Brésil. Comprendre et faire face au bolsonarisme

Par Fábio José de Queiroz

Dans cet article [et dans d’autres] je me propose de décrire et, surtout, d’analyser le «bolsonarisme». Je pense que plus l’analyse du phénomène est précise, plus ce qui est politiquement probable relève alors du vraisemblable, ce qui n’est pas négligeable du point de vue de la résistance de la classe laborieuse,

Dans cet article, en particulier, je tente de répondre à deux questions qui concernent l’avant-garde et les secteurs militants des travailleurs et travailleuses en général. Elles ont trait aux propositions du bolsonarisme. Tout d’abord, il s’agit: de la (contre)réforme de la sécurité sociale, de la nouvelle étape de la (contre)réforme de la législation du travail, de la crétinisation de l’éducation au moyen de «l’école sans parti, du contrôle du mouvement syndical, de la criminalisation des mouvements sociaux, de la restriction limitation libertés politiques, etc. Ensuite, se pose le problème du «comment les combattre»?

Ce que dit et propose le bolsonarisme

Que pouvons-nous attendre d’un gouvernement qui insiste sur les difficultés d’être un patron et qui insiste sur le fait que les travailleurs doivent choisir entre travailler ou simplement jouir des droits que l’activité professionnelle devrait bien sûr leur accorder? Quelles raisons ont motivé Jair Bolsonaro, ouvertement ou de manière voilée, à déclarer la guerre contre les travailleurs et travailleuses tout en consacrant un poème d’amour à la bourgeoisie, si ce n’est celle de souligner – encore plus – le caractère pro-patronal de son gouvernement et sa ferme intention de battre la classe ouvrière?

De manière précise, on peut voir que sa rhétorique s’inscrit dans ses propositions initiales de «réformer» l’Etat providence et d’achever la (contre)réforme du travail (en donnant à la Constitution un aspect d’«informalité» en enterrant son septième article, celui qui traite des droits des «travailleurs urbains et ruraux»), bien qu’il n’abandonne une (contre)réforme par tranches et applaudisse aux dernières modifications apportées à la législation du travail par le gouvernement de Michel Temer. En résumé, il s’agit de rendre plus difficile ou d’empêcher le travailleur de prendre sa retraite et d’accroître la précarité du marché du travail (ce que Jair Bolsonaro appelle «un assouplissement du droit du travail»).

Pour que les objectifs soient atteints, le capitaine [Jair Bolsonaro] sait qu’il doit faire face à un obstacle: une des structures syndicales les plus complexes et les plus puissantes d’Amérique latine, en dépit de son affaiblissement récent. Lorsque le président de l’extrême droite vide le ministère du Travail et place les syndicats sous la responsabilité du ministère de la Justice aux mains de l’ex-juge Sergio Moro, il admet non seulement l’existence de cet obstacle, mais il indique conjointement qu’il souhaite le renverser.

Selon moi, il est tout aussi nécessaire de saisir cette perspective que de la considérer comme faisant partie d’un processus plus général de criminalisation politico-judiciaire des mouvements sociaux. Les expériences du passé – celle nazie-fasciste en Europe dans les années 1920 et 1930, la dictature militaro-militaire de 1964 au Brésil et le Fujimorisme [Alberto Fujimori, président du Pérou de juillet 1990 à novembre 2000] au, entre autres – peuvent fournir des matériaux encore brûlants aux esprits tordus du bolsonarisme qui annoncent, dès maintenant, des attaques directes et des processus inquisitoires contre leurs ennemis.

Les tendances régressives s’étendent et se concentrent sur les écoles, les universités et la vie culturelle dans son ensemble. Parfois, l’accent est mis sur l’idée bizarre «d’école sans parti», parfois sur la notion exotique de «marxisme culturel», qui, sans motif prouvé, dominerait l’univers des enseignants et le monde universitaire. Dès lors, «tout cela» devrait être balayé de la sphère éducative, en le considérant comme un tout, ou en l’absence d’une telle mesure être vigoureusement effacé. En réalité, ce qui dérange l’extrême droite, c’est en dernier ressort la présence d’une pensée critique qui survit dans les écoles et les universités, malgré de terribles difficultés. A cela s’ajoute le problème de l’organisation syndicale étudiante et enseignante, qui figure parmi les plus influentes du pays.

