A première vue, le renouveau politique apparaît total et incontestable. Mais il s’agit d’un mouvement de type astral, avec retour au point d’origine: un régime conforté par l’élection du président de la République chef de l’Etat au suffrage universel.
Pouvoir resserré et renforcé du chef de l’Etat, hésitant entre la nécessaire verticalité de la fonction et une franche dérive monarchique. Majorité absolue en dehors plutôt qu’au-dessus des partis, sans frondeurs ni contestation interne, sauf une opposition croupion avec une poignée de ténors entravés. Chambre (d’enregistrement?) à dominante de cadres supérieurs, d’entrepreneurs ou d’entreprenants en tous genres. Gouvernement d’experts et de professionnels à la réussite exemplaire, sans grosses pointures politiques. Garde rapprochée de technocrates énarques et surdiplômés.
Et un mode de gestion des affaires publiques appelé à s’aligner sur les pratiques du privé et du monde des entreprises naissantes. Au total, un changement de dynastie plutôt qu’un bouleversement.
Avec un fumet de saint-simonisme et un parfum d’Empire libéral, l’avènement aux commandes de l’Etat d’une nouvelle classe industrielle en lieu et place des apparatchiks et groupies des vieux partis politiques. La promotion de l’élite économique moderniste et mondialisée pour mener sans intermédiaire une politique libérale et européenne, en procédant à une révolution en profondeur de nos modèles, organisations et comportements.
Accentuation de la précarité
Priorité sera donc donnée à la réforme du travail, réputée la mère des réformes. Gage concédé aux marchés, agences de notation et autres organismes internationaux, au chœur des économistes officiels, qui y voient la pierre philosophale, mais surtout à Berlin et à Bruxelles. Plutôt que préoccupation majeure des entreprises, notamment petites, comme en témoigne l’enquête récente de l’Insee sur «les barrières à l’embauche».
Cette réforme n’aura d’effets sur l’emploi que tardifs et incertains, mais elle accentuera encore la dualisation du marché du travail et la précarité. Elle risque par ailleurs d’être édulcorée au fil de la concertation avec des syndicats moins intransigeants (Force ouvrière notamment) du fait des circonstances politiques. Et elle s’inscrit dans une suite déjà longue d’aménagements partiels, dont l’économiste Olivier Passet, de l’institut d’études économiques Xerfi, conclut que la négociation actuelle marque moins une rupture [1] qu’elle «ne prolonge une mue incrémentale».
Le programme de la République en marche n’est guère explicite sur l’élagage de la dépense publique, ni sur les voies et moyens d’une refonte de la formation professionnelle ou du suivi des chômeurs et de la sécurisation des parcours des actifs: vieilles ritournelles et cadavres exquis au cimetière des bonnes intentions.
Quant à la protection sociale, on entend curieusement, sous le couvert du libéralisme, de l’initiative et de la responsabilité individuelles, poursuivre et accélérer son étatisation et le dépérissement progressif de son pan assurantiel.
Prolétarisation de la société
Même remarque pour le cadeau macronien par excellence, la quasi-suppression de la taxe d’habitation: elle accentuera la mise sous tutelle des collectivités locales [qui disposeront de ressources amoindries] et réduira un peu plus le nombre de contribuables qui acquittent l’impôt direct.
Au point qu’on a pu parler de prolétarisation de la société (au sens romain du terme – soit le citoyen de la dernière des six classes du peuple, sans droit et propriété, exclu pour l’essentiel des charges politiques – Réd. ), qui ne serait pas sans liens avec la montée de l’absentéisme électoral et rétablirait une manière de suffrage censitaire de style orléaniste!
Au flou de beaucoup de mesures annoncées (assurance-chômage, opération augmentation de la CSG –la Contribution sociale généralisée est un impôt prélevé sur les revenu d’activité et le revenus de remplacement (comme allocations chômage, pensions d’invalidité, Réd.) s’ajoute une absence de priorités claires, par exemple entre relance de la consommation et amélioration de la compétitivité. Peut-on viser en même temps les deux objectifs sans buter rapidement sur la contrainte financière? Celle-ci n’a d’ailleurs pas tardé à se rappeler au souvenir des responsables.
