Par Benoit Blanc
Le nouveau financement des hôpitaux commence à peine à déployer ses effets délétères que la «prochaine grande réforme du système de santé» (Neue Zürcher Zeitung, 22 novembre 2016) se prépare: le «virage» vers l’ambulatoire, censé donner une nouvelle dynamique au transfert de la prise en charge des patients de l’hospitalier à l’ambulatoire. Les chiffres les plus fabuleux circulent: en juillet 2016, pwc (PricewaterhouseCoopers, un des quatre géants mondiaux du consulting) publiait une étude, citée depuis en boucle, titrant: «Ambulatoire avant stationnaire, ou comment économiser un milliard par année».
Les projets se multiplient. Curafutura, un des deux lobbys des assureurs maladies, fait campagne depuis des mois pour son modèle EFAS (Financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires) de financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires. Le canton de Lucerne introduit au 1er juillet 2017 une liste de 13 opérations devant à l’avenir être réalisées en ambulatoire. Le canton de Zurich fera de même le 1er janvier 2018… Quels sont les enjeux derrière cette ébullition?
L’argumentaire sur le thème du «virage ambulatoire» peut se résumer ainsi : 1° les «avancées» de la médecine permettent qu’un nombre croissant de traitements chirurgicaux soient réalisés en ambulatoire, c’est-à-dire sans un séjour hospitalier; 2° cette prise en charge coûte moins cher qu’une hospitalisation; 3° or, la Suisse est «en retard» dans ce transfert; 4° ce retard s’explique par le système tarifaire et de financement actuel, qui comporte des «incitations dissuasives»; 5° il faut donc modifier les règles de financement pour mettre en place des «incitations» encourageant ce virage.
Avant de revenir sur la pertinence de cette approche, qui marque dans tous les cas un pas de plus dans la subordination du médical et du social au financier, voici une brève présentation des projets sur la table.
Le passager clandestin de curafutura
L’association d’assureurs maladie curafutura a pris une position de pointe sur ce dossier du virage ambulatoire… pour mieux y introduire un passager clandestin. Curafutura est la faîtière d’assureurs «dissidents» de Santésuisse. Elle regroupe «les assureurs-maladie innovants », pour reprendre la formule de son logo, que sont Helsana, la CSS, Sanitas et CPT. Donc les deux plus grandes caisses de Suisse. Son président, Ignazio Cassis (PLR, Tessin, médecin né à Sessa), se voit déjà conseiller fédéral.
Depuis des mois, curafutura fait campagne pour sa proposition de «financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires», intitulée EFAS selon son acronyme germanophone. Curafutura argumente ainsi: actuellement, les hospitalisations sont financées à 55% par les cantons et 45% par l’assurance maladie (et les paiements directs des patients). Par contre, il n’y a pas de participation cantonale aux prestations ambulatoires. Il en découle que si une prestation est transférée de l’hospitalier à l’ambulatoire, le canton réalise une économie, mais pas l’assurance maladie. Les assureurs ne seraient donc pas «incités» à accélérer le transfert vers l’ambulatoire, puisque cela alourdirait «leur» ardoise. Ce qui expliquerait le retard du virage ambulatoire en Suisse. Curafutura propose donc d’éliminer ces «mauvais incitatifs» en introduisant un financement uniforme des secteurs hospitaliers et ambulatoires, avec une participation des cantons à hauteur de 25%, dans un cas comme dans l’autre. Cette participation serait versée au fonds de compensation des risques de l’assurance maladie, qui la redistribuerait ensuite aux assureurs.
Le raisonnement est particulier. En effet, le choix du traitement, et du cadre de ce traitement, relève du médecin et du patient, du moins pour l’instant. Pour eux, le fait qu’une partie de la facture soit financée par le canton ou ne le soit pas ne change rien. Le niveau des tarifs – quel est le remboursement pour une opération des varices en ambulatoire comparé au remboursement en hospitalier, par exemple – pourrait avoir une influence. Mais le projet EFAS n’y touche pas. Mieux, curafutura soutient sans réserve la baisse des tarifs ambulatoires proposée par le conseiller fédéral Alain Berset… une étrange manière, pour des partisans des «incitatifs» économiques, de pousser à un transfert vers l’ambulatoire.
En réalité, le projet EFAS n’a donc pas grand-chose à voir avec l’accélération du virage ambulatoire. Curafutura ne cherche pas à le dissimuler entièrement – cela aurait d’ailleurs été difficile – et précise que «d’autres raisons justifient toutefois que le financement uniforme soit qualifié de réforme digne de soutien ayant une importance significative pour le système de santé» [merci pour le français fédéral] (Curafutura, Une réforme essentielle pour le système de santé, 22 août 2016).
