Article publié par le MENA Solidarity Network
[Analyse et déclaration de militant·e·s partie prenante de la révolution de 2018.] Le peuple soudanais et les forces révolutionnaires se trouvent à un moment critique, pris dans les griffes meurtrières d’une guerre qui a débuté le 15 avril 2023. Ce conflit impitoyable oppose deux factions de la classe dominante: les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général autoproclamé Abdel Fattah al-Burhan, et les Forces de soutien rapide (FSR), commandées par le général Mohamed Hamdan Daglo, plus connu sous le nom de Hemetti.
A première vue, cette guerre peut ressembler à une bataille entre deux factions militaires rivales, mais elle est bien plus profonde: c’est une guerre entre deux ensembles d’oppresseurs contre les opprimé·e·s, un affrontement entre deux forces contre-révolutionnaires et les aspirations révolutionnaires du peuple soudanais. Les racines de cette guerre ne se trouvent pas dans des rivalités personnelles, mais dans la contradiction croissante entre la révolution de 2018, qui visait à renverser des décennies de dictature [d’Omar el-Bechir], et les forces contre-révolutionnaires qui ont détourné l’appareil d’Etat, soutenues par des puissances extérieures pour écraser cette même révolution.
Pour les généraux, la guerre était un choix, mais pour le peuple soudanais, elle a été un désastre et une souffrance permanents. La guerre a déplacé plus de 11 millions de personnes et, en mai 2024, l’envoyé spécial des Etats-Unis pour le Soudan, Tom Perriello, a fait état d’estimations suggérant que jusqu’à 150 000 personnes avaient été tuées. La guerre a également dévasté les infrastructures déjà fragiles du pays et paralysé ses moyens de production. La famine menace désormais l’ensemble du Soudan, et de nombreux rapports font état de personnes mourant de faim. Le directeur du Programme alimentaire mondial (PAM) a déclaré: «La famine évitable n’est plus une menace, c’est une réalité.»
L’Union des médecins soudanais – branche britannique (SDU-UK) – a déclaré à MENA Solidarité: «15 millions de Soudanais n’ont pas accès aux soins de santé, 80% des établissements de santé ne fonctionnant pas en raison des destructions et de l’occupation militaire. Plus de 11 millions d’entre eux ont des difficultés à accéder à des soins vitaux et plus de 70 agents de santé ont été tués. Plus de 60 centres de santé ont été attaqués et 730 000 enfants souffrent de malnutrition sévère. Un enfant meurt toutes les deux heures dans les camps de déplacés, et un adulte meurt chaque jour pour 10 000 citoyens.»
De même, le syndicat des enseignants soudanais a informé MENA Solidarité que: «La guerre au Soudan a eu un impact dévastateur sur le système éducatif du pays. Plus de 6000 écoles ont été transformées en abris pour les personnes déplacées à l’intérieur du pays. En outre, des écoles ont été utilisées comme bases militaires, ont été la cible d’attaques et ont même servi de lieux de sépulture improvisés lors de combats intenses, en particulier à Khartoum. Plus de 350 000 enseignants n’ont pas été payés depuis 16 mois et les fournitures scolaires ont été détruites ou pillées.»
Malgré ces souffrances inimaginables, les seigneurs de la guerre des deux camps persistent dans leurs illusions de «victoire décisive». Ils gagnent des batailles mais perdent des guerres. Lorsqu’ils perçoivent un avantage, ils poursuivent leur action; lorsqu’ils subissent un revers, ils redoublent d’efforts pour se venger. Aucune des deux factions ne reconnaît de limites parce qu’elles s’investissent non pas dans l’intérêt du peuple, mais dans la consolidation de leur propre pouvoir et de leur propre richesse.
Il n’y a pas si longtemps, et précisément avant que les premiers coups de feu ne soient tirés en avril 2023, les deux parties étaient partenaires et alliées dans l’assassinat de révolutionnaires et de citoyens et citoyennes ordinaires qui exigeaient, et continuent d’exiger, la dissolution de la milice du FSR.
Mais comment l’armée peut-elle dissoudre une milice qu’elle a créée et qui fait partie d’elle en vertu de la constitution soudanaise?
