Par Hala Kodmani
La bonne nouvelle qu’elle [Zubayda al-Meqe, ex-colonelle de l’armée syrienne] apprend à son arrivée à l’aéroport d’Orly jeudi atténue l’air éberlué de la femme de 44 ans qui sort pour la première fois de Syrie après des semaines d’aventures et d’épreuves. Son frère cadet vient d’être libéré de prison à la faveur de l’amnistie décrétée par Bachar el-Assad à l’occasion de l’Aïd. Il a eu des dents cassées et des orteils coupés au cours des interrogatoires pour lui faire dire où était passée sa «sœur la p…».
Il ignorait sincèrement où elle se trouvait, puisque la colonelle Zubayda al-Meqe, alaouite, n’avait plus approché sa famille depuis ce jour de la fin août où elle n’est plus apparue à son poste à la direction du recrutement de la zone sud de Damas, à Qaboun. «Je n’ai plus mis les pieds dans mon appartement à Babila [quartier populaire à la périphérie de Damas, ndlr] où toutes mes affaires sont restées et qui était surveillé jour et nuit après avoir été saccagé, raconte-t-elle. Je n’avais que le pantalon et la chemise que je portais le jour où je me suis présentée à un barrage de l’Armée syrienne libre (ASL), un soir de la fin du ramadan.»
«Cadeaux». L’idée de faire défection tentait depuis un moment cette diplômée de l’académie militaire, intégrée il y a vingt-cinq ans dans l’armée syrienne qui compte quelques centaines de femmes dans ses services, administratifs essentiellement. «Je n’avais aucun contact avec l’ASL et c’est lorsque la zone a été “libérée”, lors de la bataille de Damas fin juillet, que j’ai vu le drapeau de la révolution hissé à côté de chez moi.»
Méfiants, les hommes de la brigade Jundallah (soldats de Dieu) sur laquelle elle est tombée ont appelé leur chef, Abou Omar, qui l’a reçue aussitôt. «Dès qu’il a su qui j’étais, il m’a ouvert les bras, puis ordonné à ses hommes d’aller vite chercher mon mari dans son magasin pour le mettre à l’abri. Lui aussi a dû partir avec les habits qu’il avait sur lui et il a été évacué vers le Liban puis vers l’Angleterre, où ses deux filles sont installées. Je ne l’ai pas revu depuis», raconte Zubayda avec une émotion pudique.
Mariée depuis quatre ans à un sunnite qui tenait un commerce d’antiquités dans le vieux Damas, périclitant du fait de l’absence de touristes, Zubayda dit avoir avait choisi son camp très tôt. «Nous étions de cœur avec la révolution dès les événements de Deraa qui nous avaient beaucoup choqués. Le soir à la maison, nous suivions régulièrement et discrètement les informations sur les chaînes que s’interdisaient de regarder les collègues militaires que je retrouvais la journée», affirme la colonelle qui se sentait rejetée par son armée. «Je faisais mon travail sérieusement, mais j’étais isolée parce que je n’offrais pas de cadeaux à mes supérieurs et ne les invitais pas chez moi ou au restaurant, comme le faisaient les autres pour obtenir des avantages. Le degré de corruption dans l’armée est inimaginable! On évitait de parler des événements au bureau où l’essentiel des conversations tournaient autour des combines pour se procurer une bonbonne de gaz ou de l’essence», explique-t-elle.
Aînée d’une famille originaire d’une petite localité alaouite des hauteurs du Golan, Zubayda al-Meqe est née à Qodsaya, dans la banlieue de Damas où sa famille est réfugiée depuis la guerre israélo-arabe de 1967. «Je m’étais engagée dans l’armée, parce qu’elle offrait une bonne carrière pour une femme mais aussi dans l’objectif de libérer le Golan. J’avais promis à ma mère, veuve à 27 ans avec six enfants à nourrir, de la ramener un jour dans son village de Ain Fite», raconte-t-elle.
Frontière. «Nous sommes considérés comme des citoyens de dixième catégorie par le régime qui privilégie certains alaouites de sa montagne», insiste la colonelle, rappelant les confrontations qui se sont produites fin septembre à Qardaha (ouest), berceau de la famille Assad, entre alaouites proches et opposés au clan au pouvoir. C’est au lendemain de ces événements, suivis de la défection de sept officiers alaouites, qu’a été diffusée sur une chaîne arabe, le 10 octobre, la vidéo, enregistrée fin août, dans laquelle elle a annoncé qu’elle rejoignait l’ASL.
«J’étais en fait déjà partie de la région de Damas au bout de quelques semaines où l’on m’avait confié l’entraînement aux armes des jeunes civils qui rejoignaient la brigade. Abou Omar a décidé de me faire sortir après l’arrestation de mon frère, les menaces contre ma famille et le ciblage par les forces du régime de notre groupe de 45 hommes», explique Zubayda, qui n’a rien de martial quand elle raconte sa courte expérience avec l’ASL: ses frayeurs sous les bombardements, les changements de cache jusqu’à trois fois par jour puis la longue cavale qui l’a menée hors du pays. «Après plusieurs étapes, nous avons marché 2 kilomètres à travers champs jusqu’à la frontière turque. Au moment où mon accompagnateur m’a dit qu’on quittait le territoire syrien, j’ai baisé la terre.»
Elle est encore étonnée de l’accueil qui lui a été réservé à l’ambassade de France à Ankara où elle s’est retrouvée après un contact établi par une organisation de droits de l’homme à la frontière: «Je n’ai jamais connu un tel respect pour ma personne. Il paraît que j’ai fait quelque chose de formidable.»
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Cet article est paru dans Libération du 30 octobre 2012.
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