Nous assistons à un spectacle honteux dans lequel l’immense majorité des médias de communication essayent d’associer les Marches de la dignité avec la violence. Ce qui a commencé comme un incident la nuit du 22 mars s’est transformé en une campagne obscène du pouvoir pour discréditer, accuser et criminaliser un mouvement qui a dépassé toutes les prévisions.
Pour mener à bien cette campagne, tous les moyens nécessaires ont été utilisés: visuels, écrits, politiques, idéologiques ou sentimentaux.
Décomposons plusieurs éléments:
1° Les Marches de la dignité furent un énorme succès au vu de leur portée sociale ainsi qu’en raison de la participation de centaines de milliers de personnes. Elles mirent en évidence deux choses supplémentaires: que les classes laborieuses et la population ne supportent plus les injustices, les coupes budgétaires et les inégalités sociales. Ensuite, que ces marches furent organisées par le syndicalisme alternatif, les mouvements sociaux et populaires les plus éloignés de la concertation sociale des deux appareils dirigeants syndicaux [des CCOO et de l’UGT].
2° Le gouvernement et le PP [Parti populaire de Mariano Rajoy], par le biais de leurs puissants moyens, cherchent à ce que le 22M soit associé à la violence. Ils passèrent des jours entiers à parler des altercations, des policiers blessés [sur la centaine de personnes blessées au soir du 22 mars, une soixantaine – selon la police – sont des policiers, dont une partie «proteste» contre la mauvaise coordination et les ordres de la hiérarchie ce soir, affirmant que quelque chose de pire aurait pu se produire] et avec tout cela ils essayent d’occulter le succès des marches.
Cette campagne, outre discréditer les collectifs et membres qui ont participé à l’organisation des marches, vise à opérer un nouveau tour de vis de répression, d’interdiction et d’atteintes aux droits fondamentaux, autant dans la législation que contre l’exercice du droit à manifester dans le centre de Madrid.
3° Les médias proches du pouvoir sont propriété de grandes entreprises dont les bénéfices sont en relation avec les politiques gouvernementales. Ils déforment ce qui s’est passé au cours de la nuit du 22 mars. Ainsi que l’indiquent les vidéos, la police chargea avant que la masse des manifestants se dispersait depuis la Place de Colomb. Ils chargèrent avec violence contre nombre de manifestant·e·s et de journalistes qui faisaient leur travail. La charge déchaîna une vague d’altercations dans lesquelles la police ne s’en tira pas très bien, ainsi qu’on peut le voir sur les images.
4° La violence de groupes de manifestant·e·s est un phénomène qui répond à différentes causes: l’aggravement des tensions sociales et la radicalisation de secteurs de jeunes; l’infiltration d’agents en civil; l’existence de groupuscules ultra de nature «politique» ou «sportive»; les comportements brutaux de la police dans la majorité des manifestations quand elles ne comptent pas sur le consentement des institutions du régime; etc. Cela n’exclut pas – alors que nous rejetons la violence policière et ses institutions – que nous dénoncions politiquement ceux qui cherchent lors de chaque manifestation un dénouement brutal dans lequel ils seraient les protagonistes à la place des milliers et milliers de personnes qui se rendent à la manifestation.
5° Tout ce «débat» autour de la violence se mène sur la base de considérations erronées. Notre société est bien loin de nous offrir à toutes et à tous un système égalitaire. Elle ne l’est pas en termes de distribution de la richesse économique, elle ne l’est pas non plus pour ce qui a trait à l’exercice individuel ou collectif des libertés, ni même en matière de droits constitutionnels comme le logement, le travail, les soins ou l’éducation. Le fossé entre les riches et le reste de la population s’accroît chaque jour plus, ainsi que le reflètent les rapports d’institutions internationales. Cette inégalité énorme affecte la vie des gens et se transforme de manière subtile en violence autant physique que psychologique.
6° Ne tombons pas par conséquent dans le jeu du gouvernement et des médias proches du pouvoir qui nous obligent à condamner de manière univoque un certain type de violence. Il existe une forme de violence institutionnelle, sous la forme de la domination des classes dominantes, qui s’exerce de manière systématique de différentes façons. Il existe une violence dans la manière dont agissent les forces de l’ordre public lorsqu’elles répriment les manifestations de travailleurs, d’étudiant·e·s ou d’immigré·e·s. Certes, il existe également une violence isolée et groupusculaire qui, loin de répondre à des stratégies d’organisations (comme celles appelant au 22M), tentent de nous utiliser d’une certaine façon comme otages de leurs délires. (Traduction A l’Encontre. Publié sur la revue Traversales)
_____
Jesús Jaén est membre du Mouvement des assemblées des travailleuses et travailleurs de la santé à Madrid (MATS). Nous avons publié trois autres articles de lui en date des 11 août 2013, 29 janvier et 24 mars 2014.
Soyez le premier à commenter