Les difficultés récurrentes des régimes de retraite vont obliger à de nouveaux colmatages, ces rustines honnies chères aux prédécesseurs. La réforme ambitieuse, à la scandinave, qui, en tout état de cause, ne peut être que progressive, en sera retardée d’autant.
Autre douche froide: l’audit de la Cour des comptes sur les «insincérités» de la gestion Sapin-Eckert [évaluation par la Cour à 9 milliards d’euros manquant pour permettre au gouvernement Macron-Philippe de respecter l’engagement de réduction des déficits – Réd.] du précédent gouvernement va obliger à de nouvelles coupes dans la dépense publique et à un échelonnement, sinon un abandon, des allégements promis des impôts et cotisations sociales.
«Alignement des planètes »
Et derrière se profile le gros bâton européen. Au-delà des roucoulades du couple franco-allemand et des bonnes paroles préélectorales de la chancelière qui n’engagent personne, les exigences, aggravées par l’intempérance budgétaire finale du quinquennat Hollande, persistent: retour du déficit budgétaire sous la barre des 3 % du produit intérieur brut, baisse du déficit structurel, stabilisation, puis recul de la dette. Des règles que le président Macron, lui-même, s’est engagé à respecter scrupuleusement, sans tangible contrepartie pour l’heure, sauf son combat victorieux contre l’hydre populiste. Il s’ensuivra deux ou trois ans de (relative) austérité supplémentaire.
En contrepartie, le pouvoir bénéficiera d’un «alignement des planètes» assez favorable (prix du baril de pétrole, change, taux de l’argent) et de la reprise économique en cours, dont le rythme de près de 2 % atténuera cette année la dégradation de nos comptes publics. A terme, la mise en œuvre effective des baisses d’impôt sur les sociétés, les plus-values et le capital devrait rehausser le potentiel de croissance, qui a été durement atteint sous le quinquennat précédent.
S’annonce donc, en fin de compte, une révolution économico-sociale en trompe-l’œil et à petits pas: la «bourgeoisie managériale» conduit, mais à visage découvert, la politique de la fin du mandat de François Hollande. Avec le retour du classique petit train de la réforme à la française, malgré les coups de clairon de la communication officielle, le discours attrape-tout et la musique de charme élyséens. (Publié dans Le Monde, daté du 7 juillet 2017)
Emmanuel Devaud a été directeur des études de la chambre de commerce et d’industrie de Paris de 1963 à 1993.
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[1] Ce dernier dans un papier de Xerfi datant du 26 juin 2017 écrit : «Le modèle français ne cesse depuis de se teinter d’éléments renforçant d’un côté les droits de la personne…. (le DIF (Droit individuel à la formation) par exemple, instauré en 2004 et converti avec la loi El Khomri en CPF (Compte personnel de formation), et de l’autre côté les possibilités de déroger à la loi par des conventions (c’est le cas des heures sup depuis la loi du 17 janvier 2003). Et tout cela est monté peu à peu en puissance avec la loi du 4 mai 2004. A tel point qu’il est réellement difficile de dire, si la négociation qui a cours aujourd’hui marque une rupture, ou prolonge une mue incrémentale.» (Réd. A l’Encontre)
[2] Les tenants d’une contre-réforme d’ampleur, «populaire et autoritaire», font la critique – et donc souligne quelques questions effectives des obstacles se dressant sur la voie empruntée par le gouvernement Macron-Philippe, la «personnalité remarquable» qu’ils espéraient. Pour saisir le sens de la tribune de Emmanuel Devaud, dans Le Monde, voici en complément, la conclusion de son article publié dans la revue Le Débat (2016/3. N° 190, p.175-178), intitulé «Un universel désordre»: «On peut douter, toutefois, que ces réformes dites structurelles, à supposer qu’elles soient réellement efficaces, suffisent, le temps d’un quinquennat, à rendre à notre économie dynamisme et compétitivité et aux Français un peu de la fierté et de la confiance perdues. Comme de la capacité des nouveaux responsables à assurer concorde et sécurité intérieures en cette «ère des événements extrêmes», si l’on en juge par leur passé ou leurs nouvelles professions de foi. Ce qui, à plus ou moins longue échéance, pourrait ouvrir la voie, selon une séquence déjà vécue, à une gouvernance plus populaire et autoritaire, confiée à une personnalité remarquable, mais qui, pour l’heure, ne s’est toujours pas révélée.» (Réd. A l’Encontre)
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