Etats-Unis-Dossier. «Medicaid dans le viseur de Trump et des plans conservateurs. Ce programme assure un Américain sur cinq»

Par Kim Krisberg

Il y a une dizaine d’années, Fred Blackman II a été hospitalisé à la suite d’une hernie discale qui menaçait de le paralyser. Le révérend d’Austin, au Texas, y a passé les cinq mois suivants, subissant cinq opérations du dos, souffrant d’une douleur extrême et d’une infection cérébrale. Il a failli mourir.

Une fois sorti de l’hôpital, il a repris une existence qu’il ne reconnaissait pas. Il avait perdu son emploi dans une compagnie d’assurances, sa couverture médicale et sa maison, et son mariage était en train de sombrer. Il pouvait à peine marcher et devait plus de 500 000 dollars de frais médicaux.

Avec l’aide de l’hôpital, il a obtenu une couverture Medicaid d’urgence [1], mais celle-ci est arrivée à échéance au bout de quelques mois. Il avait désespérément besoin de soins de santé et d’une thérapie. «Je n’avais rien», dit-il.

Le révérend, aujourd’hui âgé de 51 ans, a fini par sortir de la détresse, mais les conséquences sur sa santé et sur situation financière persistent. Fred Blackman dit avoir mieux compris l’importance de l’accès à des soins de santé financièrement abordables, ainsi que le rôle du gouvernement dans la fourniture des prestations de soins. Il est aujourd’hui un défenseur ouvert de l’élargissement de l’accès aux soins de santé au Texas et dans le pays.

Si le Texas avait élargi la couverture Medicaid pour les adultes à faible revenu dans le cadre de la loi sur les soins abordables, comme l’ont fait 40 autres Etats et Washington (District de Columbia), Fred Blackman aurait facilement pu bénéficier de la couverture des soins dont il avait besoin. [Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur les soins abordables (Obamacare) en 2010, 40 Etats ont élargi l’accès à Medicaid. Dix ne l’ont pas fait, laissant des millions d’Américains sans assurance maladie. D’où le débat présent sur l’extension de l’accès à Medicaid.]

D’autres Américains pourraient se retrouver dans la situation de Fred Blackman – non assurés, en difficulté financière et exclus du plus grand filet fédéral de sécurité en matière de soins de santé – si les principales orientations du programme républicain se concrétisent.

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Trois projets importants – le rapport Project 2025 de la Heritage Foundation, le plan budgétaire du Comité d’étude républicain pour l’exercice 2025 et la proposition de résolution budgétaire de la Chambre des représentants pour l’exercice 2025 – proposent tous des réductions et des modifications de Medicaid qui ont plus de chances de se produire sous une administration Trump et un Congrès républicain. Certains chercheurs affirment que les trois plans réduiraient les fonds fédéraux alloués à Medicaid et supprimeraient le complément fédéral de 90% pour les personnes inscrites à l’extension de Medicaid.

Dans des entretiens avec Public Health Watch, des économistes de la santé et des experts politiques ont déclaré que ces plans feraient grimper le pourcentage de non-assurés et mettraient à rude épreuve les hôpitaux et les prestataires de soins de santé qui s’occupent des patients non assurés et des bénéficiaires de Medicaid.

Les personnes les plus susceptibles d’être touchées seraient celles qui ont le moins de ressources pour obtenir une assurance maladie autrement, par exemple auprès d’un employeur privé ou au travers du Health Insurance Marketplace [en cas de perte de Medicaid, pour revenus jugés trop élevés, un système «d’aide» pour contracter une assurance privée est présent dans les Etats].

Certaines de ces propositions, comme la réduction des fonds fédéraux alloués à Medicaid et l’imposition d’une obligation de travail aux bénéficiaires, sont depuis des années des chevaux de bataille des républicains. Cette dernière proposition a fait l’objet d’un recours devant un tribunal fédéral au cours de la première administration Trump et elle a été rejetée.

