Etats-Unis. «Le mur», Trump et les Démocrates

Conférence de presse sur «le mur», le 4 janvier 2019…

Par Barry Sheppard

Lorsqu’il a annoncé pour la première fois qu’il se présentait aux primaires républicaines pour l’investiture de ce parti à la présidence, Donald Trump a montré que le racisme anti-Mexicains, en général le racisme contre tous les non-Blancs, la xénophobie anti-immigrants et l’islamophobie seraient au cœur de sa campagne.

Il a notamment répété à maintes reprises son engagement à «construire un mur» entre les Etats-Unis et le Mexique pour interdire l’entrée aux immigrants d’Amérique centrale et du Mexique, qu’il a qualifiés de violeurs, meurtriers, voleurs, trafiquants de drogue, trafiquants de sexe, etc.

Le fait qu’une personne manifestant un racisme aussi explicite ait même été autorisée à briguer la candidature au poste le plus puissant à Washington témoigne de la faiblesse de la démocratie bourgeoise aux Etats-Unis.

Aujourd’hui, avec l’appui des Républicains, Trump a partiellement fermé le gouvernement fédéral dans le cadre d’une impasse avec les Démocrates, en exigeant 5 milliards de dollars pour commencer à construire «le mur» [de 3145 km de long]. Une fois de plus, Trump intensifie ses propos racistes et ses mensonges pour étayer son exigence, comme il l’avait déjà fait en novembre dernier avant les élections de mi-mandat de 2018.

Comme l’écrit Justin Akers Chacón sur le site Socialist Worker états-unien, la demande de Trump n’est «que la dernière tentative en date pour construire et étendre le mur. La construction du mur a commencé avec l’opération Gatekeeper et les projets annexes, qui ont débuté sous le régime du démocrate Bill Clinton. Sous George W. Bush (avec le soutien majoritaire du Parti démocrate) le mur a été prolongé de plus de 100 milles, les barrières physiques atteignant ainsi 654 milles. En fait, le trumpisme est le produit de 30 années de politique dite migratoire états-unienne, sous sa forme la plus grotesque et violente.»

Les Démocrates se sont positionnés comme étant prétendument les opposants à Trump en déclarant qu’ils ne céderaient pas à sa demande. Mais même les termes qu’ils emploient révèlent qu’ils ont adopté la logique centrale de Trump en faveur de son mur. C’est ainsi que les deux leaders démocrates au Congrès, Nancy Pelosi à la Chambre et Charles Schumer au Sénat, soulignent qu’ils sont d’accord avec Trump pour dire que la «sécurité frontalière» doit être renforcée, mais par d’autres moyens que l’extension des barrières déjà existantes le long de la frontière sud, qu’ils déclarent ne pas être «efficaces».

Trump n’hésite pas à dire qu’il peut utiliser les «pouvoirs d’urgence» pour faire construire le mur sans l’approbation de la Chambre des députés et du Sénat. Et cela «étant donné les problèmes propres à la sécurité de notre pays». Puis, il affirme qu’il ne le fera pas… car c’est une question de «deal» avec les Démocrates, sous pression d’un shutdown (fermeture) d’une partie de l’administration fédérale la plus longue de l’histoire [1].

Ce que les démocrates opposent à l’extension du mur est le type de contrôle des frontières défendu par les Démocrates. M. Akers-Chacón explique: «Au cours des huit années de l’administration Obama, on a assisté à une intensification de mesures coercitives aux frontières avec l’utilisation accrue de la militarisation, de la surveillance et du personnel armé plutôt qu’à l’expansion physique du mur». On y a notamment développé l’utilisation de technologies et d’équipements militaires issus des guerres en Afghanistan et en Irak, qui ont été déployés contre les travailleurs migrants et les réfugiés à la frontière.

La position des Démocrates apparaît clairement dans les propos d’Henry Cuellar [Texas, député depuis 2005 du 28 arrondissement de cet Etat] lorsqu’il a ridiculisé le mur de Trump comme étant l’application d’une «solution du XIVe siècle à un problème du XXIe siècle», problème qui devrait à son avis être résolu par une approche plus «high-tech».

«Cette approche «efficace» des Démocrates comprend des tours de guet, des drones Predator, des aérostats (dirigeables qui volent jusqu’à 5000 pieds), des hélicoptères militaires, des milliers de détecteurs de mouvement et de chaleur à infrarouges, et d’autres technologies qui contribuent à créer un «mur virtuel».

«De plus, pendant les années Obama, la ligne du Parti démocrate s’est concentrée sur l’augmentation du personnel chargé de l’application de mesures coercitives et l’extension de la police des immigrants à l’intérieur du pays avec un développement spectaculaire des services d’immigration et des douanes [ICE-Immigration and Customs Enforcement] et de la police des frontières».

