Migrations. «Le pacte mondial» ne «changera rien pour les migrants»

Louise Arbour, juriste canadienne, «est représentante spéciale pour
les migrations» auprès du Secrétaire général de l’ONU et a présidé
le «Pacte mondial pour les migrations»

Claire Rodier, propos recueillis par Marie Verdier

«Depuis de longues années, l’ONU essaie de créer des plateformes de discussion et de rapprocher les positions des Etats sur les migrations. Ce Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, adopté à Marrakech [le 10 décembre 2018 par 165 pays], est le plus petit dénominateur commun entre les pays. Il ne changera rien pour les migrants. C’est bien parce qu’il ne remet nullement en cause leurs politiques que tant d’Etats l’ont signé.

Le texte, qui n’est pas juridiquement contraignant, réaffirme que les Etats sont souverains en matière de migrations. Et l’on ne voit vraiment pas comment la justice pourrait s’en revendiquer. A l’instar de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui, dans son article 13, affirme que «toute personne a le droit de quitter tout pays», mais sans dire un mot sur le droit de franchir une frontière. Elle est depuis 1948 sans application effective.

En rappelant dans le préambule du pacte que les migrations sont «facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable», l’ONU ne formule pas une opinion mais fait état d’un constat – à savoir que la mobilité est favorable à l’économie – qui se base sur une montagne d’études. Ces évidences ont cependant exacerbé l’hostilité à l’encontre des migrant·e·s. Elles ont libéré une sorte d’hystérie conspirationniste de la part de l’extrême droite qui agite un chiffon rouge imaginaire dans plusieurs pays et ont même légitimé des paroles ouvertement racistes et xénophobes de la part de plusieurs dirigeants politiques. A tel point que nous, les ONG, si critiques sur le contenu et l’utilité du pacte, sommes contraintes de le défendre. Alors même qu’il ne peut enrayer la dégradation continue de la situation des migrants.

Le pacte peut bien afficher dans ses objectifs le fait de sauver des vies, de retrouver les disparus, ou de ne recourir au placement en rétention administrative qu’en «dernier ressort», au nom de la souveraineté, les Etats, à commencer par ceux de l’Union européenne, mènent des politiques migratoires contraires aux ambitions proclamées. Ainsi les opérations de surveillance ont-elles succédé aux opérations de sauvetage, et les morts en mer ont augmenté.

L’enfermement des migrant·e·s est devenu prépondérant. Au moment où elle signe le pacte, la France [les autorités suisses, après avoir copiloté les réunions, diplomatie onusienne et intérêts de la «place de Genève» obligent, ne «s’associent pas à ce pacte» face aux attaques délirantes contre ce Pacte anodin qui fusent] met en œuvre le doublement de la durée de rétention, passée à 90 jours, depuis l’entrée en vigueur de la loi Collomb le 10 septembre 2018. Et ce au nom d’une dite «crise migratoire» qui n’existe pas. Un peu plus de 100’000 arrivées, cette année, sont dérisoires au regard des plus de 500 millions d’habitants de l’UE. La crise des «gilets jaunes» a bien montré que la question des migrants n’était pas centrale comparée aux enjeux économiques et sociaux. (Propos publiés dans La Croix, le 18 décembre 2018)

Claire Rodier est juriste, directrice du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) et co-fondatrice du réseau euro-africain Migreurop.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*