Les Forces de soutien rapide (FSR)
Ce que l’on appelle aujourd’hui les Forces de soutien rapide (FSR) est issu des milices Janjawids, tristement créées au début des années 2000 par le dictateur déchu du Soudan, Omar el-Bechir, et soutenues par Abdel Fattah al-Burhan (membre du Comité de sécurité d’al-Bechir). Cette force paramilitaire brutale a été déclenchée pour écraser les insurrections armées au Darfour, commettant des atrocités contre la population de la région, notamment des viols, des massacres et d’autres crimes de guerre. Le rôle des Janjawids dans la terreur au Darfour a ouvert la voie à Hemetti, qui a gravi les échelons du pouvoir soudanais en devenant l’un des principaux responsables de la violence et de la répression au sein du régime d’Al-Bechir et des Frères musulmans.
Sa milice a été utilisée pour réprimer les manifestations et la dissidence à Khartoum, ainsi que les mercenaires qui ont combattu pour des régimes étrangers au Yémen. En échange, les FSR ont profité de la guerre, gagnant des devises fortes en participant au conflit au Yémen, tout en servant d’outil à l’Etat soudanais pour obtenir un soutien financier international. Sous couvert d’être des «gardes-frontières», les FSR sont devenues un élément essentiel de la stratégie soudanaise de «gestion des migrations», obtenant des millions de livres sterling des Etats de l’Union européenne et de la Grande-Bretagne dans le cadre du «processus de Khartoum» [officiellement consacré à «la prévention du trafic de migrant·e·s].
En 2017, alors que le rôle des FSR dans l’Etat s’enracinait de plus en plus, El-Bechir a publié un décret donnant une nouvelle image à la milice, lui conférant officiellement le statut de force légitime de l’Etat. Mais cette «légitimité» n’était qu’un écran de fumée pour protéger un gang criminel de toute enquête, lui permettant d’opérer en toute impunité et de poursuivre ses activités criminelles sans contrôle.
La richesse accumulée par Hemetti grâce à son passé criminel et dans les FSR est stupéfiante. S’appuyant sur les crimes de guerre et l’exploitation, Hemetti a diversifié sa fortune dans l’extraction de l’or, les chaînes hôtelières, la banque (y compris la propriété de l’Al Khaleej Bank – banque privée ayant sa base au Bahrein) et les entreprises technologiques. Il a également profité de la location de mercenaires aux Etats du Golfe pour mener leurs guerres au Yémen et en Libye, transformant les vies soudanaises en marchandises pour les conflits impérialistes. Sa richesse est telle qu’en 2019 Hemetti a renfloué la Banque centrale du Soudan lorsque l’Etat était menacé d’effondrement financier – une illustration frappante de la façon dont les ressources du Soudan ont été concentrées dans les mains de quelques-uns, tandis que les masses populaires endurent la pauvreté et la répression.
Les FSR ne sont pas simplement une milice rebelle, c’est un produit de l’Etat contre-révolutionnaire soudanais, profondément lié aux intérêts des puissances impérialistes et des élites régionales, qui réprime violemment toute tentative de changement révolutionnaire tout en profitant de la souffrance et de l’exploitation des masses.
Les Forces armées soudanaises (FAS)
Les Forces armées soudanaises (FAS) sont la mère de toutes les milices au Soudan, profondément enracinées dans des décennies d’exploitation, de crimes de guerre et de violence contre-révolutionnaire. Depuis plus de 30 ans, les Forces armées soudanaises constituent un pilier central de l’appareil d’Etat oppressif, au service non pas du peuple soudanais mais des intérêts de l’élite dirigeante. Dominées par des généraux fidèles ou membres du régime des Frères musulmans, les FAS ont travaillé main dans la main avec d’autres milices, telles que Al-Baraa Ibn Malik et Al-Zubair Ibn Al-Awam, pour protéger la mainmise de la confrérie sur le pouvoir et faire avancer son programme réactionnaire.
Les crimes des Forces armées soudanaises sont d’une ampleur considérable et couvrent plusieurs régions et durant des décennies. Des atrocités commises au Sud-Soudan, dans les monts Nouba, dans les Etats du Nil Bleu et du Kordofan méridional, aux génocides perpétrés au Darfour, les Forces armées soudanaises ont laissé une traînée de sang et de destruction à travers le Soudan. Ces crimes ne sont pas fortuits: ils sont le résultat d’une institution militaire construite pour supprimer toute remise en cause du statu quo, en donnant la priorité à la survie de l’élite dirigeante plutôt qu’au bien-être du peuple soudanais.
