Par Adrien Guilleau
Nous vous proposons un point d’étape sur le mouvement en cours en Guyane. Cet article, rédigé le 31 mars, essaie d’offrir une première analyse et des perspectives sur ce qui constitue déjà le plus grand mouvement populaire qu’ait connu la Guyane.
La Guyane une colonie française
- Une économie de comptoir
Depuis sa colonisation au XVIIe siècle, la structure économique coloniale de la Guyane n’a pas varié. Elle se caractérise encore aujourd’hui par un accaparement des richesses du territoire et un monopole commercial. La richesse guyanaise la plus exploitée par la France est le Centre spatial guyanais (CSG) qui a été construit en Guyane pour sa position géographique, l’absence de risques sismiques ou volcaniques et la stabilité politique de la colonie. Pour la seule année 2017, le CNES (groupe étatique qui exploite le CSG) a annoncé un carnet de commandes de 5,3 milliards d’euros, ce qui représente 140 % du PIB guyanais ! Concernant le commerce, le monopole français est organisé par les békè martiniquais (descendants de colons et grands propriétaires terriens). Ainsi, le commerce régional avec le Brésil, le Surinam ou l’Amérique latine est inexistant ! Tout est importé par conteneurs directement sortis des ports français et tout transite par les groupes de distribution des békè.
- Un sous-développement endogène
Comme dans toutes les colonies, la domination économique de la métropole s’accompagne d’un sous-développement endogène. Ce sous-développement se constate dans les statistiques économiques, démographiques, sanitaires et éducatives. Ainsi, dans ce pays de 250 000 habitants, la population double tous les 20 ans depuis les années 1950. Cette croissance démographique se fait sous l’impulsion d’un fort taux de natalité accompagné d’une balance migratoire largement positive. Cet attrait migratoire est notamment lié au statut particulier de ce pays d’Amérique du Sud qui appartient à l’Union européenne. Pour accompagner le développement démographique, les investissements de la France doivent être massifs, or ils ne le sont pas. Ainsi, le taux de chômage est à plus de 20 %, plus de 40 % des actifs n’ont pas d’emploi, le taux de pauvreté est supérieur à 60 % (avec les calculs de référence français). Du côté des statistiques de l’éducation, ce n’est pas mieux, plus de 2 000 enfants entre 6 et 16 ans ne sont pas scolarisés faute de place dans les écoles, il faudrait à ce jour construire 500 classes de primaire, 10 collèges et 5 lycées pour rattraper les retards structurels ! Sur le plan sanitaire, c’est la catastrophe, l’espérance de vie à la naissance d’un homme est de 3 ans inférieure à la France, une étude de l’Agence régionale de santé a montré qu’en raison des problèmes structurels, entre 2005 et 2007, 58 % des décès en Guyane auraient été évités en France. Le nombre de lits par habitant est presque deux fois inférieur à celui de la France, de très nombreuses spécialités médicales ne sont pas développées sur le territoire obligeant les Guyanais à partir en France ou dans les Antilles pour se faire soigner et, enfin, il n’y a pas de structure hospitalière universitaire de type CHU (Centre hospitalier universitaire), ce qui ne permet pas de former les compétences médicales nécessaires et laisse la Guyane totalement dépendante des compétences externes ! Enfin, sur le plan sécuritaire, la Guyane est le territoire le plus violent des territoires administrés par la France, le taux d’homicides par habitant y est le plus important (42 homicides en 2016). Pourtant, la Guyane est également le territoire qui contient le plus de soldats français au monde, 1 soldat pour 117 habitants. Aux militaires, il faut ajouter les 950 policiers et gendarmes répartis sur le territoire. Cela fait de la Guyane le territoire français le plus militarisé !
- La problématique du foncier et des peuples autochtones
D’autres problématiques spécifiques à la question coloniale se retrouvent en Guyane, telles que le problème du foncier ou la question des peuples autochtones. Plus de 90 % du territoire appartient foncièrement à la France. Cela crée d’énormes difficultés pour tout développement économique ou structurel. Par exemple, pour construire un lycée il faut absolument passer par une phase de rétrocession du terrain de l’État vers les collectivités locales. De plus, le Centre spatial guyanais, qui occupe une superficie grande comme l’île de la Réunion, n’a jamais payé le moindre centime d’impôt local !
