Par Tim Kennelly
Le général Petraeus vient de dénoncer le projet mettre à profit un «jour commémoratif» – le 11 septembre 2010 – «pour brûler le Coran», car «l’islam condamne des milliards de personnes à l’enfer». Paroles du pasteur Terry Jones, d’une petite secte de Gainesville (en Floride), émises sur la chaîne CNN, en juillet 2010. Et le nouveau patron des forces de combats des Etats-Unis en Afghanistan d’affirmer : «Cela peut mettre en danger nos troupes et peut porter atteinte à notre effort [contre-insurrectionnel] d’ensemble.»
Des centaines de personnes se sont réunies à Kaboul lançant le slogan : «A bas les Etats-Unis !». Elles ont réclamé le départ des troupes états-uniennes. Des jets de pierres ont accueilli un convoi militaire (Wall Street Journal, 6 septembre 2010).
L’ex-patron des troupes états-uniennes en Irak, le général Ray Odierno, avait aussi demandé à Obama de mettre fin à la diffusion de photographies étalant les exactions infligées à des prisonniers irakiens. Petraeus fait de même, sur le fond, en prenant position publiquement contre les déclarations d’un pasteur qui, lui, les inscrit dans la montée dite «d’islamophobie», de racisme anti-arabe, outre son délire «religieux».
La réaction publique de Petraeus est révélatrice de la situation dans le pays où le gouvernement Karzaï – pour autant que l’on puisse utiliser le terme de gouvernement pour qualifier ce gang de chefs corrompus – vient d’annoncer le 4 septembre 2010, la création d’un «Haut conseil de paix» pour négocier avec les talibans.
Au même moment, la Basler Zeitung (4 septembre 2010) informe sur la livraison de véhicules de transport de troupes – Eagle IV de la firme suisse Mowag – à l’armée allemande. Cette dernière utilisera ce véhicule en Afghanistan, ce qui va à l’encontre de la décision, datant de décembre 2008, sur l’exportation du matériel de guerre.
La guerre en Afghanistan a une dimension «englobante» pour les Etats impérialistes qui, prévoyant son impasse, participent mais hésitent et manifestent des réticences, tout en y restant avec un pied, ou deux, ou une main.
Nous publions ici un article qui informe sur la présence militaire du Canada, entre autres, en Afghanistan. Cet article illustre le rôle d’un pays sur lequel, à ce sujet, les médias européens parlent peu ou pas. (Réd.)
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Le 13 mars 2008, le Parlement canadien a voté en faveur d’une prolongation de la «mission» militaire canadienne en Afghanistan jusqu’en juillet 2011. La motion, présentée par la minorité conservatrice au gouvernement, a été soutenue par les Libéraux de l’opposition. Les faiseurs de guerre estimaient à juste titre que le fait de fixer une date pour le retrait détournerait le mouvement d’opposition à la guerre qui tend à s’élargir dans le public canadien et permettrait de gagner du temps pour une participation prolongée du Canada à cette guerre. Depuis lors, la situation politique et militaire en Afghanistan a continué à se détériorer pour les forces d’occupation. Et des politiciens les plus en vue sont en train de formuler des propositions pour repousser cette date de retrait pour une mission militaire, alors que celle-ci constitue déjà une grossière violation de la souveraineté nationale et des droits humains du peuple afghan.
Le Premier Ministre Stephen Sharper affirme que le gouvernement respectera la date fixée précédemment. Mais il dit aussi que le Canada va maintenir sa présence militaire en Afghanistan au-delà de 2011, pour entraîner le personnel policier et militaire. Or, contrairement à ce que prétend le gouvernement, ceci correspond non pas à un rôle non-combattant mais à une extension de facto de la mission militaire .
Suite à sa visite en Afghanistan à la fin mai 2010, le député et critique des Affaires Etrangères Bob Rae a déclaré qu’il était temps de revoir la date prévue pour le retrait et de se préparer pour une intervention plus longue. Même Jack Harris, critique des affaires militaires du Nouveau Parti Démocratique [social-démocratie canadienne], n’exclut pas une continuation du rôle militaire du Canada. Il participait à la même délégation que Rae et il a déclaré aux journalistes à Kandahar: «Il y a évidemment d’importants soucis au sujet de la situation humanitaire et la construction d’institutions en Afghanistan. Une autre question est de savoir si ce sont des militaires qui doivent le faire … Nous pouvons aider à la construction d’institutions par d’autres voies.»
