Par Sarab
Peu avant son assassinat, on avait demandé à Dzhokhar Doudayev (le 21 avril 1996), le dirigeant du peuple tchétchène, combien de temps durerait la guerre, let il a répondu «c’est une guerre qui durera 50 ans».
Le fait que cette semaine passée la Tchétchénie est revenue dans l’actualité [dans le cadre de l’attentat perpétré à Boston, lors du marathon] m’a rappelé à quel point la stratégie appliquée par Bachar el-Assad pour écraser la révolution syrienne est influencée par ses alliés russes et l’expérience qu’ils ont acquis au cours de leur guerre contre la Tchétchénie et son peuple. Certains vont jusqu’à suggérer qu’il y a des similarités – depuis l’utilisation des SCUD jusqu’à la manière d’utiliser la «diplomatie» internationale – qui indiqueraient que la Russie est en train de guider la stratégie du régime syrien.
On peut en effet trouver de nombreuses ressemblances entre la manière dont la Russie a écrasé les aspirations à l’indépendance du peuple tchétchène, d’une part, et les agissements actuels de Assad, d’autre part. La situation n’est bien entendu pas du tout identique. Toutefois cette analogie peut nous aider à analyser et à mieux comprendre comment les principaux conseillers de Assad le guident pour survivre.
En 1994, suite à la sécession de la République tchétchène d’Itchkérie [Etat non reconnu de la Tchétchénie existant entre 1992 et 1999; nom conservé par le gouvernement séparatiste tchétchène en exil depuis l’an 2000], la Russie, sous la direction de Boris Eltsine a déclenché une guerre brutale pour reconquérir la république séparatiste. Cependant la Fédération de Russie n’était pas préparée pour cette opération et a dû s’appuyer sur des conscrits et un matériel militaire important pour combattre la résistance populaire tchétchène.
Il en a résulté une guerre sanglante de deux ans, marquée par des crimes de guerre massifs commis par des forces russes mal organisées et indisciplinées contre la population de la Tchétchénie (des civils tchétchènes et, y compris, russes), des bombardements à tort et à travers, des assassinats ciblés, des exécutions de masse, des massacres et des viols.
La population a été littéralement décimée.
Un cessez-le-feu a été signé en 1996, suivi, une année plus tard, par un traité. Cette guerre impopulaire a été un «revers» pour la Fédération de Russie et a entraîné la mort de 100’000 civils en Tchétchénie et le déplacement de plus de 300’000 personnes – sur une population de 1.2 millions avant la guerre. La capitale, Grozny, a pratiquement été rasée, évoquant des souvenirs du bombardement de Dresde [du 13 au 15 février 1945] par les forces alliées, pendant la Seconde guerre mondiale. Tout cela a été d’une terrible cruauté.
Mais les Tchétchènes ont gagné – même si ce n’est que temporairement – un statut qui ressemblait à de l’indépendance.
Les projets russes pour la République ont été temporairement freinés, mais ils ont laissé derrière eux une Tchétchénie dévastée. La communauté internationale est restée choquée et paralysée. D’ailleurs on peut se poser la question de savoir si l’«Occident», qui vocifère sans pour autant agir de manière tangible, n’est pas en train de traiter la Syrie comme une affaire intérieure russe, tout comme il l’a fait avec la Tchétchénie.
Le dialogue et le traité subséquent [entre 1996 et 1999] ont permis à la Russie de regrouper leurs forces, alors que la République tchétchène se fragmentait sous le poids de sa dévastation. L’économie ravagée, une population déplacée et sans domicile, l’isolement international et la douleur et le traumatisme de la guerre ont entraîné une radicalisation, une fragmentation et un affaiblissement du gouvernement tchétchène.