Sur le plan économique, les Forces armées soudanaises fonctionnent comme un Etat fantôme, monopolisant les ressources et les richesses tout en maintenant les masses dans la pauvreté. Selon l’ancien Premier ministre soudanais, dans une interview télévisée en 2020, les Forces armées soudanaises contrôlent 82% des ressources budgétaires du pays, et ce, en dehors du système financier officiel. Son empire financier tentaculaire comprend le contrôle de la plus grande banque du Soudan, la Banque nationale d’Omdurman (86% des capitaux), ainsi que des monopoles dans l’agriculture, l’exploitation minière, la construction, l’industrie manufacturière et l’industrie militaire. Cette mainmise économique permet aux Forces armées soudanaises non seulement de maintenir leur puissance militaire, mais aussi de consolider leur position en tant que force dominante dans le paysage politique et social du Soudan.
Les monopoles économiques des FAS et des FSR sont des obstacles directs et délibérés à toute possibilité de gouvernance démocratique.
Ces institutions ne sont pas seulement des outils de répression, mais des instruments de pillage systémique, renforçant un cycle de violence et d’exploitation qui écrase les aspirations révolutionnaires.
Depuis l’éclatement de la révolution en 2018, les Forces armées soudanaises et les FSR ont servi d’exécutants brutaux de la contre-révolution, commettant des meurtres de masse, des tortures et des viols dans le but d’écraser les aspirations du peuple soudanais.
L’un des chapitres les plus sombres de l’histoire moderne du Soudan s’est déroulé le 3 juin 2019, lorsque les deux milices – FAS et FSR – ont orchestré des massacres lors de 14 sit-in pacifiques à travers le Soudan. Des centaines de révolutionnaires ont été tué·e·s, violé·e·s et brûlé·e·s vifs dans le but d’écraser la révolution et de terroriser les masses pour qu’elles se soumettent. Même après le renversement du gouvernement civil en octobre 2021, leurs crimes se sont poursuivis, démontrant que leur allégeance se limite à leur programme contre-révolutionnaire commun. Aujourd’hui encore, les FAS et les FSR poursuivent leurs campagnes de répression brutales et 14 des 18 Etats du Soudan sont plongés dans des zones de guerre active. Le nombre de morts et l’ampleur des destructions, en particulier à Khartoum, au Darfour et dans le Nil Bleu, sont incalculables.
Les besoins des seigneurs de la guerre de grossir leurs rangs ont conduit à la libération massive de plus de 100 000 prisonniers, y compris des personnalités notoires recherchées par les Nations unies telles qu’Omar el-Bechir. Ces libérations ont déstabilisé davantage le Soudan, en intensifiant la violence et en créant un chaos que les FAS et les FSR exploitent pour asseoir leur pouvoir.
La guerre a introduit de nouvelles formes d’oppression, car la nourriture, les médicaments, les communications et même le corps des femmes sont utilisés comme des armes contre le peuple soudanais. Priver les travailleurs, les retraités et les citoyens ordinaires des produits de première nécessité est devenu une stratégie calculée pour écraser la résistance. Les enlèvements, les viols et les meurtres sont des outils de terreur quotidiens utilisés contre ceux qui osent s’opposer à la guerre. Même les citoyens ordinaires qui fournissent de la nourriture ou de l’aide médicale à d’autres sont pris pour cible, ce qui démontre le mépris absolu pour la vie humaine des FAS et des FSR. Ce ciblage systématique des civils ne représente pas seulement une stratégie militaire, mais une guerre délibérée contre le tissu même de la société.
Alors que la guerre s’éternise, les deux milices continuent de créer et d’armer de nouvelles milices, fracturant davantage la cohésion sociale du Soudan et transformant le conflit en une guerre civile plus large, menaçant ainsi la paix régionale et internationale. Rien que dans les Etats de l’Est, il existe aujourd’hui au moins 22 milices, en plus des milices des FAS et des FSR. Cependant, une milice ne peut qu’engendrer d’autres milices, perpétuant ainsi la violence et la division au lieu de répondre aux demandes de liberté, de paix et de justice de la population.