Dans sa course actuelle à la Maison Blanche, Donald Trump n’a pas parlé spécifiquement de ses projets pour Medicaid. Il a de plus nié toute connexion avec le Projet 2025. Pourtant, un rapport du New York Times (22 octobre) a révélé de nombreux liens entre ce projet et sa campagne. Sur la base des actions menées au cours de son premier mandat – notamment les tentatives d’abrogation de l’ACA (Affordable Care Act, dit Obamacare) et de l’extension de Medicaid – les analystes politiques estiment que Medicaid sera à nouveau une cible si Trump est élu le 5 novembre.

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Nicole Huberfeld, professeure de droit de la santé à la faculté de droit et à l’école de santé publique de l’université de Boston, a déclaré: «Je pense qu’ils pourraient utiliser la même stratégie que lors de la première administration Trump. Cela pourrait simplement se produire plus rapidement cette fois-ci parce qu’ils ont déjà un plan pour les politiques qu’ils veulent.»

Les trois plans conservateurs mentionnés affirment que le financement de Medicaid a besoin d’être réformé pour faire face à l’augmentation substantielle des dépenses fédérales qui lui sont consacrées.

«Cette croissance débridée des dépenses de Medicaid est insoutenable», déclare la proposition de budget de la Chambre des représentants. En effet, le Congressional Budget Office prévoit que les dépenses liées à Medicaid augmenteront de plus de 60% au cours de la prochaine décennie [«The Budget and Economic Outlook: 2024 to 2034»], pour atteindre 898 milliards de dollars, soit 2,2% du produit intérieur brut.

Les plans du GOP (Grand Old Party, Parti républicain) citent également quelques études qui ont montré que, dans certains cas, les bénéficiaires de Medicaid sont plus susceptibles d’avoir de médiocres résultats en matière de santé que les non-assurés, et que les programmes d’extension des soins de santé ont des effets minimes sur la santé. Une analyse de près de 200 études réalisée par KFF (Kaiser Family Foundation), un groupe de réflexion à but non lucratif, a révélé que l’extension de Medicaid profite aux patients souffrant de nombreuses pathologies, allant du cancer à la santé mentale.

Interrogée sur l’impact du Projet 2025 et des plans du GOP sur le champ de couverture par Medicaid, la Heritage Foundation s’est refusée à tout commentaire. Une porte-parole a déclaré qu’elle ne commentait pas les informations relatives aux élections car, en tant qu’organisation à but non lucratif (501(c)(3)), il lui est interdit de s’impliquer dans des campagnes électorales.

Une porte-parole du Republican Study Committee et son président, le représentant Kevin Hern (républicain de l’Oklahoma), n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.

Les enjeux sont considérables. En juin, près de 73 millions d’adultes et d’enfants [auxquels il faut ajouter les 7,2 millions d’enfants bénéficiaires du CHIP], soit plus d’un Américain sur cinq, dépendaient de Medicaid pour bénéficier de soins de santé financièrement abordables. Ce programme d’assurance fédéral et étatique prend en charge plus de 40% des naissances aux Etats-Unis, fournit une couverture complémentaire à 7,2 millions de personnes âgées pauvres et assure plus de 10 millions de personnes handicapées.

Depuis près de 60 ans, Medicaid couvre plus d’Américains que Medicare, le programme d’assurance pour les personnes âgées de 65 ans et plus.

Selon certains experts, les projets des conservateurs entraîneraient probablement une réduction radicale de Medicaid et déstabiliseraient un élément essentiel du système de santé du pays.

«Des dizaines de millions de personnes pourraient ne plus être assurées du tout ou perdre l’accès aux soins dont elles ont besoin», a déclaré Edwin Park, professeur auprès du Center for Children and Families de l’université de Georgetown.

Plafonnement des subventions au Medicaid

Après que le Covid-19 a plongé le pays dans la récession, les listes de bénéficiaires de Medicaid dans les Etats ont atteint des niveaux record, accueillant des millions d’Américains qui se sont soudainement retrouvés sans emploi et n’avaient pas les moyens de s’offrir une assurance maladie.

Ce bond des inscriptions n’était pas une surprise. Le nombre de bénéficiaires à Medicaid augmente généralement en cas de récession économique grave, comme lors de la Grande Récession de la fin des années 2000.

