Tribune collective
Ces derniers jours ont été marqués par une nette aggravation des atteintes à la liberté syndicale, aux libertés d’expression et de manifestation. L’accumulation convergente de divers moyens de répression et d’intimidation contre des acteurs du débat public, en raison de leur positionnement sur les termes du conflit israélo-palestinien, constitue une limitation inacceptable du pluralisme démocratique.
Après l’appel à interdiction systématique des «manifestations pro-palestiniennes» lancé par Gérald Darmanin à l’automne 2023, immédiatement recadré par le Conseil d’État, des centaines d’amendes et de nombreux placements en garde à vue ont été décidés, notamment à l’encontre de personnes racisées.
Les atteintes aux libertés ont désormais franchi de nouveaux caps: l’interdiction administrative – finalement suspendue – de la marche du 21 avril 2024 [contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection de tous les enfants] et l’interdiction par arrêté préfectoral, notamment pour risque de «trouble à l’ordre public» d’une conférence organisée par l’association Libre Palestine.
À ces interdictions s’ajoutent les convocations par les services de police de l’une de ses intervenantes, par ailleurs candidate aux élections européennes [Rima Hassan] ainsi que d’une présidente de groupe parlementaire [Mathilde Panot], lesquelles interviennent après l’ouverture de plusieurs autres enquêtes judiciaires contre des militant·es, membres d’organisations syndicales (CGT, Solidaires, Sud Rail, Sud Aérien) et politiques pour des faits d’apologie du terrorisme.
Dans ce contexte, nous exprimons notre plus vive préoccupation devant des interprétations extensives et aléatoires du délit d’apologie du terrorisme et de la notion d’«ordre public», ayant pour objet ou pour effet d’intimider lourdement des militants associatifs, syndicaux ou politiques.
Nous tenons ainsi à alerter l’ensemble des acteurs institutionnels concernés, de même que l’opinion publique, quant à l’existence de mécanismes de procédures bâillons ayant pour conséquence, in fine, l’éviction de certain·es militant·es associatifs, syndicaux ou politiques du débat public.
L’accumulation de décisions de ce type de la part des autorités administratives, policières et judiciaires s’inscrit dans un mouvement plus large qui tend à réprimer des formes toujours plus diversifiées de contestation sociale ou politique. Ces tentatives d’intimidation se font au demeurant à l’aide d’outils juridiques toujours plus nombreux (interdictions de manifester, gardes-à-vue préventives, tentatives de dissolutions ou retraits d’agrément ou de subventions d’associations, etc.). Leur dévoiement est d’ailleurs dénoncé par l’ONU, le Conseil de l’Europe, le Défenseur des droits et les organisations de défense des droits humains.
Les moyens préventifs, coercitifs et répressifs ne doivent pas servir à orienter ou restreindre le débat public. Nous appelons l’ensemble des magistrat·es à redoubler de vigilance afin de ne pas réduire la justice à un outil de censure du débat démocratique, alors qu’elle est censée être le dernier rempart des libertés publiques et individuelles.
Nous réaffirmons son rôle fondamental de contrôle du respect des garanties prévues par le code de procédure pénale et par la Convention européenne des droits de l’Homme, spécifiquement lorsqu’il est fait recours à des mesures privatives de liberté telles que la garde-à-vue. Le principe d’interprétation stricte de la loi pénale commande aux magistrat·es de se prémunir contre toute interprétation extensive des textes d’incriminations de ces infractions.
Nous exprimons, par suite, notre attachement à une conception ouverte et équilibrée de la liberté d’expression et de contestation en démocratie, constitutionnellement protégées. (26 avril 2024)
Premier·es signataires
Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH)
Sophie Binet, secrétaire générale de la Confédération Générale du Travail (CGT)
Fatima-Ezzahra Benomar, présidente de Coudes à Coudes
Murielle Guilbert, déléguée générale d’Union syndicale Solidaires
Judith Krivine, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF)
Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature (SM)
Benoit Teste, secrétaire général de la Fédération Syndicale Unitaire (FSU)
Marie-Pierre Vieu-Martin, co-présidente de la Fondation Copernic
Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac France
Soutenu·es par :
Syndicats
CGT Interieur-Police
Fédération Syndicale Étudiante (FSE)
Union syndicale de la psychiatrie (USP)
Union syndicale des étudiants de France (UNEF)
Union étudiante
Syndicat National des Personnels de l’Education et du Social, SNPES-PJJ/FSU
Syndicat national de l’enseignement supérieur, SNESUP-FSU
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