Le candidat du Nouveau parti anticapitaliste a bousculé le débat. Considéré comme «petit candidat», il s’est montré au naturel comme le représentant de la classe ouvrière, porteur de la voix des gens normaux pour s’en prendre aux politiques professionnels.
Il a ramé pour avoir ses parrainages, le web a été choqué ces derniers jours du traitement qui lui a été infligé sur France 2 par Laurent Ruquier et son équipe [dans deux émissions intitulées «On n’est pas encore couché» Philippe Poutou a subi un véritable mépris de classe, sous diverses formes, de la part de la journaliste Vanessa Burggraf et de Laurent Ruquier] , et puis il y a eu le débat mardi soir sur BFM et CNews. Philippe Poutou, candidat du NPA, a déroulé quelques «punchlines» où son naturel a fait mouche. L’autre candidate de l’extrême gauche, Nathalie Arthaud pour Lutte ouvrière, ne fut pas en reste, mais Philippe Poutou s’est démarqué à plusieurs reprises. Dans un long débat compliqué, parfois cacophonique, il a réussi à se distinguer.
Au début du débat, le candidat du Nouveau parti anticapitaliste s’est contenté de coller au sens de sa candidature. Ouvrier à l’usine Ford de Blanquefort (Gironde), Philippe Poutou a affirmé «parler au nom de millions de gens», candidat pour «exprimer cette colère d’en bas», ce «ras-le-bol» ressenti par les Français devant une «politique réactionnaire et raciste».
«À part Nathalie Arthaud autour de ces pupitres, je suis le seul à avoir un travail normal, attaque Philippe Poutou d’emblée, et justement on nous met dans la peau du petit candidat, qui ne représente rien, qui n’a pas sa place ici, eh bien, je crois qu’on peut parler, nous, au nom de millions de gens qui souffrent de la crise, de cette société, qui en ont ras le bol de ce rouleau compresseur capitaliste qui détruit tout sur son passage […] exprimer cette colère-là d’en bas contre les ultrariches, des richesses indécentes […] contre ces politiciens corrompus, y en a qui se reconnaîtront ici autour des pupitres.»
Sur l’emploi, Poutou s’est exprimé au nom des chômeurs et des précaires. «On voit qu’il y a de l’argent», «il faut prendre là où il y a de l’argent», a-t-il fait valoir. Une occasion de rappeler la ligne économique de son parti, le NPA. «Nous, on pense qu’il faut des mesures autoritaires.»
Sans chemise, à la différence des huit autres candidats masculins en costume et cravate – il n’y a que deux femmes parmi les candidats, Marine Le Pen et Nathalie Arthaud –, Philippe Poutou est le seul à avoir refusé de figurer sur la photo de groupe au début du débat. Surtout, il a compté parmi les plus offensifs politiquement. Parfois en recadrant ses concurrents au détour d’une réponse. En introduction d’une réponse sur l’Europe, Philippe Poutou précise: «On parle de charges sociales, mais ce sont des cotisations sociales. C’est le financement de la Sécurité sociale dont il est question.» Le tic de langage patronal en est pour ses frais.
Mais c’est particulièrement sur la question de la moralisation de la vie politique que le candidat anticapitaliste s’est distingué. La question avait été rapidement évacuée lors du précédent débat sur France 2 – qui n’opposait que les cinq «grands» candidats: Hamon, Mélenchon, Fillon, Le Pen et Macron. Elle a cette fois-ci donné lieu à de vrais échanges.
«Dassault ne fait pas de prison parce qu’il est trop vieux, c’est la clause humanitaire, tant mieux», estime le candidat, qui poursuit: «À côté de ça, on a Balkany, c’est toute une œuvre, le père, le fils, tout le monde triche… Et là, depuis janvier, c’est le régal Fillon. Il est en face de moi, plus on fouille et plus on sent la corruption et la triche. En plus, c’est des bonshommes qui nous expliquent qu’il faut la rigueur et l’austérité et eux-mêmes piquent dans les caisses publiques.»
François Fillon, candidat LR, tente une timide défense: «On n’accuse pas comme ça.»
Poutou poursuit: «On a aussi Le Pen, pareil, on pique dans les caisses publiques, c’est pas ici, c’est l’Europe. Pour quelqu’un qui est anti-européen, ça gêne pas de piquer de l’argent de l’Europe. Et le FN qui est antisystème ne s’emmerde pas du tout, il se protège grâce à l’immunité parlementaire et refuse d’aller aux convocations policières, donc peinard. Quand on est convoqué par la police par exemple, on n’a pas d’immunité ouvrière.»
Plus tard, alors que Marine Le Pen l’avait attaqué en arguant du fait que les élus syndicaux dans les entreprises n’étaient pas, eux aussi, responsables devant la justice, Philippe Poutou contre-attaque. Le candidat souligne que de nombreux délégués syndicaux sont sous le coup d’une procédure de licenciement en France et poursuivis devant les tribunaux. Laissant Marine Le Pen sans réaction.
Une demi-heure plus tard, Philippe Poutou vise de nouveau Fillon et Macron. Après une tirade sur l’importance des services publics, le candidat NPA se plaint du candidat LR, qui «rémunère ses enfants avec l’argent du contribuable». Poutou se tourne ensuite vers Emmanuel Macron à propos de la pénibilité – le candidat d’En Marche ! compte abandonner le compte pénibilité: «Ça se voit que vous ne connaissez pas grand-chose au travail et que vous ne connaissez pas la pénibilité.» Le réel s’invite à nouveau dans le débat.
Dans son mot de conclusion, Philippe Poutou affirme s’adresser non pas aux Français, mais «à tous les citoyens», c’est-à-dire aussi aux étrangers. «À ceux qui sont en colère», insiste-t-il. Poutou convoque aussi la Guyane, qui a vu jaillir un «mouvement contre la pauvreté et pour les services publics», un mouvement «contre les restes du colonialisme français». «La Guyane montre qu’on peut résister à l’exploitation, à l’accumulation des richesses», ajoute-t-il. «Voter NPA, c’est un vote utile: une perspective de revanche, un combat social, faire payer les riches.» Au premier tour de la présidentielle en 2012, le candidat du NPA avait recueilli 1,15 % des suffrages. Mais il n’avait pas eu l’occasion de débattre avec l’ensemble des autres candidats. (Article publié sur Mediapart, en date du 5 avril 2017)
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