Les programmes Medicaid des Etats peuvent réagir rapidement en cas de crise économique, car les Etats ont conclu un accord avec le gouvernement fédéral: celui-ci paie un pourcentage des coûts de Medicaid supportés par un Etat, quel que soit le nombre de personnes qui s’inscrivent. Les Etats se voient ainsi garantir une certaine proportion de leurs dépenses.

Le pourcentage pour Medicaid traditionnel varie selon les Etats, allant de 50% à 78%, d’après la Kaiser Family Foundation (KFF). Pour les personnes couvertes dans le cadre de l’extension – adultes à faible revenu, femmes non enceintes, sans personne à charge ni handicap – le gouvernement fédéral prend en charge 90% des coûts.

Selon le professeur Edwin Park, cette souplesse pourrait s’estomper dans le cadre des propositions conservatrices, car celles-ci utiliseraient des subventions forfaitaires ou des plafonds par habitant pour limiter les fonds fédéraux alloués à Medicaid.

Les subventions forfaitaires permettraient aux programmes Medicaid de «bénéficier» d’un montant fixe de fonds fédéraux au lieu d’un pourcentage des coûts d’ensemble. Le risque est que si les Etats doivent faire face à des demandes inattendues en matière de Medicaid, par exemple à la suite d’une catastrophe naturelle ou d’une nouvelle thérapie médicamenteuse coûteuse, ils pourraient être tenus de payer 100% des coûts.

Les plafonds par habitant sont semblables, car les Etats recevraient un montant fixe de dollars fédéraux par bénéficiaire. Le plan «Project 2025» prévoit également des limites à vie pour les prestations Medicaid.

Selon Edwin Park, les plans du Parti démocrate ne précisent pas comment les subventions ou les plafonds seraient mis en œuvre. Mais de telles mesures sont généralement conçues pour générer d’importantes économies au fil des ans, car les Etats voient diminuer le flux des fonds fédéraux alloués à Medicaid.

Les trois plans réduiraient également le taux fédéral de 90% pour les personnes couvertes par l’extension de Medicaid, qui, en février de cette année, couvrait plus de 23 millions de personnes.

«Il s’agit d’une réduction considérable», a déclaré Edwin Park. «En fin de compte, la plupart des Etats devraient probablement renoncer à l’extension, car il s’agit d’un transfert de coûts très important.»

L’administration Trump a tenté de réduire le financement de Medicaid à l’aide de la procédure budgétaire et du processus de dérogation à Medicaid [par exemple conditionnalité d’accès par le travail], mais elle n’y est pas parvenue. Selon Edwin Park, en cas de réduction importante, les Etats pourraient devoir faire face à des choix difficiles: augmenter le financement de l’Etat, peut-être en augmentant les impôts, ou réduire les services Medicaid et les conditions à remplir pour en bénéficier.

Benjamin Sommers, professeur d’économie de la santé et de médecine à Harvard, explique que la réaction de certains Etats pourrait être illustrée par le récent «dévidage» de Medicaid, au cours duquel les Etats ont recommencé à retirer des personnes inscrites après avoir suspendu le processus pendant la pandémie.

Le Texas, par exemple, a adopté une approche agressive, retirant plus de 2 millions de personnes des listes de Medicaid, dont la plupart étaient des enfants. Une enquête du Texas Tribune et de ProPublica (26 septembre) a révélé que l’Etat avait ignoré les directives fédérales visant à empêcher les Texans admissibles d’être désinscrits.

«J’imagine que, dans certains Etats, il s’agirait d’une surenchère vers le moins-disant», a déclaré Benjamin Sommers. «Ceux qui sont désireux d’avoir des programmes Medicaid réduits agiront rapidement.»

Les coupes budgétaires fédérales pourraient également entraîner une augmentation des taux de non-assurance. L’extension de Medicaid couvre à elle seule des dizaines de millions de personnes.

Les nouveaux non-assurés peuvent se tourner vers des programmes de protection déjà limités, tels que les centres de santé qualifiés au niveau fédéral (federally qualified health centers ou FQHC). Mais les recherches montrent que le fait d’avoir une assurance maladie est associé à de meilleurs résultats en matière de santé et à une vie plus longue. Une vague de perte de couverture aggraverait probablement toutes sortes de problèmes de santé, a déclaré Benjamin Sommers.

