Myanmar. «Annuler officiellement les élections» et diffuser la répression et la peur

Par rédaction de A l’Encontre

La junte militaire birmane, face à la résistance massive démocratique et face à la rhétorique internationale la menaçant de sanctions économiques, vise à «normaliser» les modalités de son pouvoir tel qu’imposé le 1er février. Ainsi, le président de la Commission électorale de l’Union, Thein Soe, ex-général de division de l’armée, en place depuis le 2 février 2021, a officiellement annulé le résultat des élections de novembre 2020! En plus de sa carrière militaire, il fut président de la Cour constitutionnelle entre mars 2011 et septembre 2012 et avait déjà occupé le poste de président de la Commission électorale de l’Union de mars 2010 à mars 2011. Un expert des élections placées sous surveillance militaire telle que le prévoyait la loi de mars 2010 qui assurait que le pouvoir militaire nommerait tous les 17 membres de la Commission électorale, qui décideraient du résultat final des élections.

Le néo-ex-président de la Commission électorale a convoqué les dirigeants des partis dans la capitale Naypyidaw. Les représentants de la Ligue nationale pour la démocratie – dirigée par Daw Aung San Suu Kyi, qui a été «déplacée» il y a six jours de sa maison dans un endroit tenu secret – ont refusé «l’invitation». La Ligue nationale Shan qui représente la plus grande minorité ethnique de Birmanie (environ 10% de la population) a aussi boycotté cette réunion.

L’opération de la junte repose sur la prétention à représenter une majorité des partis inscrits, qui sont au nombre de 98, soit 53 d’entre eux. Il va de soi que ces partis sont supervisés par le pouvoir. Par ailleurs, l’essentiel de ceux ayant participé à la réunion étaient des formations en déclin aussi bien lors des élections générales de 2015 que de 2020. Selon la tradition du pouvoir, «leurs dirigeants» ont été cooptés à des postes tels que le Conseil administratif de l’Etat (SAC), créé le 2 février 2021 par le Min Aung Hlaing. Ce Conseil administratif a mis en place le 11 février des Conseils administratifs dans les 14 Etats et régions de l’Union, ce qui doit annuler toute représentativité des élus et représentants de la LND (Ligue nationale démocratique). De fait, toutes les structures étatiques, depuis la Cour suprême en passant par la Banque centrale, ont été réorganisées. Sous le parapluie de l’USDP (Parti de l’union, de la solidarité et du développement), parti marionnette des militaires, d’autres représentants de partis sont intégrés, comme membres «civils» dans le SAC, tous ayant soit des alliances avec l’USDP, soit représentant des partis régionaux, satellites du pouvoir.

Selon le site Myanmar Now, «certains dirigeants des partis politiques présents à la réunion ont exhorté le président de la Commission électorale à abolir le parti LND, accusé d’avoir mené un vote frauduleux, et à résoudre le soulèvement démocratique national en cours contre le coup d’État du 1er février par une démonstration de force». Des propositions de mesures de rétorsion contre les partis qui ont boycotté la réunion ont été enregistrées par Thein Soe. Afin de «respecter la hiérarchie», celui-ci a indiqué qu’il transmettrait les suggestions au général Min Aung Hlaing. Voilà quelques facettes de «l’effort» pour préparer l’échéance proclamée d’élections dans un an, avec une Commission électorale qui décidera des résultats!

Cette garniture de partis a pour stricte fonction d’être déployée pour faciliter les rapports avec de possibles appuis politiques régionaux et certains investisseurs internationaux qui cherchent à maintenir, conjoncturellement, un profil bas. Des oppositions se manifestent à la Bourse de Singapour contre des crédits censés financer les forces armées birmanes connues sous le nom de Tatmadaw. Des signaux qui attirent certainement l’attention des alliés économiques privés du pouvoir militaro-économique. En outre, des acteurs régionaux (Thaïlande, Indonésie) craignent avant tout une déstabilisation d’ampleur et militent pour trouver un dit compromis. Quant à Pékin, il n’est pas prêt à valider une mobilisation démocratique qui mettrait en cause le pouvoir militaire, mais il sait avoir profité au plan économique de «l’ouverture» opérée au cours des dix dernières années.

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Un tel projet de la junte prend appui sur une relance de la répression face à une insurrection démocratique, inattendue dans son ampleur. Pour cela, elle a recours à des mesures administratives issues du passé. Par exemple, la surveillance des personnes logeant «comme invités» est relancée. Elle avait été suspendue en 2016. Il s’agit de l’art. 13g de la loi sur l’administration des quartiers et des villages. Treize jours après ledit coup d’Etat a été introduite une disposition obligeant les résidents à obtenir un permis de séjour auprès de l’administration du quartier. Le couvre-feu de 20h à 4h du matin a été imposé dès le 8 février. Dès lors, les forces de sécurité peuvent visiter les appartements lors de raids nocturnes. La population a réagi en organisant des patrouilles pour avertir l’arrivée de policiers et en frappant sur des casseroles. La résistance à ce type de pratiques, qui renvoient à des méthodes courantes à l’époque de la domination coloniale britannique, se traduit aussi par le refus public d’avocats de reconnaître la validité constitutionnelle de la restauration de ce genre de lois. Ainsi, Thazin Myat Myat Win, une avocate qui vit dans le quartier de Thingangyun à Yangon, déclare suite aux interrogations de ses voisins: «Ils ne savent pas s’ils seront arrêtés au cas où ils ne remplissent pas les formulaires d’inscription. Je leur ai dit qu’ils n’ont rien à faire, parce que les formulaires ont été émis par un conseil militaire et non par un gouvernement élu.» Mais la junte compte sur les effets découlant de l’arrestation d’un plus grand nombre de personnes dans les quelques semaines à venir, afin de créer et étendre un climat de crainte. Pour le pouvoir militaire, il ne s’agit pas seulement de réprimer ponctuellement des manifestations, ce qui a son importance, mais de banaliser la surveillance de la population pour inhiber les réactions et résistances. L’arrestation d’une personne, dans la tradition récente des militaires et de la police, est suivie d’inspections dans le milieu familial afin de susciter une crainte constante «que quelqu’un frappe à la porte».

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L’insurrection démocratique, dans la foulée du 1er février, a pris appui sur la perspective d’un débrayage massif de fonctionnaires, que ce soit des agents du fisc, des médecins ou des enseignants. L’orientation d’une grève générale renvoie pour beaucoup à des actions dans diverses villes où la population prétend répondre au «pouvoir des élus» dont le pouvoir a été balayé le 1er février. Dans ce sens, il y a tendanciellement un affrontement de dualité de pouvoir embryonnaire. Mais de là à sa concrétisation il y a un fossé considérable.

La junte doit briser tout sentiment d’auto-affirmation de la société civile et déployer un éventail répressif dont un des éléments s’est exprimé dès le jeudi 25 février: les actions de gangs pro-militaires attaquant physiquement des manifestants, gangs protégés par la police et les militaires. Ces derniers arrêtant des manifestants censés s’affronter avec les «sympathisants» du nouveau pouvoir. (26 février 2021)

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