Khalid M. Taha, journaliste spécialisé dans les affaires de la Corne de l’Afrique et porte-parole de l’Alliance for Demand-Based Campaigns (TAM), a rendu compte de la situation alarmante au Soudan oriental, mettant en garde contre une explosion de violence imminente qui pourrait fragmenter davantage le pays. Ces divisions ne sont pas des accidents, mais des stratégies délibérées des élites dirigeantes pour maintenir leur emprise sur le pouvoir, en utilisant le sang des Soudanais ordinaires comme pouvoir collatéral.
Le rôle des puissances étrangères dans la guerre du Soudan
Les puissances impérialistes et régionales – notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne, Israël, les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Egypte et l’Union africaine – ont joué un rôle décisif dans l’élaboration de la tragédie qui se déroule au Soudan. Ces puissances ont fait pression sur les Forces civiles pour la liberté et le changement (FFC) – une coalition de partis politiques et de groupes armés – pour qu’elles signent la Déclaration constitutionnelle de 2019, c’est-à-dire un accord de partage du pouvoir avec l’armée, malgré l’opposition généralisée des forces révolutionnaires. Cet accord a conduit à la formation du Conseil transitoire de souveraineté, avec Al-Burhan à sa tête. Peu après, Al-Burhan a nommé son associé dans le crime, Hemetti, comme son adjoint, en violation flagrante de la Déclaration constitutionnelle.
Le gouvernement de transition créé en vertu de cet accord était un piège – une trêve avec les restes du régime des Frères musulmans intégrés dans l’armée. Il a été conçu pour donner aux Frères musulmans le temps de se regrouper et de se réorganiser tout en réhabilitant et en légitimant les mêmes institutions militaires que le peuple soudanais a cherché à démanteler lors de la révolution de 2018.
En octobre 2021, ces mêmes militaires ont renversé les forces civiles, emprisonnant leurs ministres ainsi que des dirigeants et des activistes révolutionnaires. Sans se laisser impressionner, ces puissances étrangères ont renforcé leur stratégie, poussant le FFC à un nouveau compromis avec les putschistes. En insistant sur d’autres «règlements négociés» qui préservent les structures d’oppression, ces acteurs extérieurs ont sapé la révolution et enhardi la contre-révolution.
Le gouvernement britannique, par exemple, a fourni une couverture diplomatique au régime du coup d’Etat en accueillant le général Al-Burhan aux funérailles de la reine, ce qui a suscité des protestations de la part des communautés soudanaises du Royaume-Uni. Pendant ce temps, Hemetti, le chef des FSR, s’est vu offrir une tribune lors de la COP27 en Egypte, légitimant ainsi son rôle malgré ses crimes bien documentés. En juin 2024, le Guardian a rapporté que «des fonctionnaires du gouvernement britannique ont tenté d’étouffer les critiques contre les Emirats arabes unis et leur rôle présumé dans la fourniture d’armes à une milice notoire menant une campagne de nettoyage ethnique au Soudan, ont déclaré des sources au Guardian».
L’implication d’Israël a également été profondément empreinte de complicité. Quelques semaines avant le coup d’Etat d’octobre 2021, des responsables israéliens de la sécurité se sont rendus au Soudan et ont rencontré les dirigeants du coup d’Etat, marquant ainsi leur approbation tacite. En février 2023, deux mois seulement avant le déclenchement de la guerre, le ministre israélien des Affaires étrangères Eli Cohen et Al-Burhan ont conclu un «traité de paix» qui prévoyait une coopération sur les questions militaires et de sécurité. Cet accord a non seulement renforcé la junte militaire, mais a également donné la priorité aux intérêts régionaux d’Israël sur la vie et les aspirations du peuple soudanais. Il souligne également la manière dont la «paix» est cyniquement utilisée pour masquer les ambitions impérialistes et consolider les alliances avec les dirigeants militaires soudanais.
La Turquie, sous son régime aligné sur les Frères musulmans, continue d’abriter des personnalités soudanaises des Frères musulmans, leur permettant de canaliser des milliards de dollars volés au peuple soudanais vers des investissements turcs. Pendant ce temps, l’Egypte, l’Arabie saoudite, l’Iran, la Russie et les Emirats arabes unis arment et financent directement les FAS ou les FSR, selon leurs intérêts géopolitiques, perpétuant ainsi le cycle de la violence.