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Fred Backman. (Credit: Blaine Young)

Lorsque Fred Blackman, le révérend d’Austin, a perdu son assurance maladie, ses prestataires lui ont recommandé de se rendre à la People’s Community Clinic, un FQHC local qui s’occupe des résidents non assurés.

Il attribue à cette clinique, dont il est aujourd’hui le président du conseil d’administration, le mérite de lui avoir sauvé la vie et de l’avoir sorti d’une profonde dépression. Mais elle ne peut pas fournir tous les soins spécialisés complexes dont Blackman a besoin.

Après deux ans sans assurance et des tentatives infructueuses pour bénéficier de Medicaid au Texas, il a pu bénéficier de Medicare en raison de ses nouveaux handicaps. Mais cette assurance ne couvre pas ses frais autant que Medicaid, si bien qu’il dépend de sa famille, de ses amis et de son église pour l’aider à combler l’écart.

Il a de la chance. En 2020, ils ont collecté 10 000 dollars pour sa dernière opération du dos. Ses os avaient enfin suffisamment cicatrisé pour que les médecins puissent insérer les vis et les plaques de métal nécessaires pour consolider sa colonne vertébrale. Il avait repoussé l’opération pendant plus d’un an parce qu’il n’avait pas les moyens de payer les frais d’assurance maladie.

«Combien de personnes sont dans ma situation? demande Fred Blackman. «Je vois des sans-abri en fauteuil roulant et je me dis: Cela aurait-il pu être moi si je n’avais pas eu de famille ou d’église.»

Les effets dans chaque Etat

Medicaid est la plus grande source de couverture médicale aux Etats-Unis. Si les propositions républicaines et de droite concernant Medicaid devenaient réalité, aucun Etat ni aucune communauté ne seraient épargnés.

Selon Timothy McBride, économiste de la santé et professeur à l’université Washington à St Louis (Missouri), un Medicaid avec une subvention plafonnée conduirait les Etats à manquer d’argent. «Est-ce la faute du programme Medicaid si les coûts des soins de santé augmentent autant? Je ne pense pas que ce soit le cas.»

Les zones rurales, qui ont généralement des taux de non-assurance plus élevés que les zones urbaines, pourraient être particulièrement touchées, selon Timothy McBride. Près de la moitié des enfants et un adulte sur cinq dans les petites villes et les zones rurales dépendent de Medicaid ou de CHIP, selon un rapport de l’université de Georgetown.

Le passage à des subventions plafonnées ne serait pas chose aisée. Les présidents républicains Ronald Reagan et George W. Bush ont proposé un tel changement, mais leurs efforts ont échoué. Au cours du premier mandat de Trump, les élus du GOP ont soutenu des projets de loi visant à abroger la loi sur les soins abordables (Affordable Care Act, Obamacare) qui comprenaient également des mesures visant à bloquer ou à plafonner les subventions fédérales allouées à Medicaid.

Nicole Huberfeld, professeure de droit de la santé à Boston, explique que l’accord de financement entre le gouvernement fédéral et l’Etat pour Medicaid est inscrit dans la loi et que, pour le modifier, les républicains auraient besoin d’un nombre suffisant de voix au Congrès et d’un président disposé à signer le projet de loi.

Selon elle, la façon dont est rédigée la loi sur Medicaid implique qu’il est difficile de la changer substantiellement. Mais une nouvelle administration Trump pourrait essayer de contourner le Congrès, en utilisant des tactiques qu’elle avait essayées lors de son premier mandat.

Dans le cadre de Medicaid, les Etats peuvent demander des dérogations fédérales, ce qui leur donne la possibilité d’essayer différentes nouvelles approches dans la mise en œuvre du programme. Vers la fin du mandat de Trump, les Centers for Medicare and Medicaid Services ont utilisé leur pouvoir de dérogation pour approuver un projet restructuré dans le Tennessee qui a plafonné la quasi-totalité des fonds fédéraux alloués à Medicaid dans cet Etat pendant une décennie. […]

On ne sait pas exactement comment un autre mandat de Trump s’attaquerait à Medicaid. Mais Edwin Park, de Georgetown, a déclaré que la suppression du programme pourrait être envisagée comme un moyen de compenser les coûts de l’extension des réductions d’impôts de l’ère Trump, qui expirent en 2025. «En fin de compte, je pense que l’objectif est de réduire considérablement Medicaid», a déclaré Edwin Park à propos des efforts déployés par les conservateurs au fil des ans.

