimité présidentiell»e qui impliquerait la démission de Michel Temer. C’est ainsi que l’a présenté mardi passé le sénateur Ronaldo Caiado (Democratas) lors de la session de débat sur l’approbation de la loi sur le gel des dépenses publiques durant 20 ans. Caiado s’est montré un véritable taliban dans le processus d’impeachment contre l’ex-cheffe de l’Etat Dilma Rousseff, qui a été définitivement éloignée de sa charge le 31 août dernier.
Caiado avait de bonnes raisons de demander la démission de Temer: d’après le dernier sondage de Datafolha, 63% des Brésiliens sont favorables à ce que Temer démissionne avant la fin de l’année pour rendre possible la mise sur pied d’élections directes. L’évaluation du gouvernement actuel est de «très mauvais» pour 51% des personnes sondées. Dans ce contexte, des secteurs de ces mêmes partis qui, initialement, s’étaient alliés à Temer et à son groupe, dont le DEM, le PSDB et le socialisme de centre droit (le PSB), commencent à réclamer à leurs dirigeants un abandon immédiat des positions gouvernementales. (Article publié dans le quotidien argentin Clarin, le 14 décembre 2016; traduction A l’Encontre)
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[1] Dans le quotidien Le Monde, en date du 15 décembre, Claire Gatinois écrivait: « Offrir le choix du prochain chef d’Etat brésilien au Congrès, dont plus d’un tiers est mouillé dans des fraudes en tout genre, n’a rien d’enthousiasmant. «Ce serait le “coup d’Etat du coup d’Etat”, estime le député Jean Wyllys du Parti socialisme et liberté (PSOL, gauche). «Mais le Brésil ne peut pas être gouverné par un chef de gang!», ajoute-t-il. La pression monte ainsi pour changer la Constitution afin de convoquer des élections anticipées quoi qu’il arrive.» Le terme chef de gang est adéquat: «Dans le tableau Excel du «département pots-de-vin» d’Odebrecht, d’un nom de code plus ou moins flatteur: «Ferrari», «Bouche molle», «Kimono», «Las Vegas», «Noix de cajou» ou «le Crabe», crustacé désignant Eduardo Cunha, ancien président (PMDB) de la Chambre des députés, emprisonné pour corruption.» (Rédaction A l’Encontre)
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