Quatre navires de guerre érythréens sont actuellement amarrés au port de Sawakin, dans le nord-est du Soudan, sur la côte ouest de la mer Rouge.
Les deux milices, les FAS et la FSR, servent de mandataires dans une lutte de pouvoir régionale plus large, les acteurs étrangers exploitant la position stratégique du Soudan, son potentiel agricole, ses richesses minérales (notamment l’or et le pétrole) et son contrôle sur des routes maritimes essentielles. Pour les puissances mondiales, les souffrances du Soudan sont l’occasion d’étendre leur influence et d’extraire des ressources, sans s’encombrer d’un contrôle démocratique ou d’une obligation de rendre des comptes.
Les puissances internationales et régionales partagent un objectif commun: empêcher le succès de la révolution soudanaise. Une révolution victorieuse remettrait en question l’ordre néolibéral et impérialiste qui prospère sur l’exploitation et la soumission. Elle inspirerait les masses laborieuses et les peuples opprimés du monde entier et constituerait une menace sérieuse pour les intérêts des Etats impérialistes et des entreprises qui les soutiennent. Ces puissances ne se soucient pas de savoir s’il s’agit d’une dictature ou d’un gouvernement fantoche, l’objectif est le même: garder le contrôle des richesses et des atouts stratégiques du Soudan sans interférence des masses soudanaises et sans responsabilité démocratique, et supprimer toute contestation révolutionnaire de l’impérialisme et du capitalisme dans la région.
Human Rights Watch a publié un rapport le 9 septembre 2024, analysant l’origine et la distribution certaines armes, équipements et acquisitions récentes des deux milices.
La Secrétaire générale adjointe Rosemary A. DiCarlo a confirmé le flux d’armes vers le Soudan lors de son exposé au Conseil de sécurité sur le Soudan et le Sud-Soudan le 12 novembre 2024: «Alors que la fin de la saison des pluies approche, les parties continuent d’intensifier leurs opérations militaires, de recruter de nouveaux combattants et d’intensifier leurs attaques. Cela est possible grâce à un soutien extérieur considérable, y compris un flux régulier d’armes dans le pays. En d’autres termes, certains prétendus alliés des parties permettent le massacre au Soudan. C’est inadmissible, c’est illégal et cela doit cesser.»
La question doit être posée: les factions belligérantes se battraient-elles encore aujourd’hui si elles ne comptaient que sur les armes dont elles disposaient au début de la guerre, en avril 2023? Des millions de personnes auraient-elles été déplacées ou des dizaines de milliers tuées? La réponse est NON. La destruction en cours est soutenue par un approvisionnement sans fin en armes de la part des puissances régionales et internationales, qui profitent de l’effusion de sang tandis que les civils soudanais en paient le prix.
La mort et le déplacement des «simples Soudanais» génèrent des richesses pour les marchands d’armes impérialistes, les sociétés multinationales et les gouvernements complices. Les richesses naturelles du Soudan – son or, son pétrole et ses terres fertiles – sont devenues une malédiction, exploitée par les puissances étrangères pour s’enrichir aux dépens de la population.
Faut-il soutenir les FAS ou les FSR?
La guerre entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR) a non seulement aggravé les divisions au sein de la société soudanaise, mais a également fragmenté les forces révolutionnaires, laissant beaucoup de gens perplexes quant au camp à soutenir. Les FAS, qui utilisent l’appareil de propagande des Frères musulmans, ont réussi à se positionner comme la «seule option» ou le «moindre mal» aux yeux de beaucoup. Elle a ainsi réussi à s’assurer un soutien important, notamment de la part de divers Soudanais et non-Soudanais à l’étranger et d’activistes dans le monde entier.
Les partisans des FAS soutiennent souvent que sa victoire est nécessaire pour préserver l’unité du Soudan et empêcher les FSR de déchirer le pays. D’autres soutiennent que, malgré sa corruption, les FAS restent une «institution nationale» capable de se réformer une fois les FSR vaincues. Ces arguments sont cependant profondément erronés d’un point de vue révolutionnaire.
Il est essentiel de répondre à ces arguments d’un point de vue révolutionnaire se situant dans le mouvement de 2018, ancré dans le contexte historique et analytique décrit ci-dessus.
