Entretien de Jean-Yves Dormagen
par Dominique Albertini
Professeur de science politique à l’université Montpellier-1, Jean-Yves Dormagen analyse les résultats du second tour des élections municipales.
Quel est, selon vous, le principal enseignement de ces élections ?
C’est sans aucun doute l’abstention, qui atteint un niveau historiquement haut. Attention toutefois : on ne peut pas comparer la participation de ce jour avec celle du premier tour ou de 2008, puisque ce ne sont pas les mêmes villes qui sont en jeu. En réalité, à périmètre constant, on observe une légère remobilisation – car ce second tour concerne surtout des villes moyennes ou grandes, avec une offre politique diversifiée. Mais cette remobilisation, qui vient principalement des électeurs de gauche, reste très faible. Et l’abstention massive a surtout pénalisé la gauche, donc beaucoup d’électeurs, découragés, ne se sont pas déplacés.
Le Front national a gagné de nouvelles mairies. Faut-il pour autant parler de déferlante ?
Je ne pense pas. Si on regarde les choses froidement, le FN reste une force assez faible au niveau municipal. Il remporte des villes petites ou moyennes – rien à voir avec Toulon, où il s’était imposé en 1995. Et le nombre de communes conquises reste très faible par rapport aux 980 villes de plus de 10 000 habitants. En fait, ces victoires sont la moindre des choses pour un parti qui réalise régulièrement entre 15% et 20% lors des élections nationales. Le FN retrouve tout simplement son niveau des années 90, avant la scission mégrétiste, le siphonnage sarkozyste et les difficultés financières qu’il a connues dans les années 2000.
La droite a-t-elle raison de crier victoire ?
Sans doute. Elle peut en plus s’épargner un débat sur sa possible alliance avec le FN. C’est un autre enseignement du scrutin : même lorsque le Front national parvient au second tour, la droite peut remporter l’élection – malgré quelques exceptions notables, comme Strasbourg. Dans le cas contraire, la question d’un accord entre les deux camps se serait forcément posée. Ce soir, la stratégie suivie par la droite depuis trente ans – pas d’alliance avec le FN – n’est pas invalidée.
La gauche a-t-elle déjà connu pareille déroute municipale ?
Celle-ci se classe vraiment parmi les plus carabinées, avec celle de 1983. Dans les deux cas, on était deux ans après l’arrivée au pouvoir : l’histoire se répète. Cette défaite dit l’ampleur du rejet de François Hollande. C’est d’autant plus considérable que le PS perd des villes où les maires étaient plutôt appréciés, leur bilan bien jugé, et où les édiles partaient avec un avantage en leur qualité de sortant. C’est dire l’animosité des électeurs vis-à-vis de l’exécutif, l’un des plus mal-aimés de la Ve République.
Les autres partis de gauche ont-ils profité de cette hostilité ?
Encore une fois, la principale caractéristique des électeurs de gauche, ce soir, c’est leur abstentionnisme. Mais l’on voit que, là où une offre politique de gauche alternative au PS existe, elle a effectivement obtenu de bons résultats, comme à Grenoble. (Article publié sur le site du quotidien français Libération le 30 mars 2014)
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