Quand Netanyahou se souvient de l’«holocauste des Arméniens»

Par Vicken Cheterian

Le 9 mars, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a publié sur son compte de microblog le texte suivant, que l’on peut traduire ainsi: «Israël, qui adhère aux lois de la guerre, ne recevra pas de leçons de morale de la part d’Erdogan, qui soutient les meurtriers et les violeurs de l’organisation terroriste Hamas, nie l’holocauste arménien et massacre les Kurdes dans son propre pays.»

Le premier ministre israélien réagissait à un discours antérieur dans lequel le dirigeant turc l’avait comparé à Staline et à Hitler. Erdogan a accusé Netanyahou de commettre un génocide pur et simple contre la population palestinienne de Gaza.

La partie la plus curieuse du tweet de Netanyahou est sa référence à l’«Holocauste arménien». Le 12 janvier 2024, le ministre israélien des Affaires étrangères, Israel Katz, a publié un tweet similaire: «Le président de la Turquie @RTErdogan, originaire d’un pays dont le passé est marqué par le génocide arménien, se vante maintenant de cibler Israël avec des affirmations infondées. Nous nous souvenons des Arméniens, des Kurdes. Votre histoire parle d’elle-même…»

La chose curieuse est qu’Israël lui-même n’a pas reconnu le génocide arménien en tant que tel. L’establishment politique israélien a lutté pendant des décennies contre la reconnaissance du génocide arménien, pour deux raisons: pour préserver l’exceptionnalité de l’Holocauste des Juifs européens pendant la Seconde Guerre mondiale par l’Allemagne nazie, mais aussi en raison de l’alliance stratégique de longue date avec la Turquie.

L’historien Yair Auron, dans son livre The Banality of Denial, Israel and the Armenian Genocide (Routledge, 2003), comprend très bien le discours de cet officiel israélien lorsqu’il écrit: «Au fil des ans, j’ai été troublé par un sentiment de malaise oppressant et par la critique du comportement évasif, frôlant le déni, de divers gouvernements d’Israël à l’égard de la mémoire du génocide arménien.»

Israël n’est pas seulement un gouvernement négationniste en ce qui concerne le génocide des Arméniens. Il est également un participant actif dans les récentes guerres que l’Azerbaïdjan a lancées, avec l’aide de la Turquie, contre l’Arménie et les Arméniens du Haut-Karabakh. Israël a activement armé l’Azerbaïdjan avec des armes de haute technologie, permettant à l’Azerbaïdjan en 2020 de percer les défenses du Haut-Karabakh. Juste avant la «solution finale» azerbaïdjanaise du Haut-Karabakh en septembre 2023, 92 vols cargo ont transporté des armes et des munitions des bases militaires israéliennes vers l’Azerbaïdjan. En juillet 2023, deux mois avant l’assaut, Yoav Gallant, ministre israélien de la Défense, s’est rendu en Azerbaïdjan pour faire l’éloge de la collaboration militaire entre les deux pays.

Israël a non seulement participé à la négation du génocide arménien dans le passé, mais a également pris une part active au nettoyage ethnique des Arméniens du Haut-Karabakh.

La prise de bec entre Israël et la Turquie a lieu alors que l’armée israélienne est accusée d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes génocidaires lors de sa guerre à Gaza. Israël, pays construit par les survivants de l’Holocauste, est aujourd’hui accusé par l’Afrique du Sud, devant la Cour internationale de justice des Nations unies, d’avoir commis un «génocide» à Gaza. Israël est accusé de ne pas respecter les «lois de la guerre», contrairement à ce que prétend Netanyahou.

Alors, que dit Netanyahou lorsqu’il se souvient de «l’holocauste arménien»?

Il y a deux façons de se souvenir des atrocités du passé: l’une consiste à empêcher que des crimes se produisent à l’avenir. Le slogan «Plus jamais ça» est un premier pas vers la construction d’un ordre civilisé après les crimes de guerre et les destructions massives.

Mais Netanyahou n’adhère pas à ce slogan. Il adhère à un autre slogan: «Plus jamais ça pour nous!». La mémoire des atrocités passées justifie tous les crimes que les dirigeants israéliens décident de commettre. On se souvient des crimes contre l’humanité et des génocides passés pour justifier les crimes futurs, et non pour les empêcher de se produire.

Lorsque Netanyahou parle à Erdogan, il parle de pouvoir à pouvoir. Il dit: n’intervenez pas dans mes massacres contre les Palestiniens, comme je n’interviens pas dans votre génocide arménien, vos massacres kurdes et votre aide au nettoyage ethnique des Arméniens du Karabakh!

Le 24 avril est commémoré le 109e anniversaire du génocide arménien. Quelles leçons avons-nous tirées du premier génocide des temps modernes? (Article publié sur le site Agos le 18 avril 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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