Trump pousse de coups de gueule au sujet d’une «crise» à la frontière, crise qui serait due à une «invasion» de criminels immigrants. Il y a bel et bien une crise actuellement, mais ce n’est pas celle dont parle Trump. C’est celle que les Etats-Unis ont créée par leur attaque militarisée cruelle et raciste contre les immigrant·e·s, alors que ceux-ci fuient la pauvreté, la violence liée aux réseaux mafieux de la drogue et d’autres horreurs au Honduras, au Salvador et au Guatemala. Or la situation dans ces pays a été en grande partie entraînée par l’exploitation impérialiste états-unienne pendant plus d’un siècle, par les guerres et coups d’Etat militaires soutenus par les Etats-Unis et par la prétendue «guerre contre la drogue» au cours des décennies plus récentes.

Le coup d’Etat militaire orchestré par l’administration Obama au Honduras en 2009 en est un exemple. La personne-ressource pour l’organisation du coup d’Etat était Hillary Clinton, qui était alors la secrétaire d’Etat [ministre des Affaire étrangères]. Elle s’est rendue au Honduras pour rencontrer les généraux du pays et une semaine plus tard, ils ont procédé au coup contre Manuel Zeyala, un président élu un petit peu progressiste.

Ne sachant pas trop que faire de Zeyala, les militaires l’ont conduit auprès de leurs maîtres de la base militaire états-unienne dans le pays. Ils leur ont déconseillé de le tuer et l’ont fait déporter au Costa Rica. L’administration Obama a refusé d’admettre qu’il s’agissait bien d’un coup d’Etat, car, en vertu de la loi états-unienne, cela aurait signifié que les Etats-Unis auraient dû cesser d’aider les militaires honduriens [or, le Honduras est une sorte de porte-avions des Etats-Unis qui a connu ce développement suite à la «révolution sandiniste» et l’affrontement militaire au Salvador, ainsi que la forte crise au Guatemala qui s’est terminée, alors, par le massacre de 40’000 Indiens en 1982].

Mme Clinton s’est ensuite arrangée pour que M. Zeyala puisse retourner au Honduras, mais plus en tant que président. Elle a supervisé de nouvelles «élections» organisées par l’armée pour fournir une feuille de vigne à la dictature. Cette dernière a ensuite sévèrement réprimé les syndicats, les organisations paysannes et tout mouvement de résistance. La dictature a transformé le Honduras en un narco-Etat où sévissent la corruption et l’argent de la drogue, avec l’éclosion concomitante de gangs violents (maras) qui ont transformé ce pays en ce qui est devenu la capitale mondiale du meurtre.

La «caravane» d’hommes, de femmes et d’enfants fuyant ces conditions – qui a commencé au Honduras et a traversé le Salvador et le Guatemala, le Mexique pour atteindre la frontière états-unienne – est le résultat direct de ce dont Clinton se vante aujourd’hui comme étant l’une de ses plus belles réussites.

L’année écoulée a vu les horreurs à la frontière, avec des enfants qui ont été séparés de leurs parents demandeurs d’asile, des milliers d’enfants enfermés dans des conditions épouvantables et toutes ces horreurs qui suintent dans la presse.

Plus récemment, en décembre, il y a eu le décès de deux jeunes enfants immigrés, qui sont morts, faute de soins médicaux appropriés, des suites des maladies entraînées par les conditions qui prédominent dans les centres de détention: le froid, la mauvaise alimentation, et des cellules conçues pour des «criminels» dans les années 1970 et dans lesquelles des enfants ont été placés.

Une autre série récente d’atrocités a été le relâchement par l’ICE de quelques immigrés provenant des centres de détention dans les gares routières du centre des villes: ils étaient abandonnés là, sans argent, sans alimentation [sans l’aide de groupes de solidarité, la faim et le froid les auraient décimés] sans savoir où ils étaient ni où ils pouvaient aller. Heureusement des citoyens bénévoles interviennent pour leur venir en aide, mais c’est une tâche quasi impossible.

Il existe donc effectivement une véritable crise à la frontière, crise qui ne fait pas partie des échanges actuels entre les Démocrates et Trump au sujet de son mur, et que les principaux médias balayent de plus en plus sous le tapis.

En d’autres termes, la direction démocrate «résiste» à Trump, mais pas dans la pratique.