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Fred Blackman, le révérend d’Austin, sait mieux que quiconque ce que signifie vivre dans un Etat où le programme Medicaid est réduit à sa plus simple expression.

Au Texas, les adultes à faibles revenus qui ne sont pas enceintes ou en post-partum, qui n’ont pas de personnes à charge ou qui ne sont pas handicapés n’ont pas droit à Medicaid. Les parents d’un foyer de quatre personnes n’y ont pas droit s’ils gagnent plus de 4000 dollars par an. Les dirigeants républicains de l’Etat s’opposent à l’extension de Medicaid.

Le Texas a le taux de non-assurance le plus élevé du pays, ce que Fred Blackman considère comme une honte.

Son expérience personnelle a fait de lui un défenseur acharné de l’amélioration de l’accès aux soins de santé dans l’Etat où des générations de sa famille ont vécu. Il rencontre les élus à Austin et se rend à Washington pour raconter son histoire.

Au Capitole, dit-il, les mots «extension de Medicaid» ne sont plus d’actualité, même si les sondages montrent que la plupart des Texans y sont favorables.

Il ne laisse pas décourager, puisant sa force dans son verset biblique préféré, qui dit que «les choses anciennes sont passées, et toutes les choses sont devenues nouvelles. Je sais que je suis sur la bonne voie. Je sais que la défense des soins de santé pour le peuple de Dieu est quelque chose qui doit être fait.» (Article publié sur le site Public Health Watch le 1er novembre 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

[Cette histoire fait partie de «Uninsured in America», un projet collaboratif mené par Public Health Watch qui se concentre sur les personnes ayant peu ou pas d’assurance maladie et sur les dix Etats qui n’ont pas élargi Medicaid dans le cadre de la loi sur les soins abordables (Obamacare). Kim Krisberg, qui codirige le projet, est rédactrice pour Public Health Watch et traite les politiques de santé publique et de recherche depuis vingt ans.]

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[1] Medicaid un programme qui a pour but de fournir une assurance maladie aux individus et aux familles à faible revenu et ressource ou les personnes handicapées. Le programme est géré par les Etats et subventionné par le gouvernement fédéral. Le nombre de personnes au bénéfice de Medicaid et du «Medicaid enfants» (Children’s Health Insurance Program-CHIP) en juillet 2024 s’élevait à 80 millions (72,5 pour Medicaid, 7,2 pour CHIP). La croissance de ce nombre au cours de la dernière décennie a été importante, ce qui traduit la paupérisation de secteurs de la société états-unienne.

Le programme Medicaid d’urgence auquel a eu droit Fred Blackman II. Ce programme prend en charge les frais de santé des personnes qui ont vécu une urgence médicale. Un médecin doit déterminer si une maladie ou une blessure constitue une urgence médicale. En général, une urgence médicale est une condition qui pourrait mettre la santé d’une personne en danger grave sans soins médicaux immédiats. Toutes les conditions médicales graves ne sont pas considérées comme des conditions médicales d’urgence en vertu de la loi. (Réd.)

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A Chicago, «la ville la plus ségréguée des Etats-Unis», le blues des électeurs africains-américains

(Photo by Bill Healy)

Par Pierre Barbancey (Chicago, envoyé spécial)

Dans le South Side de la ville de Barack Obama, le soutien des communautés africaines-américaines au Parti démocrate commence à s’éroder. Certains veulent suivre Donald Trump, séduits par son discours contre les migrants, accusés de recevoir toutes les aides au détriment des populations locales. D’autres, au contraire, vont voter pour Kamala Harris, parce que femme et Noire.

D’un côté une architecture brillante, faite de monuments anciens et de tours modernes, des briques du XIXe siècle et des matériaux du nouveau millénaire. Des ponts à bascule d’antan sous lesquels passe la Chicago River, aussi appelée Main Stem. Sur près de trois kilomètres, les rives ont été aménagées pour la promenade des riverains comme des touristes. Au bout, le lac Michigan. C’est Downtown Chicago. Une vitrine de luxe pour le monde entier.

