France. «Le retour à la réalité risque d’être brutal»

Par Ivan du Roy

Emmanuel Macron est donc élu Président de la République avec 66% des suffrages exprimés. S’il devient le président le plus jeune de la Ve République, il est aussi le plus mal élu malgré ses 20 millions de voix. Car face à l’extrême droite, il mobilise moins de la moitié des électeurs inscrits, dont une grande partie n’adhère pas à son projet. Ce second tour enregistre également un record d’abstention et de votes blancs et nuls. Une fois l’addictif spectacle électoral terminé, le retour à la réalité risque d’être brutal.

C’était une soirée aux allures de conte de fées: une Marianne soulagée de se voir délivrée des griffes de la bête immonde par un souriant prince charmant. Le plus jeune futur monarque que le royaume ait connu s’est déclaré disposé à la servir, elle et ses sujets, «avec amour». Le dénouement a pris fin sur fond d’Hymne à la joie, la neuvième symphonie de Beethoven, qui incarne aussi l’hymne européen. Heureux épilogue d’une harassante campagne de deux semaines, le prince charmant ayant de justesse échappé à moult sournois maléfices lancés par la créature et ses sbires, avant d’être en mesure de la terrasser.

Les lumières de la salle de spectacle se rallument, les spectateurs sont invités à sortir. «Je ne sais pas si on va y croire longtemps», confiait, lucide, une participante au rassemblement du Louvre, où les fidèles d’Emmanuel Macron ont fêté sa victoire, remportée avec 66% des suffrages exprimés contre la candidate d’extrême-droite.

Celle-ci est loin d’être terrassée. Marine Le Pen a attiré 10,6 millions de voix, soit 4 millions de plus qu’au premier tour. Elle gagne même dans deux départements, l’Aisne et le Pas-de-Calais (où elle réalise plus de 52%). Elle fait plus que doubler le score de son père en 2002. Le FN est désormais en mesure d’envoyer plusieurs dizaines de députés à l’Assemblée nationale, le 18 juin 2017 (deuxième tour des législatives). Quel cuisant échec supplémentaire pour celles et ceux qui ont gouverné pendant ces cinq dernières années ! En cas de renoncement, «une victoire de la gauche dans quinze jours ne sera qu’une parenthèse dans la lente montée d’une droite de plus en plus dure, de plus en plus rigide», après l’élection de… François Hollande.

 

«Elles avaient décidé de marquer le coup quel que soit le président élu. Plusieurs centaines de personnes ont commencé à se rassembler, lundi 8 mai, place de la République à Paris, à l’appel du collectif Front social, afin de marquer leur mobilisation dès le lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron.
Les participants ont répondu à l’appel de sections CGT, SUD ou UNEF et d’associations qui n’ont jamais accepté la fin de la bataille contre la loi travail. «Urgence sociale et écologique», «Pour l’égalité des droits contre un précariat généralisé», affichaient des pancartes, tandis qu’une chorale improvisée chantait «Merci patron» ou «L’Hymne des femmes».

Record d’abstentions et de votes blancs et nuls

Le prince n’apparaît pas comme si charmant pour nombre de citoyens. Emmanuel Macron a rallié les suffrages de 43,6% des inscrits (20,7 millions de voix) face à l’extrême-droite. Il fait, en théorie, mieux que François Hollande en 2012 (39% des inscrits) et engrange deux millions de voix supplémentaires que son prédécesseur, mais ce dernier n’affrontait pas le FN au second tour. Dans la même situation quinze ans plus tôt, Jacques Chirac mobilisait 62% des inscrits! Surtout, une grande proportion de l’électorat a voté Macron par opposition à Marine Le Pen et non par adhésion à son programme ou pour le renouvellement qu’il incarne: ils sont 43% dans ce cas, selon l’étude réalisée par Ipsos, soit 9 millions d’électeurs.

Ajoutez-y les 4 millions de votes blancs et nuls – un record depuis un demi-siècle – et les 12,1 millions d’abstentionnistes (encore un record !), principalement motivés par le refus de choisir entre les deux programmes proposés, et le conte de fées prend des airs de scénario noir pour les cinq années à venir.

D’autant que, jusqu’à preuve du contraire, le plus jeune président de l’histoire de la Ve République ne s’apprête pas à mener une politique bien différente de celle de ses prédécesseurs. Avec les résultats que l’on sait.

Pour les électeurs et électrices qui ne souhaitent ni l’extrême droite, ni le maintien de l’ordre existant par des politiques d’austérité menées avec plus ou moins de brutalité, leur préférant de véritables perspectives de changements sociaux et écologiques, l’histoire est loin d’être terminée. Le «3e tour» de cette longue campagne électorale se déroulera les 11 et 18 juin, afin d’élire l’Assemblée nationale. A la gauche, dans sa diversité et malgré ses désaccords, de prendre ses responsabilités. Car dans cinq ans plus aucun conte, aucune saga, aucune fresque, aussi bien écrits et mis en scène soient-ils, ne résistera aux incendies. Ceux-ci, on l’a vu, risquent bien alors de mener au pire. (Publié sur Basta, le 8 mai 2017)

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