Autriche. Une alliance entre «Russie Unie» et le Parti de la liberté (FPÖ)

Heinz-Christian Strache et Sergueï Jelezniak
Heinz-Christian Strache et Sergueï Jelezniak

Par Blaise Gauquelin

On savait que nombre de formations politiques européennes faisaient les yeux doux au maître du Kremlin. Mais qu’un contrat de coopération soit signé en bonne et due forme entre un parti d’extrême droite, en tête dans les sondages dans un pays membre de l’Union européenne (UE), et le parti de Vladimir Poutine [Russie Unie], cela ressemble à une première.

Lundi 19 décembre, le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) et Russie Unie ont signé un accord inédit qui vient encadrer des liens d’amitié tissés de longue date. Ces deux pages, vite rédigées, sont signées, côté russe, par Sergueï Jelezniak, une personnalité visée par les sanctions occidentales.

Une importante délégation du FPÖ s’est rendue jusque dans la capitale russe, pour afficher ostensiblement sa proximité avec le régime à coups de selfies enjoués sur Facebook.

Norbert Hofer, le candidat à la présidentielle du 4 décembre, faisait partie du voyage, tout comme Heinz-Christian Strache, le chef du FPÖ, le député David Lasar, vice-maire de Vienne, Johann Gudenus, connu pour être un excellent russophone, et Harald Vilimsky, vice-président du groupe Europe des nations et des libertés créé par Marine Le Pen au Parlement européen.

Le texte en dix points a été rendu public par un journaliste du quotidien autrichien Kronen Zeitung. Valable pour les cinq prochaines années, il prévoit l’établissement d’un partenariat étroit à différents niveaux. Les deux partis s’engagent, par exemple, à «partager des informations sur les questions concernant la Fédération de Russie et la République d’Autriche» ou «les relations bilatérales et internationales». Ils promettent également de coopérer pour «renforcer l’éducation des jeunes générations dans un esprit de patriotisme». Bref, l’accord fait du FPÖ «une cinquième colonne poutinienne en Europe», selon le député écologiste Karl Öllinger, pourfendeur de longue date de tous les tropismes moscovites.

Il a sans doute surtout été conçu comme un pied de nez à la chancelière allemande Angela Merkel, en campagne pour sa réélection, qui a encore joué de toute son influence pour que l’Union européenne reconduise, lors du Conseil européen du 15 décembre, les sanctions économiques prises en 2014 à l’encontre de la Russie à la suite du conflit ukrainien. Et il intervient alors que Donald Trump aux Etats-Unis et François Fillon en France plaident pour un rapprochement avec Moscou.

Tradition antisoviétique

En fraternisant ostensiblement avec la puissante extrême droite autrichienne – elle a obtenu l’un des meilleurs scores jamais enregistrés par cette famille politique en Europe de l’Ouest depuis la seconde guerre mondiale, avec 46,2% des voix à la présidentielle – Vladimir Poutine entend mettre en lumière des liens privilégiés, étroitement tissés depuis huit ans. Dans l’UE, le FPÖ est l’une des formations dont les rapports amicaux avec Moscou comptent parmi les plus solides et constants.

En 2008, Heinz-Christian Strache a en effet opéré un tournant majeur, avant tout le monde, en étant l’un des très rares à soutenir Vladimir Poutine dans la guerre en Géorgie. Cela n’allait alors pas de soi, car l’extrême droite autrichienne puise ses racines, depuis les années 1950, dans un antisoviétisme très chauvin. En 2012, des élus du FPÖ ont rendu visite à Ramzan Kadyrov en Tchétchénie.

Deux ans plus tard, l’extrême droite autrichienne a approuvé l’annexion de la Crimée. Et depuis, le FPÖ ne cesse de réclamer l’abrogation des sanctions européennes.

Concernant le conflit syrien, Heinz-Christian Strache a aussi remercié les Russes d’«avoir libéré Alep du groupe Etat islamique». «Le froid moscovite a dû monter à la tête de ces messieurs», commente Georg Niedermühlbichler, du Parti social-démocrate (SPÖ), pour qui ce nouveau pacte relève de «l’aliénation mentale» consécutive à la récente défaite électorale de M. Hofer. «J’espère juste que le FPÖ ne va pas jusqu’à se faire financer par la Russie, car ce serait un scandale de premier ordre.» Le parti d’extrême droite a toujours démenti tout intéressement pécuniaire.

«Nous avons des crédits seulement auprès de banques autrichiennes», affirme même M. Strache. Une allusion très claire au prêt de 9 millions d’euros contracté en 2014 par son principal allié, le Front national, auprès d’un établissement russe. Flatté d’être «parti frère», le FPÖ en deviendrait presque mauvais camarade. (Article publié dans Le Monde, daté du 21 décembre 2016. p. 6)

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