Pour leur part, les peuples autochtones se confrontent, pour des raisons constitutionnelles, au refus catégorique de la France de leur reconnaître le droit à la propriété collective et de leur rétrocéder les territoires qu’ils occupent depuis des centaines d’années ! À cela, on peut ajouter d’inquiétantes et massives vagues de suicides chez les jeunes amérindiens !
Ces problématiques foncières mettent en lumière à elles seules l’incompatibilité totale du statut de la Guyane comme département d’outre-mer.
Analyse du mouvement actuel
Il est encore difficile de faire une analyse fine et totalement pertinente de la situation de ce mouvement, cela, notamment, en raison des très nombreux rapports de forces qui s’y confrontent. Nous allons tout de même tenter de faire un historique du mouvement introduisant les principaux acteurs.
- Pacte d’avenir
Lors de son passage en 2013 en Guyane, François Hollande s’est engagé à mettre en œuvre un Pacte d’avenir pour la Guyane. Ce pacte avait pour but de réduire les retards structurels sur 10 ans, notamment par un investissement étatique de 600 millions d’euros. Or, à l’issue des négociations en décembre 2016, le président de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), Rodolphe Alexandre, a refusé de le signer. Sous la pression du patronat local, le président de la CTG a demandé une rallonge financière portée à 2 milliards et la rétrocession de 200 000 hectares de territoire.
- Le rapport de force de Rodolphe Alexandre associé aux socioprofessionnels et au Medef
La visite de Ségolène Royale le 15 mars a été le coup d’envoi de la mobilisation. Ainsi, la ministre a été accueillie par une mobilisation des « socioprofessionnels » (patrons routiers entre autres), de la CGPME et du Medef [Ce 5 avril, le MEDEF est sorti du mouvement, Réd. A L’Encontre, sur le thème :«il faut savoir arrêter une grève»]. Pour l’occasion, ils ont érigé un barrage devant l’entrée de la Collectivité territoriale de Guyane, ainsi que devant le port de commerce qui devait voir arriver des camions toupies pour la construction du pas de tir d’Ariane 6 contre les intérêts des transporteurs locaux. Lors d’une mise en scène pathétique, Ségolène a réussi à débloquer la situation en appelant son ex-mari et Président, François Hollande. En deux minutes tout était réglé, le gouvernement s’engageant à lâcher immédiatement 150 millions d’euros pour boucler le budget de la CTG et à rétrocéder 200 000 hectares de foncier.
- Le débordement des «500 frères»
Tout aurait pu ou aurait dû s’arrêter là, mais un caillou s’est glissé dans la chaussure, ce caillou porte le nom de collectif « des 500 frères contre la délinquance ». Ce collectif a commencé à faire parler de lui une semaine plutôt en réagissant à un homicide dans un quartier de Cayenne. Leur particularité est d’organiser des actions coup de poing, habillés en noir et cagoulés. Bien qu’il soit extrêmement difficile, même aujourd’hui, de dire qui compose ce collectif, on peut retenir que ses revendications sont réactionnaires et en partie xénophobes. En effet, plusieurs de leurs revendications vont dans le sens de plus de flics, déloger les squats et expulser les migrants qui seraient responsables de la violence. Cependant, dès leur constitution ils ont remis en cause le rôle de l’État français dans son incapacité à rétablir l’ordre. On a donc une rhétorique nationaliste et réactionnaire.
Ce collectif s’est donc invité à la fête. Alors qu’il bloquait l’entrée des consulats du Surinam et d’Haïti pour exiger que leurs ressortissants incarcérés dans la prison guyanaise soient expulsés immédiatement, ils ont débarqué cagoulés à la CTG en pleine réunion internationale qui regroupait 25 états caribéens, les États-Unis et la France, dont Ségolène Royal. Ils ont interpellé la ministre en demandant qu’elle prenne en compte leurs revendications sécuritaires, puis se sont retirés. Le soir même, la ministre écourtait sa visite en Guyane et rentrait à Paris. Parallèlement, les agriculteurs se sont joints à la bataille en occupant le siège de la Direction de l’agriculture et de la forêt à Cayenne. Est-ce par attentisme lié à l’effet de surprise du débordement des « 500 frères », ou par solidarité avec ces revendications réactionnaires, ou encore dans l’attente de la signature officielle du Pacte d’avenir ? Le patronat a maintenu ses barrages.