Les importantes augmentations des dépenses militaires du gouvernement canadien sont en contradiction avec la promesse d’un retrait. Un rapport de 2009 par le Canadian Center for Policy Alternatives (Centre canadien pour des orientations politiques alternatives) a déclaré que le Canada allait dépenser 21 milliards de dollars pour le secteur militaire en 2009-2010, soit une augmentation de 56% depuis 1998-1999. Récemment le gouvernement canadien a annoncé l’achat de nouveaux avions de combat à réaction pour 9 milliards de dollars, soit un des achats les plus importants dans l’histoire du Canada.
L’escalade de la guerre
La guerre continue à s’intensifier de manière débridée. En date d’août, 425 soldats des forces d’occupation étrangères sous commandement des Etats-Unis ont été tués au cours des sept premiers mois de 2010. A ce rythme, cette année sera la plus meurtrière pour la coalition impérialiste depuis le début de la guerre il y a neuf ans.
Le mois de juin et de juillet ont été respectivement le premier et le deuxième mois le plus meurtrier pour les forces étrangères. Cent-deux de leurs soldats ont été tués en juin et 89 en juillet. Juillet a été le mois où les Etats-Unis ont subi les pertes mensuelles les plus importantes en Afghanistan, avec 66 soldats tués.
Depuis qu’il a pris le pouvoir en tant que Président, en janvier 2009, Obama a intensifié la guerre en Afghanistan de manière significative. Suite à l’accroissement massif de troupes, 100’000 militaires seront sur place à la fin août 2010, soit trois fois plus que lorsqu’il ce pays a été envahit. Le seul résultat tangible de cet accroissement des effectifs a été l’augmentation du nombre d’Afghans tués par les forces étrangères et des morts parmi les troupes impérialistes suite à la contre-offensive menée par les combattants résistants.
Obama a également développé la guerre en direction du Pakistan, où des attaques aériennes par des drones sans pilote ont tué un grand nombre de Pakistanais dans la région montagneuse le long de la frontière avec l’Afghanistan.
Une guerre pour la «démocratie et pour les droits des femmes»?
Les Etats-Unis et leurs alliés impérialistes dans l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) prétendent que le but de leur guerre était de protéger la «démocratie et les droits des femmes» en Afghanistan. Ces deux allégations sont démenties par les réalités du terrain.
Les Etats-Unis ont soutenu le président afghan Hamid Karzai, un représentant de l’élite aisée et corrompue en Afghanistan. Son régime est formé essentiellement de propriétaires terriens, d’hommes d’affaires et de criminels de guerre reconnus et leurs compères. Ils constituent la majorité des représentants dans le parlement afghan. Leur gouvernement n’a rien fait pour améliorer les conditions de vie des Afghans ordinaires, et il est méprisé par une grande majorité de la population.
La situation des femmes afghanes continue à être aussi tragique qu’elle a toujours été. Depuis 2004, le parlement afghan a remis en vigueur la plupart des politiques anti-femmes qui étaient appliquées avant 2001 sous le gouvernement dirigé par les Talibans. Certaines mesures vont même au-delà de ce qui existait avant. Des exemples d’abus sexuel et d’agressions contre les femmes afghanes sont aussi fréquents qu’avant, et les coupables de ces actes restent impunis. Les suicides de femmes par auto-immolation sont plus fréquents que jamais auparavant.
Un article du New York Times du 31 juillet 2010 par Alissa Rubin rapporte que «les écoles pour filles sont en train de fermer; les femmes qui travaillent sont menacées; des avocates sont attaquées, et des familles terrifiées tendent de plus en plus à confiner leurs filles à la maison.»
La stratégie états-unienne échoue alors que l’opposition s’étend partout dans le monde
Depuis le mois de juin, l’augmentation d’effectifs militaires de Obama s’est concentrée autour de Kandahar City, le principal centre d’opérations de l’OTAN au sud de l’Afghanistan depuis 2004. Un autre point significatif est la capacité croissante des forces de la résistance [les Talibans] pour lancer des attaques dans Kaboul, la capitale afghane.
L’administration Obama a subi un autre déboire concernant sa stratégie en Afghanistan avec la publication le 26 juillet par le site Wikileaks du «Journal de guerre afghan», soit une collection de 91’000 rapports militaires états-uniens «secrets» sur la guerre couvrant la période entre 2004 et 2009 (quelque 15’000 documents vont encore être publiés). D’après Wikileaks, le Journal constitue «les annales les plus significatives sur la réalité de la guerre à avoir été dévoilées au cours d’une guerre.»
Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, a expliqué dans un entretien du 27 juillet avec Democracy Now: «Le plus significatif, c’est l’immense vague d’abus qui ont été commis durant les six dernières années, l’immense misère et le carnage de la guerre… la plupart des incidents ayant provoqué des victimes civiles ont lieu dans des événements où 1, 2, 10 ou 20 personnes sont tuées, et du point de vue du nombre ils dominent la liste des événements.»
Les documents révèlent qu’une grande partie de la guerre a été menée subrepticement par des forces états-uniennes pour des opérations spéciales, telles que la Task Force 373, devenue tristement célèbre. Ces forces opèrent surtout la nuit, échappant au radar de tous les médias, et tuent impunément.
Les victimes civiles afghanes sont beaucoup plus nombreuses que ce qui a été admis par les forces d’occupation. D’après un article du journaliste indépendant Justin Podur publié le 6 août 2010, le «Journal de guerre» enregistre le nombre de 15’219 Afghans morts au combat. Il y a toutes les raisons de croire que beaucoup d’Afghans sensés être tués au combat étaient en fait des civils. 3’994 victimes civiles ont été enregistrées, même si seulement 34 d’entre elles sont attribuées aux forces d’occupation.
Les révélations du journal de guerre sont intervenues à la suite du limogeage, fin juin 2010, du Général Stanley McCrystal, commandant des troupes états-uniennes en Afghanistan, qui a été remplacé par le Général David Petraeus, architecte de l’accroissement massif (surge) des effectifs militaires en Irak en 2007 sous l’administration Bush. Le limogeage de McCrystal est révélateur de la confusion qui règne parmi les dirigeants du Pentagone et de l’administration Obama, et reflète les doutes croissants au sein de la population en général – sinon parmi les militaires eux-mêmes – sur le fait de savoir si cette guerre peut être gagnée.
Un sondage de CBS News effectué au début juillet 2010 indique que 62% des Etats-uniens sont mécontents de la guerre, ce qui constitue une augmentation de 13% depuis le mois de mai. Le même sondage indique que 54% des Etats-uniens souhaitent que le gouvernement établisse un calendrier pour le retrait d’Afghanistan des troupes états-uniennes.
Sans tenir compte de l’augmentation de l’opposition, le Congrès a approuvé 27 juillet le projet de loi pour le financement de la guerre le. Celui-ci finance l’augmentation des effectifs militaires voulue par Obama à hauteur de 37 milliards de dollars. Mais le soutien du Congrès n’est plus unanime. Cent-deux Démocrates ont voté contre le projet de loi, ce qui a obligé Obama a s’appuyer sur des votes républicains pour faire passer la mesure.
Obama prétend que l’augmentation des effectifs militaires va prendre fin au terme de 2010, et que les Etats-Unis vont commencer à retirer les troupes d’Afghanistan. Pourtant, les Etats-Unis se sont engagés à aider régime afghan jusqu’à ce qu’il arrive à gérer la «sécurité» du pays. Les Etats-Unis et les autres gouvernements qui soutiennent le régime de Karzai ont d’ailleurs récemment tenu une conférence en Afghanistan, et ils y ont décidé d’aider le régime jusqu’à ce que celui-ci soit capable de gérer les actions militaires de lui-même. Ils ont estimé que cela ne serait possible qu’en 2014 au plus tôt.
Une rhétorique similaire est appliquée par les Etats-Unis en Irak. Début août, Obama a annoncé que les Etats-Unis allaient y terminer leur mission de combat à la fin du mois. Pourtant 50’000 soldats et 4’500 troupes des «forces spéciales» vont rester sur place, ainsi que d’innombrables bases aériennes et navales. La Secrétaire d’Etat Hillary Clinton souhaite une augmentation des Forces Spéciales à 7’500.
D’après l’écrivain Jeremy Scahill, la politique de Obama en Irak représente une continuation de celle menée par l’administration Bush. Dans une interview avec Democracy Now il a déclaré: «Le Président Obama est en train d’appliquer la politique qui était sur le bureau de George W. Bush lorsque celui-ci a quitté la Maison Blanche. Il s’agit essentiellement du plan de Petraeus-Bush pour l’Irak. Prétendre que Obama est en train déshonorer la promesse faite pendant la campagne électorale de mettre un terme à la guerre est joué sur les mots, car en réalité il a simplement appliqué ce qu’était déjà la politique états-unienne lorsqu’il est arrivé à la Maison Blanche.»