Il existe un envers de ce décor, moins glamour, moins attirant mais sans doute plus vibrant. C’est le South Side, qui regroupe les quartiers de Chicago autrefois des bidonvilles où ont été parquées les populations noires venues du Mississippi, de l’Alabama ou de l’Arkansas à partir de 1910 et jusqu’en 1970. Ces familles cherchaient un avenir meilleur – attirées par l’industrialisation créatrice d’emplois – et fuyaient le racisme. Mais le phare s’est avéré n’être qu’un mirage, la ségrégation ayant cours également au Nord.

Assassinats policiers et arrestations arbitraires

Cofondatrice de Black Lives Matter à Chicago et codirectrice du Centre de justice contre la torture à Chicago (Chicago Torture Justice Center), où nous la rencontrons, Aislinn Pulley dénonce la réalité de «la ville la plus ségréguée des États-Unis». «Le salaire annuel moyen d’un Blanc est de 70 000 dollars. Pour un Noir, c’est 30 000 dollars, moins de la moitié, calcule-t-elle. Et c’est un exemple de l’extrême pauvreté disproportionnée qui afflige les communautés noires dans la ville.» Le corollaire de ces inégalités sociales réside dans «un énorme service de police».

Aislinn Pulley relève ainsi que «pendant des années, nous avons été en tête pour les meurtres de Noirs commis par la police». Assassinats policiers, arrestations arbitraires et condamnations ahurissantes, sans parler de ce qui ne s’apparente plus à de la violence mais bien à de la torture.

Quarante-deux ans après les faits, David Lincoln est toujours aussi ému lorsqu’il nous raconte ce qui lui est arrivé alors qu’il n’avait que 16 ans. Arrêté en 1982 par deux policiers alors qu’il sortait d’une soirée, il a été emmené au «Gang Unit», un sas de torture, avant d’être remis dans le circuit judiciaire officiel puis condamné à dix ans de prison pour tentative de meurtre malgré ses dénégations.

Et pourtant, la ville et l’Etat sont «bleus», c’est-à-dire dirigés par le Parti démocrate. D’où une perception différente et surtout changeante chez les habitants des quartiers sud de la ville. Devant une église sur Michigan Street, à Woodlawn, quartier pauvre où les chômeurs sont légion, un panneau donne le ton au cas où certains l’auraient oublié: «Black lives still matter» (les vies noires comptent encore).

«La plupart des gens ici sont en colère contre le Parti démocrate»

C’est là qu’Eloise Beasley, 76 ans, vient chaque vendredi. Une distribution alimentaire y est organisée par des organisations caritatives. Comme elle, ils sont des dizaines à faire patiemment la queue, un morceau de papier portant un numéro dans la main. Raisin, pommes de terre, salades… Eloise remplit sa petite valise à roulettes.

Une croix autour du cou, vêtue d’un treillis camouflage de l’armée américaine, casquette vissée sur la tête, elle dit son manque d’argent pour acheter de la nourriture, parle du cancer qui la ronge, elle qui a travaillé pendant plus de vingt ans dans les champs de coton du Mississippi. Le 5 novembre, elle ira voter pour Kamala Harris «sans hésitation». Elle s’étonne même de la question et préfère «ne pas dire des choses négatives sur les gens» lorsqu’on évoque la figure de Donald Trump.

Jasmine Smith, 35 ans, est plus hésitante. Elle habite à Bronzeville, non loin de Woodlawn. Cette postière est révoltée par l’attitude de la police. Deux de ses amis d’enfance ont été condamnés à des peines de plusieurs dizaines d’années de prison, accusés de meurtre. «Il n’y a pas assez de ressources pour les Noirs, pas assez de programmes éducatifs pour les enfants, pas assez de logements et la vie est trop chère», explique-t-elle.

Alors elle s’est engagée au sein du Chicago Alliance Against Racist and Political Repression (CAARPR), animé par Frank Chapman. C’est d’ailleurs devant le siège du gouverneur, à Downtown Chicago, que nous l’avons rencontrée, un mégaphone à la main pour dénoncer les conditions de détention à la prison de Menard. Pour Jasmine, «les élections locales sont plus importantes, qu’il s’agisse du conseil des écoles, du procureur ou du juge».