Mais alors, à quoi sert le projet EFAS? A vêtir d’un habit neuf la vieille proposition d’un «financement moniste» de la santé, c’est-à-dire d’un financement entièrement contrôlé par les assureurs maladie. Curafutura compte sur les travaux d’une sous-commission de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) du Conseil national pour donner la forme d’un projet de loi à sa proposition. Cette commission planche sur la mise en œuvre d’une initiative parlementaire de la PDC Ruth Humbel déposée en décembre 2009 et demandant «un financement moniste des prestations de soins». Cela a le mérite d’être clair.
Curafutura, qui ne manque pas de ressources, a demandé à la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW) une évaluation de sa proposition. La synthèse de cette «recherche», diffusée par curafutura (Les effets positifs du financement uniforme, 2 février.2017), estime que l’EFAS «aurait un impact positif [sur l’efficacité et la qualité des soins médicaux fournis] essentiellement de manière indirecte (…) La complexité des interactions rend impossible la quantification de l’effet qu’aurait l’EFAS à lui seul.» Autrement dit: une conclusion péremptoire basée… sur du vent.
Mais voici les mécanismes visés, et les vrais enjeux, qui, eux, ne sont pas du vent:
1° «un attrait renforcé des modèles de soins intégrés avec coresponsabilité budgétaire des réseaux de médecins»; cela veut dire une relance du managed care, c’est-à-dire des patients liés à des réseaux de médecins eux-mêmes subordonnés à des assurances maladie, modèle massivement refusé en votation en 2012 ;
2° les assureurs, en ayant grâce au financement moniste une «vue générale sur le chaîne de traitements» pourraient «plus facilement [être] en mesure de mettre au point des accords tarifaires individuels hors du tarif médical avec certains fournisseurs de prestations». En clair, ils pourraient négocier des rabais, qui serviraient ensuite de base à des offres d’assurances avec une cotisation abaissée. C’est donc une manière pour les assureurs de contourner l’actuelle obligation de contracter avec tous les fournisseurs de soins.
L’obligation de contracter a pour fonction d’empêcher les assureurs de choisir les médecins ou les hôpitaux dont ils remboursent les prestations, choix qui aurait pour effet à la fois d’accroître l’emprise des assureurs sur les médecins et les hôpitaux et, en même temps, de restreindre le choix de leurs assurés;
3° les assureurs pourraient ainsi «mieux piloter» le choix entre hospitalier et ambulatoire, remarque minimale pour une proposition dont la raison d’être officielle est de favoriser le virage ambulatoire;
4° enfin ces effets seraient d’autant plus positifs que les cantons renonceraient à maintenir les structures en place «en leur qualité de planificateurs hospitaliers». C’est-à-dire qu’ils se retirent du pilotage du système de santé pour le laisser entièrement entre les mains des assureurs.
En résumé, curafutura s’est emparé du thème à la mode du virage ambulatoire pour essayer de faire passer en douce le programme que les assureurs maladie cherchent à imposer depuis deux décennies, programme visant à leur donner pleins pouvoirs dans le système de santé. Jolie manœuvre. Et très dangereuse.
Cantons plus rigides que les hôpitaux
Face à cette offensive des assureurs, les cantons sont sur la défensive. Ils refusent le projet de curafutura, ce qui est bien le moins puisque l’EFAS revient à les dépouiller de leur pouvoir de décision tout en les obligeant tendanciellement à augmenter leurs dépenses de santé. Les cantons, regroupés au sein de la CDS (Conférence suisse des directeurs cantonaux de la santé), privilégient l’établissement de listes d’opérations devant à l’avenir être effectuées en ambulatoire, sauf exception motivée.
Ce dispositif se met déjà en place. Le canton de Lucerne a édicté une liste de 13 opérations à réaliser en ambulatoire dès le 1er juillet 2017. Cette liste comprend notamment les opérations de la cataracte, du tunnel carpien ou des varices, la pose de paecemaker et les angioplasties coronaires (PCTA, dilatation des artères coronaires du cœur), les arthroscopies du genou et les résections du ménisque, ou encore l’opération des hernies, des hémorroïdes ou l’ablation des amygdales (la mise en œuvre dans ce dernier cas est cependant retardée). Une liste quasi identique entrera en vigueur dans le canton de Zurich début 2018.