Notons enfin que dans la confrontation à la réalité du terrain, les porte-parole du collectif des « 500 frères » ont dû modifier leur discours et leurs actes. Lors de la mise en place des barrages, ils ont servi de médiateurs avec les jeunes des quartiers populaires, qui dressaient des barrages « sauvages », afin d’éviter tout affrontement avec les forces de l’ordre. Ils ont même réussi à faire converger une partie de cette jeunesse sur les principaux piquets. De plus, lors de la marche du 28 mars ou lors des négociations du 30 mars, ils prendront un rôle de service d’ordre en venant au contact des forces de répression. C’est probablement ces actions et le fait qu’ils n’ont, jusqu’à présent, jamais usé de violence qui les rend aussi populaires.
- L’entrée dans la lutte des travailleurs
Profitant de ce climat de défiance, des travailleurs se sont plongés dans le mouvement. Ainsi, le 20 mars, les salariés d’EDF (qui sont en conflit avec leur direction locale), d’ENDEL (qui réclament la réouverture des négociations salariales) et du Centre médico-chirurgical de Kourou (qui se battent contre la vente de l’hôpital à des prédateurs du privé) décident de bloquer le lancement de la fusée Ariane prévu pour le lendemain. Un barrage est érigé devant le Centre spatial guyanais, la population et certains élus s’y joignent rapidement. Les travailleurs d’ENDEL, seuls compétents pour transporter la fusée sur son pas de tir, vont réussir en étant en grève à 80 % à faire reporter puis à annuler le lancement. Dans la foulée, les négociations sont rouvertes et ils obtiennent une revalorisation salariale conséquente. À partir du 21 mars, jour initialement prévu du lancement, la ville de Kourou va être totalement bloquée, plus personne n’y rentre ou n’en sort.
- L’embrasement général, la Guyane bloquée!
À partir des 21 et 22 mars les « 500 frères » vont converger vers Kourou. Lors du conseil d’administration extraordinaire de la centrale syndicale UTG (Union des travailleurs guyanais) le 22 mars au soir, un soutien au mouvement est décidé, avec une première journée de mobilisation prévue pour le 24 mars. La structure UTG de l’enseignement va elle voter la grève dès ce 22 mars à compter du 27 mars. Mais dans la nuit tout s’accélère, la coordination de Kourou rejointe par les « 500 frères » et les socioprofessionnels décident de bloquer le pays. Au matin du 23 mars, tous les axes routiers sont intégralement bloqués par des barrages. Des barrages sont également érigés devant la préfecture et la route menant à l’aéroport. Rapidement, le Rectorat annonce la fermeture de toutes les structures scolaires pour des raisons de sécurité et dès le lendemain les étudiants et syndicalistes enseignants vont à leur tour ériger un barrage devant le Rectorat.
- Le rôle de Radio Pèyi comme vecteur de mobilisation
Dès la mise en place des barrages, Radio Pèyi (appartenant au groupe RTL) va devenir le porte-voix de la mobilisation. Tous leurs programmes sont interrompus et la radio diffuse 24h/24 le mouvement social. Des correspondants sont en place sur chaque barrage, l’évolution de la situation sociale se vit en direct, tous les auditeurs peuvent prendre la parole toute la journée, des personnalités politiques, notamment indépendantistes, sont invitées à parler pendant parfois plusieurs heures non-stop. Radio Pèyi devient « Radio Barricade » et permet à toute la population de ressentir ce mouvement. D’ailleurs tous les barrages sont rejoints par des milliers d’anonymes qui viennent y passer la journée, la soirée, voire la nuit. À compter du 24 mars, les barrages de Suzini et de la Crique Fouillé vont réunir chaque soir environ 4 000 personnes chacun.