Trois jours avant le scrutin, elle renvoyait les deux principaux candidats dos à dos. «Le fait que Kamala Harris soit une femme et noire ne signifie rien pour moi, prévient-elle. La plupart des gens ici sont en colère contre le Parti démocrate. Il ne parle pas de nos problèmes et dépense des milliards pour la guerre alors qu’ici, on souffre. Mais ils disent aussi que démocrates ou républicains, à la fin, les Noirs se font toujours baiser.»

La première fois qu’elle a voté, en 2008, Jasmine a glissé un bulletin Obama dans l’urne. Un enfant du pays. «Parce qu’il était noir, je voulais voir ce qu’il allait faire pour nous, pour les opprimés. Il a gagné et on a continué à souffrir. C’est fatigant de voter démocrate.»

Vivre «au jour le jour»

A l’instar de Tania Smith-White, 18 ans, sans emploi, les jeunes ne semblent pas se passionner pour ce scrutin. «Rien ne changera de toute façon», affirme-t-elle, tout en indiquant qu’elle ira quand même voter pour Kamala Harris «parce que c’est une femme et qu’elle défendra nos droits, notamment sur l’avortement».

Mais Tania, qui dit «ne pas penser à l’avenir» et vivre «au jour le jour», attend avant tout un changement d’attitude de la police envers les jeunes Noirs. Alors qu’elle n’avait que 15 ans, elle a été blessée par balles dans la rue. Arrivée sur place, la police ne s’est pas occupée d’elle. «Si j’avais été blanche, ils auraient immédiatement appelé une ambulance.»

Dans le South Side, certains ne cachent plus leur volonté de ne pas soutenir les démocrates. Zoe Leigh, 38 ans, qui anime Chicago Flips Red (Chicago bascule vers le rouge, c’est-à-dire républicain), a organisé une rencontre d’une petite dizaine de personnes où le seul Blanc est Bob Fioretti, candidat républicain au poste de procureur.

Zoe Leigh est particulièrement remontée contre le Parti démocrate. «Economiquement, les démocrates ne veulent pas que nous réussissions.» David Mason, 27 ans, technicien, est également présent ce soir-là. A la ceinture, il porte un revolver. «J’aime les armes et ça peut servir pour se défendre», répond-il, surpris, lorsqu’on lui demande pourquoi. «J’avais toujours pensé que pour ma génération, comme pour mon ethnie, ma race, on était censé voter démocrate. Nos impôts sont versés aux migrants illégaux. C’est pourquoi je vote pour Trump.»

La question des migrants est particulièrement sensible au sein de la communauté noire, comme le reconnaît Shawn Neals, 45 ans. Si lui continue à voter démocrate – «Il y a eu l’Obamacare», souligne-t-il, allusion à la réforme du système de santé par Barack Obama –, ses amis et même sa famille choisissent Trump.

«Ils disent que s’il est président, il mettra les migrants dehors.» Un argument qui a tendance à l’ébranler. «Moi, j’ai une vie dure ici depuis longtemps mais si un migrant arrive, on lui donne tout.» Quelque chose le retient encore. «Je réfléchis et je me dis que Kamala parle à notre intelligence. Trump est raciste, mes amis le savent, mais leur sentiment anti-migrants est plus fort.»

Chicago, surnommée la Ville venteuse (The Windy City), va-t-elle balayer les démocrates? Depuis Ronald Reagan en 1984, aucun candidat républicain n’est arrivé en tête dans l’Illinois. «Les gens ont peur», constate Jasmine Smith, la postière. «Il n’y a pas d’amour, pas de compassion, ils perdent espoir.»

Et surtout, tout le monde dans le South Side se demande ce qui va se passer au lendemain des élections. «J’ai très peur que les troupes de Trump ne descendent dans la rue s’il perd», confie Shawn Neals. Les suprémacistes blancs, que Zoe Leigh et autres électeurs noirs de Donald Trump ne veulent pas voir, sont pourtant prêts. (Reportage publié par le quotidien L’Humanité le 3 novembre 2024)

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