Des exceptions sont bien entendu envisagées, pour des raisons médicales notamment. Mais elles devront être motivées, et si la motivation n’est pas jugée satisfaisante, le canton pourra refuser de rembourser sa part de 55% dans les frais d’hospitalisation. Cette sanction possible ne peut avoir qu’un effet: «inciter» les hôpitaux à subordonner leur appréciation du risque médical à la contrainte financière. Prétendre que cela n’aura aucun impact sur la qualité des soins est aventureux.
L’association des hôpitaux H+ développe une approche partiellement différente. Elle commence par rappeler que le secteur ambulatoire des hôpitaux est actuellement… déficitaire, à hauteur de 600 millions de francs par an selon ses estimations. La pédiatrie, les urgences, la gériatrie et la psychiatrie sont particulièrement concernées. Le sous-financement de la psychiatrie a également été dénoncé récemment dans un éditorial du Bulletin des médecins suisses qui constate qu’en conséquence «les traitements à long terme, susceptibles de réussir […] ne sont proposés que de manière beaucoup trop insuffisante ou seulement après de longs temps d’attente. Les collaborateurs se sentent désemparés parce qu’ils voient les problèmes de leurs patients mais ne disposent pas de suffisamment de temps pour offrir de l’aide.» (BMS, 2017; 98 (24) :753). Ensuite, H+ insiste – et c’est bien la seule institution à le faire ainsi – sur les critères médicaux et du point de vue du patient (comorbidités, appui social pour les transports et la phase postopératoire) à remplir pour un transfert vers l’ambulatoire. Enfin H+ propose, pour une liste d’opérations analogue à celles adoptées à Lucerne ou Zurich, un forfait de type de DRG, remboursant l’intervention, quel que soit le cadre dans lequel elle s’est déroulée.
Ce forfait aurait une valeur intermédiaire entre les tarifs ambulatoires et les tarifs hospitaliers actuels. Cela revient à une version atténuée de la liste mise en place par les cantons, en laissant une plus grande marge d’appréciation aux institutions hospitalières, donc potentiellement également à la prise en compte des critères médicaux et sociaux.
La preuve par… 2007
Revenons maintenant sur le contexte et les implications de cette campagne sur le thème du virage ambulatoire.
L’argumentation se fonde sur l’affirmation que, selon les données de l’OCDE, la Suisse serait en retard dans le transfert vers l’ambulatoire. Les données citées par pwc, dont l’étude a été réalisée «avec l’aide de Swiss Medical Network SA» (groupe Genolier), sans doute pour en assurer la qualité et «l’objectivité», et reprises comme parole d’évangile, datent de… 2007.
Dire que la situation a évolué depuis lors est un euphémisme. Il suffit de penser aux blocs opératoires dédiés à l’ambulatoire qui sont multipliés ces dernières années, notamment dans de nombreux hôpitaux. L’OCDE a publié des données plus récentes concernant la part de l’ambulatoire pour plusieurs opérations, mais sans la Suisse.
Prenons celles parues en 2016 dans son rapport Health at a Glance: Europe. Elles portent sur deux interventions. • Premièrement la cataracte: selon l’OCDE, en 2014, la moyenne européenne était de 82% des opérations de la cataracte effectuées en ambulatoire. En Suisse, cette proportion serait «proche de 100%» selon l’Obsan (Virage ambulatoire. Transfert ou expansion de l’offre de soins?, 2015), de 98% selon pwc. • Deuxièmement, l’ablation des amygdales. La moyenne européenne selon l’OCDE est de 28% de ces opérations en ambulatoire; ce taux est de 4% en Allemagne, 23% en France. Selon pwc, ce taux serait de 34% en Suisse. Le canton de Lucerne a publié de son côté une évaluation de l’Obsan chiffrant ce taux à 14%, ce qui est très différent du niveau donné par pwc, mais toujours supérieur à celui de l’Allemagne…
Dans sa publication de 2015 mentionnée ci-dessus, l’Obsan considère par ailleurs que l’ablation des amygdales est un «cas particulier dont la pratique médicale est en recul», au niveau hospitalier comme au niveau ambulatoire. «Dans ce cas, la question du transfert de prestations n’est pas pertinente», conclut l’Obsan.
Un premier constat donc: même en admettant que l’argument du «retard» par rapport à la tendance internationale mérite considération, les données devant le valider font dans une large mesure défaut, celles disponibles sont de qualité médiocre et, lorsque des données un tant soit peu fiables sont disponibles, il apparaît que le trait est exagéré.
En réalité, le virage ambulatoire est déjà très largement engagé, en Suisse également.
1000, 500 ou 50 millions?