La réalité est que les armées – qu’il s’agisse des FAS ou des FSR – ne sont pas, par nature, des institutions neutres; ce sont des instruments de la classe dirigeante, conçus pour protéger les intérêts des dominants, maintenir l’exploitation et réprimer les mouvements révolutionnaires. Ils défendent le statu quo et veillent à ce que les richesses du pays restent entre les mains de quelques-uns. Dans les situations révolutionnaires, la transformation de l’armée d’un outil d’oppression en une force de libération devient une tâche essentielle. Cette transformation exige le démantèlement des structures militaires actuelles et leur remplacement par de nouvelles organisations centrées sur le peuple et reflétant la volonté démocratique et collective des masses.
Les deux milices sont construites sur les richesses volées au peuple soudanais. Les généraux des deux forces se sont battus bec et ongles pour protéger leurs richesses, refusant les demandes du gouvernement civil de transition (2019-2021) de déclarer leurs biens et de les transférer au ministère des Finances. Ces généraux, qui ont longtemps profité de l’exploitation des ressources du Soudan, sont responsables d’innombrables crimes dans tout le pays, qu’il s’agisse de massacres ou de la création de milices telles que les FSR. Les Forces armées soudanaises, sous la direction des Frères musulmans, se sont rendues complices de ces crimes, appliquant un système d’inégalité et d’oppression qui n’a profité qu’aux élites.
Les partisans des FAS ne reconnaissent pas les immenses richesses contrôlées par l’armée, qui appartiennent légitimement au peuple. Ces généraux, gardiens du monopole économique du Soudan, sont déterminés à protéger leurs richesses à tout prix. Leurs crimes, passés et présents, ne sont pas des incidents isolés; ils font partie d’un système de répression et d’exploitation systémique. Ils sont les architectes de milices comme les FSR, responsables des mêmes crimes et violences que ceux qui ont frappé le Soudan.
Les deux milices – les FAS et les FSR – se battent depuis avril 2023, mais aucune n’a remporté de victoire. Toutes deux sont soutenues par des puissances étrangères, et pourtant la guerre fait rage, alimentée par des intérêts extérieurs qui tirent profit de la destruction du Soudan. La vérité est que, tout au long de l’histoire du Soudan, l’armée a toujours été le protecteur de la classe dominante et a agi contre la volonté du peuple qui aspire à un gouvernement démocratique.
Si les Forces armées soudanaises l’emportent, à quoi pouvons-nous nous attendre? La justice sera-t-elle rendue pour les crimes qu’elles ont commis? Y aura-t-il une distribution équitable des richesses du Soudan à tous ses habitants? La réponse est claire: la victoire de l’armée ne ferait qu’aggraver les divisions de classe – sur le plan économique, social et culturel – et le peuple devrait se soulever dans une autre révolution sociale à l’avenir. Dans ce futur, l’armée et ses partisans seraient encore plus forts, ayant appris des révolutions précédentes comme celle de 2018. Ils s’assureraient qu’aucune force révolutionnaire ne puisse se soulever à nouveau, et le Soudan serait gouverné par une dictature comme on n’en a jamais vu auparavant.
Il est également important d’aborder la position de certains groupes en Europe et aux Etats-Unis, qui se concentrent sur la condamnation des FSR et de ses soutiens, comme les Emirats arabes unis, tout en excusant ou en minimisant les crimes des Forces armées soudanaises. Il s’agit là d’une autre forme de soutien aux Forces armées soudanaises. Oui, il est important de dénoncer les crimes des FSR et des Emirats arabes unis, mais il est tout aussi crucial de dénoncer les crimes des Forces armées soudanaises et de leurs soutiens internationaux. Les deux camps sont soutenus par des puissances impérialistes, et sans cette intervention étrangère, la guerre n’aurait pas continué jusqu’à ce point.
En ne condamnant qu’un seul camp, nous risquons de renforcer l’idée que les Forces armées soudanaises sont la «seule option» ou le «moindre mal», ce qui est totalement faux. Si les Emirats arabes unis cessaient de soutenir les FSR, les FAS ne feraient que gagner en influence, ce qui va à l’encontre de nos principes révolutionnaires. Notre tâche consiste à dénoncer les crimes des deux factions de manière égale et à reconnaître que FAS et les FSR sont les deux faces d’une même pièce oppressive.