En octobre 1999, la Russie est de nouveau entrée en Tchétchénie dans le but de détruire l’indépendance de facto et d’établir un gouvernement pro-moscovite. Cette deuxième guerre [octobre 1999 à février 2000] a été aussi dévastatrice que la première. Cette fois les Russes ont modifié leur tactique et mené une stratégie de «victoire par le bombardement», suivie d’un apport écrasant de troupes au sol. En moins d’une année, ils ont réussi à établir un gouvernement direct sur la Tchétchénie et à chasser toute la résistance vers les montagnes où elle a mené une campagne de guérilla à faible intensité qui a survécu à Eltsine, lequel a légué le pouvoir à l’homme du KGB, Vladimir Poutine, le 31 décembre 1999. [Poutine va justifier face à «l’Occident» le type de guerre menée en Tchétchénie avec la célèbre formule : «On ne négocie pas avec les terroristes et les criminels». Et demandait aux «Occidentaux» de ne pas avoir de « double morale». Des formules qui sont jumelles à celles utilisées par Bachar el-Assad.]
Deux guerres russes contre la Tchétchénie ne peuvent évidemment pas être résumées en quelques paragraphes. Néanmoins on y voit émerger une stratégie utilisée pour supprimer un soulèvement. Elle montre comment les leçons apprises par les Russes en Tchétchénie ont pu influencer au cours de 15 derniers mois écoulés le type de riposte de Assad contre la révolution et donnent une idée de comment il pourrait agira dans le proche avenir.
Plus spécifiquement, tout comme ses sponsors russes, Assad a riposté par l’utilisation de la violence écrasante et soutenue et notamment de bombardements et pilonnages aériens entraînant la destruction de la société et de l’infrastructure civile.
Cette stratégie a quatre types de conséquences: 1° elle détruit l’«ennemi»; 2° elle diffuse une crainte collective dans toutes les régions libérées [par les rebelles]; 3° elle liquide des dirigeants décisifs de la révolution; 4° elle limite la capacité des rebelles à établir une direction efficace (c’est-à-dire capable d’assurer la sécurité, la santé et de fournir des possibilités économiques).
L’expérience russe en Tchétchénie a également appris à Assad comment utiliser au mieux le temps et le «dialogue» pour tenter de reprendre le contrôle et reconquérir le territoire.
Au cours de l’année écoulée, à mesure que le contrôle d’Assad sur le territoire se rétrécissait, l’influence des conseillers russes est devenue très apparente. L’infrastructure syrienne a été efficacement détruite et la révolution continue à être affamée à la fois sur le plan politique et sur le plan militaire.
La punition collective par les attaques aériennes et les pilonnages ont fait partie intégrante de la stratégie du régime, préparant l’arrivée de troupes au sol de l’armée du régime et des milices sectaires (les «chabihas» : les milices sanguinaires au service du pouvoir) pour tenter de reprendre contrôle et reconquérir le territoire.
Assad se cache également derrière la carte de «dialogue», qui fait partie du jeu pratiqué par les alliés puissants tout comme par les prétendus amis de la révolution. Même au cours de ce dernier week-end [20 au 20 avril] nous avons entendu parler d’une «Geneva approach» [allusion aux négociations entre des personnalités israéliennes et palestiniennes qui donna lieu à un «accord» signé en 2003, sans suite…], un consensus des «Amis de la Syrie» [Conférence réunissant, depuis février 2012, réunissant aussi bien le Maroc, la Tunisie, le Qatar que la France, les Etats-Unis, l’Union européenne, etc.] appelant à une transition, mais qui ne fait aucune mention d’un départ de Assad.
Immédiatement après cet appel au dialogue, les forces de Assad ont massacré plus de 550 Syriens, dont la plupart ont été abattus à Jdaidet Artouz, une banlieue de Damas, un terrible message à toutes les parties concernées aussi bien en Syrie qu’à l’extérieur du pays.
Ceci nous montre comment la stratégie de survie de Assad est influencée, voire peut-être dirigée, par ses alliés russes. Il est possible que son plan de survie ait été écrit avec le sang des Tchétchènes. Tous ceux qui soutiennent la révolution syrienne doivent en prendre conscience et se préparer pour le long terme. (Traduction A l’Encontre; article publié le 22 avril 2013)
_____
Sarab anime le site Sarabiany; il est entre autres le cofondateur de l’Alliance nationale pour la Syrie (aux Etats-Unis) qui réunit des militants syriens, des groupes de quartier qui soutiennent la «révolution syrienne» dans la perspective de la création d’un Syrie démocratique, libérée de sectarisme confessionnel et ayant une représentation égalitaire entre ses composantes. (Réd. A l’Encontre)
Soyez le premier à commenter