• L’évolution de la pratique au cours de ces dernières années indique, comme le rappelle à propos l’Obsan dans son étude, qu’aborder la question en termes de transfert est très réducteur. En effet, «Si le virage ambulatoire est en cours, il est rarement synonyme d’un remplacement du stationnaire par l’ambulatoire, mais plutôt d’une expansion de l’offre de soins», constate l’Obsan (p. 30). Qui poursuit: «Nos résultats montrent que l’ambulatoire, du moins pour les procédures chirurgicales étudiées, se développe fortement. Peut-on en conclure que le virage ambulatoire amène une économie? Oui, pour les procédures où il y a un remplacement du stationnaire par l’ambulatoire. Ces cas sont toutefois l’exception parmi les onze procédures examinées. Si on observe souvent une forme de transfert, on observe surtout une extension des possibilités et des cas traités en ambulatoire. Ce que l’on ne peut cependant pas évaluer sont les coûts des traitements évités en aval, grâce à une intervention plus précoce.» (p. 33).
Ce commentaire permet de mettre en contexte le milliard de francs d’économie claironné par pwc – …pour 2030, bien sûr, car plus l’horizon est lointain moins il est risqué de dire n’importe quoi, puisque cela sera de toute manière oublié d’ici là –, ou les 500 millions de francs annoncés par la CDS (Conférence suisse des directeurs cantonaux de la santé).
• D’ailleurs, avec les premières mesures concrètes, le retour sur terre est rapide. Ainsi, le canton de Lucerne escompte une économie de 3 millions de francs par an en rendant obligatoire la prise en charge ambulatoire de 13 opérations (NZZ, 15 juin 2017). Extrapolé à l’échelle de la Suisse, cela correspond à quelque 60 millions de francs. Le canton de Zurich, avec une liste de 14 opérations, compte lui sur 9,4 millions de francs d’économie (NZZ 17 juin 2017), ce qui correspondrait à environ 50 millions à l’échelle nationale… Pour comparaison, les coûts des hôpitaux s’élevaient en 2015 à 27’150 millions de francs et ceux des cabinets médicaux à 15’427 millions de francs.
• Le canton de Lucerne a mis en place depuis quelques années une brutale politique d’austérité, afin de combler le trou creusé par les cadeaux fiscaux accordés aux entreprises. Cette année, il a dans ce but, par exemple, accordé un jour de congé supplémentaire aux collégiens afin d’économiser un jour de salaires des enseignants (après une semaine entière l’année dernière), ou interdit à ses bibliothèques d’acheter de nouveaux livres. Ce contexte éclaire l’état d’esprit présidant à sa décision de transfert forcé vers l’ambulatoire.
Etonnant silence
Pour imposer l’idée que le virage ambulatoire est indispensable, ses partisans multiplient les exemples de comparaison de niveaux de remboursement, afin de démontrer les surcoûts d’une prise en charge hospitalière.
• Prenons un cas publié dans la NZZ du 15 juin 2017. Il concerne l’arthroscopie du genou. Pratiquée de manière ambulatoire, elle serait remboursée à hauteur de 2350 francs. Dans le cadre d’un séjour hospitalier, son remboursement monterait à 5250 francs. Enfin, remboursée en chambre privée, sa facture s’élèverait à 15’140 francs.
Une évidence saute aux yeux. C’est l’assurance privée qui est liée au surcoût le plus massif: 9890 francs. Si le but est vraiment, et uniquement, de faire des économies, la solution la plus rationnelle serait certainement de renoncer tout simplement à la possibilité d’une telle assurance, dont les surcoûts ne correspondent pas à un besoin médical, et ceci pour toutes les opérations.
• Pourtant, aucune des propositions discutées actuellement ne va dans ce sens… Le business très lucratif – pour les cliniques privées, les assureurs et un certain nombre de médecins – de l’assurance privée ne semble pas pouvoir jamais être trop cher… même en comparaison internationale.
Et le patient?
La question du virage ambulatoire est abordée sous l’angle strictement économique. Comme si cela allait de soi, la qualité des soins et de la prise en charge est présentée comme garantie, dans un cas comme dans l’autre. Est-ce vraiment si simple?
Lors de la conférence de presse de H+ consacrée à cette question, le 22 mai 2017, le directeur de l’hôpital universitaire de Bâle, le Dr Werner Kübler, a rappelé la règle de base que «le choix entre ambulatoire et stationnaire doit toujours se faire en fonction du patient», en prenant en considération ses caractéristiques sociales et de santé. Donc, ce choix ne doit pas être automatique.