Les FAS et les FSR sont tous deux des ennemis de la révolution populaire. Ce sont des créations de la classe dirigeante, des produits d’un système fondé sur l’exploitation et la répression. Les deux camps sont également responsables des crimes commis contre le peuple soudanais et constituent des obstacles à la révolution. Par conséquent, les deux doivent tomber ensemble.
Pourquoi les citoyens ordinaires devraient-ils se ranger du côté d’un oppresseur plutôt que d’un autre? Pourquoi soutenir un criminel plutôt qu’un autre? Ni les SAF ni les FSR ne représentent les intérêts, les aspirations ou l’avenir du peuple soudanais. Le choix n’est pas entre une faction militaire ou une autre; le choix est entre la poursuite du cycle de l’inégalité, de la violence et de l’exploitation ou la lutte pour une nouvelle société basée sur des principes révolutionnaires.
Il ne s’agit pas de soutenir un camp plutôt qu’un autre, mais d’adhérer à des principes révolutionnaires. La question est de savoir si nous laisserons la classe dirigeante et ses forces militaires dicter l’avenir du Soudan ou si nous lutterons pour un avenir fondé sur les intérêts démocratiques et collectifs du peuple. La réponse doit être claire: nous rejetons à la fois les FAS et les FSR et nous luttons pour un Soudan révolutionnaire.
Avons-nous une alternative?
La révolution est le choix du peuple – c’est l’alternative
Le peuple soudanais doit rejeter l’illusion du choix entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR). Ces deux milices représentent les intérêts de la classe dirigeante et sont des outils d’oppression qui perpétuent la violence, l’inégalité et l’exploitation. L’alternative consiste à reconstruire et à unir le mouvement révolutionnaire qui a émergé en 2018, un mouvement enraciné dans le pouvoir des organisations de base. Cela signifie qu’il faut mobiliser les comités de résistance, appuyer les campagnes répondant aux revendications de base, les syndicats, les groupes d’étudiants, les mouvements de femmes, les structures répondant aux besoins les plus urgents et les communautés organisées, aux côtés de tous ceux qui croient aux principes de la révolution, à l’intérieur du Soudan et dans le monde entier.
La priorité immédiate est claire: mettre fin à la guerre et reprendre la lutte pour une transformation révolutionnaire du Soudan. Mais la question va plus loin que l’arrêt de la guerre: comment saisir ce moment pour créer une alternative révolutionnaire qui répondra enfin aux aspirations du peuple à une véritable libération. C’est le choix que nous devons faire ensemble; c’est le moment de la révolution.
La révolution qui a commencé en 2018 est loin d’être terminée. Sa victoire ultime dépend de notre refus de faire des compromis avec les généraux, les seigneurs de la guerre et les forces impérialistes qui ne cherchent qu’à remplacer une forme de tyrannie par une autre. S’aligner sur ces criminels ne fera que prolonger les souffrances du peuple soudanais et trahir les idéaux de liberté, de justice et d’égalité qui définissent la cause révolutionnaire. La voie à suivre exige une révolution par le bas, menée par les masses et enracinée dans leur pouvoir collectif. Seule cette approche peut démanteler les structures d’oppression et ouvrir la voie à une société fondée sur la solidarité et la démocratie.
Le rôle des puissances étrangères dans le financement de cette guerre ne peut être ignoré. Les gouvernements impérialistes et leurs alliés régionaux ont armé, financé et continuent de soutenir les forces mêmes qui font la guerre au peuple soudanais. Il est essentiel de dénoncer et d’affronter cette exploitation. Mais cette lutte ne peut rester isolée. Nous devons construire un mouvement révolutionnaire international qui remette en cause les intérêts de la classe capitaliste, dont les profits sont entachés du sang du peuple soudanais.
En nous unissant aux mouvements révolutionnaires du monde entier, nous pouvons amplifier notre force collective, affronter les systèmes d’oppression qui transcendent les frontières et lutter pour un avenir qui appartiendra aux peuples, et non aux élites. La révolution au Soudan n’est pas seulement une lutte locale, régionale, nationale; elle fait partie d’une lutte d’ensemble pour un monde libéré de l’exploitation et de l’oppression. (Traduction rédaction A l’Encontre)
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