- La marche des élus
Le 24 mars, l’ensemble des élus guyanais se sont retrouvés pour marcher ensemble derrière le drapeau guyanais du centre-ville de Kourou jusqu’au piquet du Centre spatial guyanais. Dans les territoires ultramarins, on attribue facilement aux élus le rôle de médiateurs entre l’État français et la population. C’est d’ailleurs ce rôle qu’assument entièrement les parlementaires (2 députés et 2 sénateurs) qui ont tenté, en vain, de faire ouvrir les négociations entre le collectif Pou Lagwiyann Dékolé (Pour une Guyane qui décolle) et la délégation interministérielle. La marche des élus portant l’écharpe tricolore et tenant le drapeau guyanais en guise de banderole a été un moment symbolique extrêmement fort. En effet, ce drapeau ne flotte sur quasiment aucun fronton de mairie, pas plus que sur celui de la CTG. D’ailleurs, n’oublions pas que ce mouvement est né, malgré lui, à cause du Président de région qui en mobilisant ses soutiens politiques, essaie de sortir par la grande porte en demandant à renégocier un Pacte d’avenir amélioré !
- L’entrée dans la danse de l’UTG et la grève générale
Le 25 mars, lors du Conseil national de l’UTG, 37 syndicats présents vont voter la grève générale illimitée à compter du 27 mars. La mobilisation passe alors à une autre étape, bien que les blocages économiques ne soient pas forcément supérieurs à ce qui existe déjà (quasiment toute l’économie est arrêtée dès le 24 mars), le rapport de force interne dans la mobilisation va bouger, les revendications d’ordre social devenant prépondérantes sur les revendications sécuritaires. Cependant, la centrale syndicale historique de la Guyane est en crise interne depuis plusieurs années et il est difficile de savoir à ce jour quelle est sa possibilité réelle de blocage.
- La constitution de Pou Lagwiyann Dékolé et l’agrégation des revendications populaires
À compter du 22 et 23 mars, l’enjeu est de pouvoir agréger tous les mécontentements dans une plateforme revendicative commune. Un intense travail de tractation va débuter dès le 23 mars, avec une première réunion de coordination. Ainsi 19 collectifs, centrale syndicale et organisations professionnelles se retrouvent dans le comité Pou Lagwiyann Dékolé. Sept thèmes de revendications sont retenus: Éducation, Santé, Insécurité, Foncier, Énergie, Économie et Peuples autochtones. En l’espace de 4 jours, un premier cahier de revendications va être élaboré après consultation de toutes les parties prenantes. Parallèlement, de nombreuses revendications populaires émergent, d’autres collectifs se créent et s’agrègent au comité. Au 28 mars, 39 collectifs, syndicats ou organisations professionnelles sont parties prenantes de Pou Lagwiyann Dékolé. Le mécontentement populaire est tel qu’il est difficile de boucler le cahier de doléances avant l’arrivée des ministres le 29 mars.
- La délégation interministérielle et le refus des négociations
La réaction de l’État français a été en phase avec l’expérience coloniale de la France. Dès le 25 mars, une délégation interministérielle composée de hauts fonctionnaires (préfet, général…) ayant exercé en Guyane a débarqué. Lors d’une réunion dans la nuit du 24 au 25 mars, une position commune de Pou Lagwiyann Dékolé est trouvée : il n’y aura pas de rencontre en dehors du comité avec cette délégation, de plus cette délégation ne comptant pas de ministre dans ses rangs, il n’y aura aucune rencontre avec elle. Cette position radicale va réussir à survivre à l’intense travail de sabotage que tente la délégation interministérielle. Personne, hormis un syndicat agricole, ne va officiellement rencontrer cette délégation. De leur côté, les ministres vont mener une campagne de désinformation et de mépris à l’égard de la mobilisation. Dans un premier temps, ils excluent toute négociation en Guyane et exigent la levée des barrages, les médias français vont faire passer le mouvement pour violent afin de désolidariser la population. Cependant, depuis le début du mouvement, un incroyable calme accompagne la mobilisation. Seul le gazage des forces de l’ordre contre des élus sur le barrage du CSG au tout début du mouvement, ainsi que quelques feux de poubelles lors de la première nuit de blocage sont à déplorer !