Pour illustrer ce propos, le Dr Kübler a comparé l’opération d’une hernie inguinale chez un jeune homme de 21 ans, sans autre problème marquant de santé, vivant chez ses parents (et pouvant donc compter sur leur aide, pour le transport par exemple) avec la même opération chez un monsieur de 79 ans, souffrant d’hypertension et de diabète, et vivant seul (donc sans aide pour les tâches de la vie quotidienne ni pour les déplacements). Dans ce second cas, une prise en charge hospitalière fait sens. Or, les propositions visant à forcer le virage ambulatoire ne peuvent avoir pour effet que de subordonner de telles considérations à la logique financière, et donc de rendre plus difficile leur prise en compte, indépendamment de la bonne volonté des uns ou des autres.
Concurrence renforcée
Une accélération du virage vers l’ambulatoire aura aussi des effets de structure. La logique économique – dégager une marge bénéficiaire dans chaque segment d’activité – veut que les infrastructures et les parcours de prise en charge ambulatoire soient clairement séparés des parcours et des infrastructures hospitalières. Chaque type de prise en charge est en effet lié à des contraintes différentes, en termes de rythmes, de type de préparation des patients et de sorties, etc. La multiplication des blocs opératoires ambulatoires créés par les hôpitaux répond à cette exigence.
Forcer le virage ambulatoire implique d’accélérer cette évolution. Cela signifie que les hôpitaux vont devoir investir de manière plus rapide dans de telles filières ambulatoires pour rester compétitifs. Puis, une fois ces infrastructures en place, il faudra assurer que leur taux d’occupation soit aussi élevé que possible.
La concurrence pour attirer les patients va donc se renforcer, entre hôpitaux, et avec les centres ambulatoires privés se spécialisant dans la prise en charge à la chaîne de certaines interventions, comme c’est déjà le cas pour des opérations ophtalmiques standard (correction myopie, cataracte).
En même temps, le virage vers l’ambulatoire libérera des capacités dans l’hospitalier. Le renforcement de la concurrence entre hôpitaux y a poussé, ces dernières années, à un niveau (trop) élevé d’investissement. La lutte dans le secteur hospitalier pour «gagner» des patients et utiliser à plein les capacités hospitalières créées va donc également se durcir, afin de combler les «trous» laissés par le virage ambulatoire.
Ce redoublement de la concurrence va intervenir dans un contexte où les hôpitaux sont confrontés à une pression croissante pour augmenter leur rentabilité, afin de financer leurs investissements, estimés à 20 milliards ces 20 prochaines années.
En effet, dans le cadre du nouveau financement hospitalier, les investissements doivent en principe être couverts par les recettes ordinaires de l’hôpital. Donc, les institutions doivent accroître leur marge bénéficiaire afin d’assurer ce financement. « Les hôpitaux doivent devenir plus rentables, indépendamment de leur forme juridique», expliquait en mars dernier le chef Marché des capitaux de la Banque cantonale de Zurich (NZZ 22 mars 2017). 10% d’excédent: voilà la norme dictée par les financiers. Forcer le virage ambulatoire reviendra à accentuer cette contrainte financière pesant sur les hôpitaux et la concurrence entre eux pour disposer des «parts de marché» leur permettant d’atteindre ce seuil et de rester indépendants.
La traduction quasi inéluctable de cette dynamique sera une pression accrue, multiforme, sur le personnel. Or cette pression va entrer en résonance avec un autre changement induit par le virage ambulatoire: celui-ci va en effet, mécaniquement, faire s’élever le niveau moyen de gravité des cas continuant à être pris en charge dans un cadre hospitalier. La densification du travail, déjà nourrie par la réduction de la durée des séjours, va ainsi être redoublée. La santé des soignants sera directement affectée. Et la qualité des soins apportée aux patients également.
S’opposer à l’emprise croissante du financier
En résumé, l’extension de la palette des opérations réalisées en l’ambulatoire est en cours depuis plusieurs années, et elle va se poursuivre. Présenter cette évolution comme une source magique d’économies est cependant un leurre.
De plus, la volonté de forcer ce virage ambulatoire ne part pas de considérations médicales (qu’est-ce qui est le plus bénéfique pour la santé des patients, compte tenu de leur situation médicale, sociale et personnelle concrète), ni des aspirations des patients, mais de critères étroitement financiers.
Quant aux caisses maladies, elles ont trouvé là un véhicule pour relancer leur offensive visant à accroître leur emprise sur le système de santé.
Mis en place, ce virage ambulatoire accéléré renforcera ainsi les logiques du nouveau financement hospitalier, accroissant la dynamique de concurrence dans le système de santé et resserrant le corset financier enserrant les hôpitaux, en particulier. Pour toutes ces raisons, il est à rejeter. (30 juin 2017)
Soyez le premier à commenter