La vénération inspirée par Jair Bolsonaro dans certains secteurs de la société trouve sa contrepartie dans ces cercles de résistance qui, dans les circonstances actuelles, occupent des espaces considérables du monde social et se profilent comme des obstacles persistants face aux prétentions dictatoriales du capitaine et de sa troupe. Mais ne sous-estimez pas la capacité sociale des vénérateurs du «mythe» [dénomination de Bolsonaro], dans la mesure où l’existence du «mythe» repose sur une base travaillée lentement sur la durée. Au début du bolsonarisme, on découvre une nostalgie des gouvernements dictatoriaux, notamment de la dictature née du coup d’État de 1964. La sortie de scène de l’armé, sans qu’il y ait eu punition pour ses crimes – [en 1979 est édictée la «loi d’amnistie» qui protège, pour le futur, tous les acteurs militaires et policiers de la dictature] commis durant une période de 21 ans de domination autocratique [mais de développement économique»] a abouti à ce que le «souhait» d’une société autoritaire chemine sous des formes souterraines jusqu’à ce qu’il soit ressuscité, avec force, à travers le phénomène du bolsonarisme.

C’est dans cette perspective que la direction bolsonariste s’identifie avec des tendances qui, dans leur ADN, portent les marques de la plus vive animosité envers les libertés démocratiques, qu’elles concernent les droits individuels ou qu’elles aient trait aux droits collectifs, à savoir les garanties gagnées par la classe ouvrière. Cela étant dit, le dirigeant du PSL (Parti social-libéral) désigne au pays une perspective dans laquelle les libertés démocratiques ne sont pas une nécessité pour lutter pour un monde meilleur. Au contraire, elles constituent des obstacles aux objectifs de son agenda politique, à la fois ultralibéral et rétrograde. Les thèmes qui caractérisent le bolsonarisme sont partie prenante d’un agenda socio-politique auquel on doit déjà faire face [les contre-réformes et attaques du gouvernement de Michel Temer] et qui produira une dévastation sociale et une régression politique, d’une ampleur rarement observée.

Les exigences d’une résistance unitaire

Il faut comprendre dès maintenant ce qui se passe pour ne pas devoir reconnaître avoir été pris au dépourvu par l’évolution de la situation. On ne peut pas penser que le bolsonarisme dispose d’une force invincible, ou encore moins le considérer comme un chien mort. Il faut au plus vite que soient précisées les modalités d’actions et plus cela se concrétisera, plus grandes seront les possibilités de mobilisations en termes de riposte de classe. Car, en fin de compte, on sait que dans l’histoire rien ne doit être traité comme une fatalité.

Jair Bolsonaro doit battre les organisations des salarié·e·s afin de pouvoir appliquer des (contre-)réformes qui leur enlèveraient des droits. Pour leur part, pour vaincre le bolonarisme, les masses laborieuses ont besoin de la plus grande unité pour le combattre, lui résister et mettre en échec les plans antidémocratiques et anti-ouvrières du nouveau gouvernement. L’expérience historique a démontré que, face aux gouvernements autocratiques qui cherchent à dicter leur modèle et à déraciner les droits sociaux, les travailleurs sont la plupart du temps écrasés lorsque leurs organisations se divisent. Par conséquent, l’unité des classes laborieuses est une des conditions nécessaires pour ne pas être battues.

La tâche consistant à unir la classe qui vit de la vente de sa force de travail commence par des objectifs modestes. Dans le cas du Brésil, empêcher l’approfondissement de la (contre-)réforme du travail ou l’imposition de la (contre-)réforme du système de retraite, ainsi que préserver les libertés politiques et protéger la liberté académique. A première vue, ces tâches sont modestes, mais au fond elles sont nécessaires et peuvent sans aucun doute être un excellent point de départ. C’est la bonne tactique.

Si de vastes secteurs populaires restent impassibles au cours de la prochaine période, la possibilité que les propositions du nouveau gouvernement soient acceptées non seulement augmente, mais se concrétise. Il est nécessaire de stimuler le développement de mobilisations de masse, et cela ne se fait pas dans les conditions actuelles sans que soient mis en place des accords et des tactiques entre syndicats, centrales syndicales, organisations populaires, mouvements d’étudiants, de femmes, de Noirs, de peuples autochtones, ainsi que de partis de gauche. Cette unification à des fins pratiques de la lutte politique – qui doit être poursuivie sans mise au pied du mur – tire sa nécessité du caractère même de l’action à conduire contre une plate-forme programmatique menaçant les droits sociaux et les libertés démocratiques. C’est ainsi que l’on lutte contre un projet autocratique et néolibéral qui non seulement se rapproche d’un système de pouvoir militaire et policier, mais qui, de cette manière, vise à soumettre les travailleurs et le peuple.

Bien que cela semble difficile, les courants de gauche doivent lever le drapeau de l’unité pour combattre et n’accepter aucune conciliation avec les bolsonaristes ou avec Sergio Moro [le pouvoir judiciaire]. A ce stade, les accords et la convergence entre les organisations de la classe ouvrière correspondent au besoin d’une unité défensive qui permettra à cette dernière de faire face à de futures attaques. Sans cette tactique défensive, il ne pourra y avoir d’avenir, ou alors ce dernier prendra l’allure d’un point minuscule à l’horizon, quasi microscopique. (Article publié sur le site Esquerda Online, le 16 décembre 2018; traduction et édition A l’Encontre)

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