- La marche du 28 mars et l’unité d’un pays
La grande marche organisée le 28 mars faisait figure de test de soutien au mouvement. La mobilisation de la population a été exceptionnelle, de l’aveu de la préfecture, ce sont les « plus grandes manifestations qui aient jamais été organisées sur le territoire ». Plus de 20 000 personnes étaient réunies à Cayenne et 5 000 à Saint-Laurent-du-Maroni ; l’aspect le plus marquant de cette manifestation est la présence de toutes les communautés culturelles de Guyane qui marchaient ensemble pour la première fois. Derrière les Amérindiens qui ouvraient la marche, des centaines de drapeaux guyanais suivaient accompagnés de drapeaux brésiliens, haïtiens, dominicains… Un présentateur de Radio Péyi affirmait à juste titre qu’une « nation était née » ce 28 mars. À elle seule, cette mobilisation a fait voler en éclats de terribles préjugés que chacun entretient sur les autres. Même les « 500 frères » ont dû modérer leur propos, annonçant maintenant que « nous sommes tous Guyanais – Brésiliens, Haïtiens, Surinamais, Guyaniens (1)… ». L’autre caractéristique de cette mobilisation est l’incroyable détermination qui s’en dégageait. Pas un instant sans slogans « Nou Gon ke sa » (on n’en peut plus) « Lagwiyann lévé » (Guyane soulève-toi) et des prises de parole de plusieurs heures devant la préfecture.
- L’arrivée des ministres et les tentatives de dislocation du mouvement
Dès la fin de la manifestation, le Premier ministre Bernard Cazeneuve a annoncé l’envoi des ministres des Outre-mer et de l’Intérieur en Guyane pour le lendemain 29 mars. L’incroyable mobilisation populaire a contraint le gouvernement à agir très vite pour tenter de sortir de ce mouvement. L’envoi des ministres s’est accompagné de promesses d’investissement pouvant atteindre 4 milliards d’euros en moins de 10 ans. Dès l’ouverture des négociations le 30 mars, le rapport de force du comité a été intense. Ainsi, avec la mobilisation de la population devant la préfecture, Pou Lagwiyann Dékolé a réussi à introduire les médias durant la première demi-heure de négociations. Peu de temps après, la ministre des Outre-Mer, qui avait été particulièrement méprisante envers les Guyanais depuis le début du mouvement, est sortie sur le balcon de la préfecture pour faire des excuses publiques à la population massée devant le bâtiment. Les prochaines 48 heures seront déterminantes pour le mouvement, les socioprofessionnels et le patronat qui se retrouvent, malgré eux, dans un mouvement qui les a totalement dépassés cherchent à sortir au plus vite. Ils ont d’ailleurs déjà annoncé que s’ils étaient satisfaits ils lèveraient les barrages !
Ce jour, au 31 mars, le collectif a réussi le tour de force de mettre hors jeu les élus politiques. Ainsi, à l’issue d’une rencontre entre Pou Lagwiyann Dékolé et les élus, il a été décidé que les élus ne signeraient aucun document avec l’État tant que le collectif ne l’a pas signé. De plus il est acté qu’ils participeraient aux négociations en tant qu’experts et non en tant que négociateur. Enfin, le collectif vient d’annoncer que tout accord avec le gouvernement devra obtenir une approbation populaire avant signature. Le mouvement passe donc dans une seconde phase, marquée par l’auto-organisation avec une réelle défiance vis-à-vis des élus.
Quelles perspectives pour ce mouvement ?
En tant que militant révolutionnaire, la première préoccupation doit être de faire vivre ce mouvement au-delà du départ des ministres. En effet, si le mouvement survit au passage de ces deux ministres, alors d’autres questions se poseront. L’État français étant actuellement dans une période de vacance de pouvoir, l’échec des négociations signifierait que ce sera le prochain gouvernement qui devra régler le problème guyanais. Or, cette absence d’interlocuteur ouvrira « le champ des possibles » et mettra la question statutaire de la Guyane au centre des enjeux !
Pour ce faire, trois pistes sont à développer :
- Renforcer l’auto-organisation des barrages et des piquets de grève. En effet, il faut que les barrages ne dépendent plus des camions des transporteurs qui barrent la circulation. Des comités d’organisation des barrages doivent être organisés partout et des solutions alternatives doivent être pensées (blocage des barrages avec des véhicules par exemple).