Ackers-Chacón conclut à juste titre: «Même la nouvelle vague «progressiste» de Démocrates qui a déferlé sur l’Assemblée à la suite des élections de mi-mandat, dont les socialistes autoproclamés Alexandria Ocasio-Cortez et Rashida Tlaib [membres ou proches des Democratic Socialists of America], se sont alignés. Comme tous les Démocrates de la Chambre, ils ont voté en faveur du financement intégral des opérations du Département de la sécurité intérieure [dont l’ICE fait partie] jusqu’au 8 février.»

Ce projet de loi s’inscrivait dans une stratégie démocrate visant à déborder Trump afin d’obtenir la réouverture du gouvernement fédéral et assurer la «sécurité frontalière» sans financer le mur de Trump. Il s’agit d’une volte-face hâtive et dégradante par rapport à la position sur laquelle ces Démocrates de gauche ont fait campagne avec le mot d’ordre: «Abolish ICE».

Si aussi bien la droite raciste et xénophobe – qui appuie la position de Trump sur l’extension du mur frontalier – que les libéraux et les «progressistes» du Parti démocrate acceptent le principe d’un renforcement des mesures coercitives militarisées par différents moyens, il y a peu de chances que la résistance se développe à Washington contre le glissement vers la droite qui se poursuit dans le domaine de la politique migratoire.

Et Akers Chacón conclut à juste titre: «Pour réellement résister au mur de Trump, il faudra que l’opposition se mobilise contre la prémisse anti-immigrés sous-jacente ancrées dans les deux partis politiques.»

Il ajoute que la solution à long terme est l’opposition au «système capitaliste qui profite de l’assujettissement et de la segmentation de la classe ouvrière, entre autres selon des lignes raciales et nationales». (Article envoyé par l’auteur; traduction A l’Encontre)

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[1] Le shutdown, littéralement la fermeture de l’administration fédérale américaine, causée par le bras de fer entre le président Trump et la Chambre des représentants (à majorité démocrate).

Cette démonstration de force de la part du président américain avait pour objectif de faire plier les Démocrates, qui refusent, officiellement, d’intégrer dans le budget fédéral, les 5,7 milliards de dollars demandés par Trump. Il faut dire que la construction de ce mur était l’une des promesses phares du président élu. Reculer aurait été perçu comme un renoncement et un échec pour celui qui a théorisé l’importance du rapport de force dans la négociation.

Ce n’est pas la première fois que les Etats-Unis traversent une crise budgétaire dont les institutions américaines ont le secret, c’est la durée et la gravité de cette crise qui sont inédites. Le président Trump a d’ailleurs prévenu que le shutdown pourrait durer des mois, des années même, tant qu’il n’obtiendrait pas satisfaction pour la construction de son mur.

Le gouvernement fédéral est bel et bien officiellement fermé, et ce, depuis le 22 décembre dernier. Aussi invraisemblable qu’une telle information puisse paraître, c’est pourtant bien la réalité outre-Atlantique. Le quotidien Libération se livre à un inventaire des différentes fonctions de l’Etat fédéral paralysées par cette situation: les administrations de l’agriculture et du commerce, de la sécurité nationale et des transports, de l’intérieur et du Trésor.

Ce même article nous explique que les restaurants de Washington sont désertés par les agents fédéraux, que la Food and Drug Administration (FDA) qui a en charge la santé et l’alimentation a suspendu ses contrôles de routine. «L’Agence de l’environnement, quant à elle, a cessé de contrôler la conformité environnementale des usines chimiques, raffineries et autres sites industriels.»

En tout, ce sont donc 800 000 fonctionnaires fédéraux qui, payés tous les quinze jours, n’ont pas touché, vendredi 11 janvier, leur salaire habituel. La moitié ayant été placée en congé sans solde, l’autre réquisitionnée pour opérer un service minimum dans certaines administrations jugées prioritaires, sans être payés. A cela s’ajoutent des millions de contractuels et de sous-traitants également affectés par cette crise. Avec des conséquences bien réelles sur la vie quotidienne de ces agents. Alors que nombre d’entre eux touchent déjà habituellement des salaires modestes, cette cessation de paiement signifie des difficultés encore plus grandes pour payer leurs factures, honorer les prélèvements automatiques sur leurs comptes, dont le prélèvement des sommes liés aux emprunts hypothécaires avec le risque de perdre un logement. On a ainsi vu fleurir sur les réseaux sociaux les annonces de vente de petits objets, meubles et autres éléments de patrimoines, mis en vente par ces employés désœuvrés pour parvenir à boucler la fin du mois. On a également vu se développer les réseaux de solidarité et d’entraide, pour prêter main-forte à des ménages déjà bien souvent endettés et qui ne s’en sortent plus. (Réd. A l’Encontre)

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