Myanmar. Une répression qui doit être mesurée à l’aune de la résistance populaire

Par Charles-André Udry

Les manifestations diverses contre la junte qui s’est affirmée, le 1er février, comme détentrice de tous les pouvoirs, sans les paravents dressés les dernières années, ne faiblissant pas fin février, la répression s’est accentuée. Les tirs à balles réelles se sont multipliés; les témoignages indiquent que des snipers visent des manifestants, pour les tuer, afin de susciter une réaction de peur en chaîne, brisant les collectifs qui bloquent les rues et se proclament physiquement comme des obstacles au pouvoir dictatorial. Selon l’envoyée des Nations unies au Myanmar, Christine Schraner Burgener, plus de 50 personnes ont été tuées depuis le 1er février et le nombre de blessés se compte par centaines. Les arrestations, le 4 mars, étaient au nombre de quelque 1500.

Dans la tradition des dictatures militaires, l’armée et la police s’attaquent aux soignants, aux infirmières, aux médecins, aux étudiants en médecine. Le Mouvement de désobéissance civile (CDM-Civil Disobedience Movement) a été lancé initialement par les travailleurs du secteur de la santé qui ont refusé de se présenter à leur travail dans la foulée du 1er février. Ils ont été un des facteurs déclencheurs de «l’insurrection démocratique» en stimulant les manifestations de rue, en encourageant le boycott d’entreprises liées à l’armée et en demandant aux fonctionnaires de refuser les directives du régime militaire. Aujourd’hui, ces soignants se sont organisés localement pour fournir une aide d’urgence aux manifestant·e·s blessés, matraqués, abattus par les forces de police et militaires. Ils sont dès lors devenus une des cibles de la dictature.

Une infirmière bénévole de Myitkyina, capitale de l’Etat de Kachin, confie à un journaliste: «Le plus grand danger est de ne pas se faire tirer dessus lorsque nous agissons sur le terrain. Les balles peuvent nous toucher aussi, nous pouvons de même mourir à chaque instant.» Dans la ville de Mandalay, une équipe de 30 professionnels bénévoles de la santé assurent des interventions d’urgence dans toute la ville. Ils disposent de sacs à dos avec des fournitures de base pour désinfecter les blessures et arrêter les hémorragies. Les barrages policiers fonctionnent pour faire obstacle à leurs déplacements dans la ville afin d’empêcher l’apport de soins aux divers regroupements de manifestants subissant des attaques policières. Dans la ville de Myitkyina, «une centaine d’infirmières du secteur de santé public en grève dispensent des soins et des services primaires par le biais d’équipes mobiles. Elles gèrent un réseau d’aiguillage vers des ambulances et des médecins volontaires.» Une équipe d’infirmières accompagne les manifestants, «portant des bracelets et des autocollants blancs pour être identifiées facilement et sont suivies par des motos transportant des kits médicaux». Ce groupe «a acheté ses propres téléphones et cartes SIM, et a distribué des brochures dans toute la ville avec leurs coordonnées en cas d’urgence» (reportage le 3 mars sur Al Jazeera). Que les ambulances, les soignants soient devenus des cibles de la répression révèle à la fois leur activité organisée et la volonté d’éliminer ces soignants qui sont une sorte d’assurance pour celles et ceux qui se dressent face aux barrages policiers. Ces soignants sont certes sous l’emprise d’une peur – et ils l’expriment sans fard – mais réalisent combien ils étayent la permanence des manifestations anti-dictatoriales. Ce degré d’organisation collective est un facteur explicatif de l’importance de la résistance et de la haine accentuée de la dictature qui n’avait pas pressenti la profondeur du rejet populaire du «coup» du 1er février, en particulier dans les nouvelles générations qui n’ont pas en mémoire les massacres de 1988.

Le Mouvement de désobéissance civile (CDM) réunit logiquement et physiologiquement des courants différents. Face à «l’annulation officielle des élections de novembre 2020» (voir sur site l’article du 26 février 2021), la revendication initiale de «respecter nos votes» s’inscrit certes dans une continuité mais ne peut se concrétiser que dans un contexte qui en un mois a évolué. Dès lors, les députés élus en 2020, très majoritairement membres de la LND (Ligue nationale pour la démocratie), envisagent les mobilisations comme pouvant «revenir» à la situation de fin janvier. Ces élus sont organisés dans le Committee Representing Pyidaungsu Hluttaw (CRPH-Comité représentant l’Assemblée de l’Union, l’organe législatif bicaméral) qui dispose d’une large audience. Ils affirment en ce début mars qu’ils «assument leurs devoirs de membres du cabinet» et pour ce faire ont nommé quatre ministres (voir le site The Irrawaddy, 2 mars 2021). Le CRPH apparaît comme une référence pour des représentants de la LND dans des districts et des circonscriptions, et, de ce fait, s’affirme comme une structure gouvernementale parallèle pouvant être considérée comme interlocutrice pour l’ONU. La largement médiatisée déclaration, le 26 février, du représentant permanent du Myanmar auprès de l’ONU, U Kyaw Moe Tun, dénonçant le coup d’Etat et affirmant son allégeance au peuple s’intègre dans cette perspective de reconnaissance du CRPH comme gouvernement légitime. Les arrestations et condamnations de dirigeants de la LND ont pour fonction de miner cette perspective de «contre-gouvernement». En outre, les coups portés contre des médias en birman et les arrestations accrues de journalistes font obstacle à la présence publique du CRPH.

Les activités de résistance des «sociétés civiles des minorités régionales» participent du rejet de la dictature, mais ne s’inscrivent pas automatiquement dans un mouvement hégémonisé par des représentants de la LND qui n’ont pas pris en compte la perspective d’un système fédéraliste et s’inscrivaient dans une affirmation centraliste. La perpétuation d’un mouvement de résistance pose aussi le problème des possibles confluences entre ces composantes, même si la répression tend à occulter dans l’immédiat cette interrogation. Enfin, les divers mouvements de grève, comme celui des enseignant·e·s – dont l’impact est certes limité par le seul fait du confinement du système scolaire –, celui des soignant·e·s, celui de travailleurs du secteur privé sont déterminants pour maintenir un dysfonctionnement du secteur public et d’entreprises liées à l’appareil militaire. Mais leur inscription dans le CDM et donc dans l’affrontement, de facto, politique face à la junte relève de leurs capacités de maintenir leurs actions, de ne pas être brisés par une répression déterminée et de trouver des relais pour l’expression de leurs exigences.

Des diverses publications en langue anglaise, des appels sur les réseaux sociaux ressort une attente marquée dans «l’aide de la communauté internationale face au coup d’Etat». Que des sanctions face aux membres de l’appareil militaire – le Tatmadaw – soient réclamées est plus que compréhensible. Il en va de même pour ce qui touche aux sanctions visant les entreprises directement liées au Tatmadaw, ainsi que les actions dénonçant les collaborations des transnationales présentes au Myanmar avec la junte et réclamant le respect des droits syndicaux de leurs salarié·e·s. Les adresses à ce sujet faites en direction de l’OIT sont fonctionnelles pour développer une solidarité internationale, entre autres du mouvement syndical. La junte accentuera la répression pour empêcher que le CDM, au-delà de ses composantes diverses, apparaisse comme une expression massive des revendications démocratiques et sociales. Voilà ce qui nourrit sa haine du rejet massif et inattendu de son «coup» du 1er février, cette haine ne se nourrit pas seulement de son «habitude du pouvoir militaire» comme le laissent entendre divers médias internationaux. (4 mars 2021)

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