Le scandale des tortures des détenus
Le gouvernement canadien a été embarrassé par une intense controverse concernant le traitement subi par des détenus afghans aux mains des forces canadiennes. Les premières allégations allant dans ce sens ont commencé en 2007, lorsque, suite à une demande de Access to Information (loi sur l’accès à l’information), le professeur de droit Amir Attaran a obtenu des documents lourdement censurés indiquant que les militaires canadiens remettaient – en toute connaissance de cause – des détenus afghans aux autorités policières afghanes. Ils étaient alors systématiquement torturés.
Ces allégations ont gagné en crédibilité en novembre 2009, lorsque Richard Colvin, qui a été pendant un temps le deuxième diplomate du service diplomatique du Canada en Afghanistan, a livré un témoignage explosif devant un comité parlementaire, où il a confirmé que des détenus afghans livrés par le Canada étaient torturés et que des autorités canadiennes, voire peut-être le gouvernement lui-même, avaient fermé les yeux. Le Premier Ministre Harper a alors demandé au Gouverneur Général de suspendre le Parlement durant quelques mois pour éviter une enquête plus approfondie du scandale, ce qui a été accordé.
Lorsque le Parlement a repris en mars, les partis de l’opposition ont passé une motion obligeant le gouvernement à autoriser la parution des documents non censurés concernant cette question. Le gouvernement a refusé. En juin 2010, le gouvernement a conclu un accord avec les Libéraux pour nommer une commission de trois personnes qui vont déterminer quels documents pourront être dévoilés au public.
Le mouvement contre la guerre
Des sondages dans tous les pays menant la guerre montrent une opposition accrue à la guerre. Les attaques contre les droits démocratiques et les réductions des dépenses sociales qui vont de pair avec la poursuite de la guerre sont également en train de susciter une augmentation du nombre d’opposants.
Malgré le nombre apparemment faible de personnes qui descendent dans la rue pour s’opposer à la guerre en Afghanistan, il y a des signes d’un élargissement des mobilisations. Les Pays-Bas ont été obligés de retirer leurs 1900 soldats, le gouvernement en place ayant échoué à obtenir une majorité au Parlement pour les y maintenir. C’est le premier pays membre de l’OTAN à se retirer. Les gouvernements d’Allemagne et de Grande-Bretagne sont soumis à de fortes pressions allant dans le même sens.
Au Royaume-Uni, le résistant à la guerre Joe Glenton, qui a passé une année en prison pour avoir refusé de retourner en Afghanistan, est devenu un leader énergique du mouvement contre la guerre.
Aux Etats-Unis, 850 personnes ont participé, du 23 au 25 juillet, à une Conférence Nationale Contre la Guerre à Albany, dans l’Etat de New York. La conférence a appelé à une «unité d’action, des mobilisations massives, l’inclusion de larges secteurs populaires de la société, un fonctionnement démocratique et la construction d’un mouvement social de masse indépendant des partis politiques mais qui visera à influencer leurs bases.» Elle a prévu de mener toute une série d’activités à partir de l’automne, qui culmineraient dans des manifestations de masse à New York et à San Francisco le 9 avril 2011.
L’Alliance Canadienne pour la Paix – un des plus grands réseaux contre la guerre du pays – prévoit de coordonner durant l’automne une campagne contre une nouvelle extension par le Canada de la guerre en Afghanistan, et d’organiser une série d’événements en octobre avec le militant social afghan Malalai Joya. Récemment à Toronto, Josie Forcadilla, la mère d’un soldat canadien en Afghanistan, a parlé devant un rassemblement de 200 personnes contre la guerre.
Aussi bien la crise grandissante des Etats-Unis et de leurs alliés en Afghanistan que le retrait des Pays-Bas montrent qu’il est possible de mettre un terme à la guerre. «Oui, nous pouvons» construire une opposition agissante dans la rue, ramener les troupes, terminer la guerre en Afghanistan et mettre le monde sur la voie d’une orientation de justice sociale et environnementale. (Traduction A l’Encontre; écrit le 25 août)
* Tim Kennelly est actif, à Vancouver, dans le Mouvement pour paix et la solidarité avec la population palestinienne.
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