Par Philippe Poutou
Le 27 février 2018, Ford annonçait son désengagement de Blanquefort. Le 7 juin, l’entreprise annonçait sa décision de fermeture et le lancement d’une procédure PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi) de fermeture d’usine. Et le 13 décembre, nouvelle journée «noire», Ford annonçait son refus définitif du plan de reprise par Punch, le seul candidat à la reprise. Définitif? Peut-être pas, car le bras de fer devrait continuer un moment.
Il est très difficile d’imaginer la suite de l’histoire. Maintenant que la procédure PSE est terminée, qu’est-il possible d’espérer? Tout semble en place pour que Ford exécute son plan de fermeture ente janvier 2019, date des premiers départs «volontaires» en préretraite, et octobre 2019, date prévue pour les derniers licenciements. Entre-Temps la production s’arrêterait en août et, au bout du compte, 872 emplois seraient supprimés.
Tellement facile de licencier
Mais il peut se passer encore des choses. D’abord, pour que Ford puisse «exécuter» son PSE et commencer à faire partir les salariés, il faut d’abord que la Direccte [1]donne son homologation. Elle a 21 jours pour le faire, et il devrait y avoir des arguments pour refuser. Car Ford n’a pas respecté toute la législation qui est pourtant peu contraignante.
Un PSE, malgré ses apparences, c’est quand même un «plan de sauvegarde de l’emploi», ce qui signifie que logiquement il y a la préoccupation de «sauver» au moins quelques emplois. Or Ford depuis le début se moque délibérément de préserver l’activité comme les emplois. Ford a refusé toute recherche réelle de repreneur, même si elle avait sollicité un cabinet dédié à cette tâche, qui a lamentablement (et bizarrement?) échoué.
Et quand Ford s’est retrouvée, sans le vouloir, avec un projet de reprise dans les pattes, la multinationale a refusé de l’étudier sérieusement. Aucune coopération, ni avec le candidat à la reprise, ni avec l’Etat. Seulement une longue partie de bras de fer, de tractations, de réunions manquées, de documents non fournis…
Le résultat est sans surprise: la multinationale avait décidé de fermer et se moque de tout le monde, des salarié·e·s évidemment, mais aussi de l’Etat et même du ministre Bruno Le Maire et du président Emmanuel Macron. Oui Ford fait comme bon lui semble. Mais, il faut dire que c’est tellement facile de licencier et de fermer une entreprise: il n’y a pas de raison que Ford s’embête avec des formalités!
Impuissance organisée
En réalité, Ford n’est pas pire que les autres multinationales qui font d’énormes profits et qui se sont gavées de subventions publiques pendant des années. Cela se voit davantage, peut-être parce que notre bataille contre la fermeture de l’usine pousse tout le monde dans ses derniers retranchements. Nous dénonçons toujours l’inadmissible, et ainsi nous poussons les pouvoirs publics à ne pas regarder sans rien faire, comme malheureusement cela a été trop longtemps le cas. L’Etat est bien obligé de chercher une solution, mais avec des moyens très limités!
Cette «impuissance» de l’Etat est réelle, mais ce sont tous les gouvernements qui ont construit cette impuissance car, peu à peu, au cours des dernières décennies, les «pleins pouvoirs» ont été donnés aux capitalistes comme Ford.
Alors les cabinets des ministères concernés s’activent, cherchent dans la législation les outils qui permettraient de contraindre un minimum Ford, et c’est toute une gymnastique qui se déploie pour trouver une faille. On sait pourtant qu’il y aurait des solutions plus rapides et plus directes: pourquoi ne serait-il pas possible de prendre des mesures d’autorité comme prendre le contrôle de l’usine? On appelle ça comme on veut: une réquisition, une expropriation… Et si le nom fait peur, si c’est trop radical, pourquoi ne pas «racheter» l’usine Ford pour 1 euro symbolique? Pourquoi est-il possible de financer les multinationales avec des aides publiques diverses (CICE, chômage partiel, aides à l’investissement…) et pourquoi tout deviendrait impossible lorsqu’il s’agit de prendre le contrôle d’un outil productif? Ne peut-on pas considérer que l’usine Ford est déjà en partie publique, après 45 ans passés à faire des cadeaux à la multinationale?
Continuer la lutte
Alors certes, il y a peu d’espoir de changer la donne. Surtout en l’absence d’une mobilisation d’une majorité de collègues, qui sont désespérés et résignés. Mais notre bataille n’est pas vaine. Il y a trop de fermetures d’entreprises, trop de licenciements, trop de chômage aujourd’hui pour rester sans rien faire. Les pouvoirs publics le savent bien, l’Etat le sait bien.
Dans les semaines qui viennent, nous allons continuer la lutte pour sauver l’usine et le plus d’emplois possible. Ce n’est pas irréaliste. La situation est particulière, car nous avons des appuis «de luxe» avec les déclarations du ministre Bruno Le Maire, celles des collectivités locales, avec la collaboration des services de l’Etat pour contrecarrer le projet de Ford. On ne sait pas ce que cela va donner, mais on s’accroche avec nos forces et nos moyens. Nos emplois, les 2000 emplois induits, notre avenir, tout cela en vaut la peine. (18 décembre 2018)
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[1] Direction des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi – dans les régions et départements d’outre-mer – sont des services déconcentrés de l’Etat sous tutelle commune du ministère du Travail et du ministère de l’Economie et des Finances (Réd. A l’Encontre)
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