- Organiser un contrôle démocratique de la grève. Il faut que les négociations soient soumises au contrôle populaire. Des assemblées générales doivent être organisées sur chaque piquet avec prise de décision sur la reconduction du mouvement. Pour faciliter cette organisation, chaque entreprise en lutte pourrait se positionner sur un barrage afin d’organiser cette vie démocratique. Enfin, Radio Pèyi pourrait servir de coordinateur grâce à ses moyens techniques afin que toutes les décisions prises puissent converger.
- Mettre en lumière la réalité de la lutte de classe et neutraliser le patronat. Il est quasiment impossible pour le patronat de continuer cette mobilisation et il faut d’ores et déjà se préparer à leur retrait. Là encore, des actions peuvent être réfléchies avec, par exemple, le blocage des entreprises qui chercheraient à lâcher le mouvement. Cette tentative de retrait du patronat doit également être l’occasion de mettre en lumière la réalité de la lutte de classes qui voit les intérêts de classes s’opposer.
Enfin, nous devons réfléchir aux moyens que l’on va utiliser pour imposer la revendication statutaire comme élément incontournable de ce mouvement. Doit-on insister sur les revendications incompatibles avec le statut de DOM, telles que celles du foncier ou des peuples autochtones, ou doit-on davantage se pencher sur les problèmes plus politiques de gouvernance des institutions ou de la démocratie locale ? Cela fait l’objet de débats entre les divers militants révolutionnaires impliqués dans le mouvement. (Cayenne, le 31 mars 2017)
Adrien Guilleau est militant du Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (MDES), syndicaliste de l’Union générale des travailleurs guyanais (UTG), maïeuticien (accoucheur) à l’hôpital de Cayenne. Il fait partie du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et de la IVe Internationale.
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Post-scriptum
«Un rapport de forces avec l’Etat»
Soutenu par toute la population mobilisée, le collectif Pou Lagwiyann dékolé a refusé le 2 avril la promesse d’un milliard d’euros du gouvernement français. « Un milliard proposé sur 10 ans, ça ne fait que 100 millions par an (…). Nous sommes sereins parce que les 2,5 milliards sont un juste milieu, une justice, par rapport à ce qu’il y a à faire pour que la Guyane sorte de cette crise majeure », a affirmé Davy Rimane, secrétaire général de l’UTG éclairage et l’un des porte-parole du collectif. Et il a détaillé : « La dette fournisseur de l’hôpital de Cayenne est de 39 millions d’euros, mais l’État met 20 millions sur la table ». Même constat pour l’éducation. Le gouvernement refuse également la création d’un statut particulier pour la Guyane. « Les limites de l’organisation administrative actuelle ne permettent toujours pas l’efficience attendue dans la mise en œuvre des politiques publiques tant locales que nationales », justifie le collectif. Composée d’une assemblée, d’un conseil exécutif et de conseils particuliers, la collectivité pourrait prendre des décisions dans les domaines de gestion de l’aménagement du territoire, de l’environnement, de la fiscalité locale ou de l’enseignement primaire.
Le 3 avril 2017, Bernard Cazeneuve (Premier ministre) a qualifié d’« irréaliste » la demande du collectif. «L’État a décidé de nous laisser les miettes et, cette fois-ci, on leur a dit non. Nous entrons dans un rapport de forces avec l’État, il faut que l’État se rende compte que le peuple guyanais ne se démobilise pas», commente le collectif.
La grève générale continue. Le 3 avril, la Guyane a connu une journée ville morte à l’appel du collectif. Le 4 avril, dans le village Saramaca de Kourou – « où la fusée décolle, mais nous on n’a pas de lumière », comme l’a résumé un habitant – des dizaines de milliers de Guyanais doivent se rassembler. Les responsables du collectif ont prévenu, la fusée Ariane restera au sol tant que la Guyane ne décollera pas.
En Guyane, c’est toute une population qui se mobilise contre la politique concrète du capital. Solidarité! (Jean Malewski, 3 avril 2017; cet article sera publié dans Inprecor, n° 637-638, mars-avril 2017)
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