Il y a 20 jours [depuis le 6 au 7 mars 2019], le Venezuela a passé quatre jours et demi sans électricité lorsque le réseau électrique s’est effondré. Dans certains endroits, comme Machiques (dans l’Etat de Zulia, proche de la Colombie), au nord-ouest du pays, le service de distribution électrique venait à peine de fonctionner à nouveau.
Dans Caracas Chronicles, en date du 26 mars 2019, Gabriela Mensones Rojo a effectué un reportage photographique du nouvel effondrement du système, accompagné d’une courte chronique. Elle y affirme: «Depuis le premier effondrement, les Vénézuéliens ont dépensé beaucoup d’énergie à se demander quand cela se reproduira, combien de temps cela durera et comment se préparer à l’inévitable obscurité qui remplira alors nos journées. Hier, le 25 mars, une autre panne de courant a fait sombrer à nouveau 17 États dans l’obscurité.»
L’explication selon laquelle ce nouveau «black-out» (panne de courant) était le produit d’un sabotage «organisé par l’impérialisme» – une légende diffusée début mars par Nicolàs Maduro – a perdu de sa crédibilité. Dans une enquête menée par Delphos, un institut de sondage crédible, 80% des personnes interrogées ne croient pas que ce black-out est le fait d’une cyberattaque «conduite par l’impérialisme». Ayant connaissance directe ou indirecte du manque d’investissement, d’entretien et de la corruption déchaînée dans ce secteur – entre autres – une large majorité de la population attribue de «black-out» aux «négligences» de la politique du gouvernement Maduro et de son administration, D’ailleurs, à cette occasion, le ministre en charge du secteur, Luis Motta Dominguez, ne s’est pas lancé dans des explications détaillées sur cette seconde panne de courant (apagón). Par contre, des ordres ont été donnés aux «milices» de «nettoyer» les environs de certaines centrales électriques et centres de redistribution, ce qui avait été totalement négligé et avait suscité, début mars, des incendies accentuant le «black-out». Cette simple initiative conforte l’analyse détaillée par le militant syndicaliste Simón Rodríguéz Porras, reproduite et traduite, sur ce site, en date du 22 mars 2019.
De ce point de vue, le rapport diffusé par Michelle Bachelet, en tant que haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, est exact, sur le plan factuel. Il faut, toutefois, ajouter, pour disposer d’une image plus complète, les effets collatéraux de ce black-out: interruption partielle de la distribution d’eau, transports publics (métro) interrompus, système de réfrigération des aliments, avec les pertes qui s’ensuivent, inapte à jouer son rôle, les hôpitaux – ne disposant pas centrales autonomes indépendantes et efficaces – devant interrompre des traitements multiples ayant une importance vitale pour les patients, etc.
Dans son reportage, Gabriela Mensones Rojo souligne: «Caracas semble paisible et sereine. La tension et le désespoir que nous avons ressentis au cours des 100 dernières heures de black-out national au début du mois de mars se sont transformés en une timide acceptation. “Tout le monde fait comme si c’était dimanche. Nous avons eu peur la première fois, mais ça va être de moins en moins effrayant, de moins en moins important de signaler les pannes d’électricité comme des nouvelles”, dit Otilia, lorsqu’elle est arrivée chez son fils. “Mon fils a une cuisinière à gaz. Donc on doit cuisiner ici si on veut avoir une plaque chauffante.”»
«“Le premier black-out m’a fait pleurer. J’étais si inquiète pour tout: la nourriture, l’eau, la connexion téléphonique et internet. Cette fois, j’essaie de m’en sortir. Je ne peux pas m’inquiéter à mort”, dit Arelis, qui s’est assis tranquillement sur Sabana Grande Boulevard tout en fumant continuellement. “Maintenant, je sais comment gérer une telle situation, alors je m’en occupe. Lentement, je commence à ressentir du réconfort au milieu de la catastrophe. C’est ainsi que nous réagissons. Je pensais que c’était une bonne façon d’affronter la vie. Maintenant, je me sens libérée.”»
«Ce qu’elle et d’autres peuvent appeler une perte est aussi un simple acte de résistance: ouvrir son magasin au milieu d’un effondrement électrique, essayer de rester sain d’esprit plutôt que d’essayer de survivre, célébrer les petites solutions misee en œuvre pour rendre la vie un peu plus supportable. “Nous avons branché notre appareil pour les hot-dogs sur une batterie et nous avons travaillé selon notre horaire normal. La journée a été longue, mais nos clients paient comptant et nous ne nous plaignons pas”, a dit Pedro en me préparant un sandwich traditionnel. Andrés, un boulanger de l’avenue Casanova, en revanche, se plaint à haute voix: “Le magasin à côté de nous a quelques heures d’électricité. Nous n’avons ni électricité ni eau. Il fut un temps où nous avions nos réfrigérateurs remplis de nourriture pendant un mois. Maintenant nous n’avons plus rien. Cela arrive, et nous n’avons même rien à perdre. Que va-t-il se passer ensuite? Vont-ils nous prendre l’air que nous respirons?”»
«Jesús est nettoyeur de chaussures. Il vit à Valencia [capitale de l’Etat de Carabobo], mais travaille ou essaie de travailler à Caracas. “Je suis arrivé aujourd’hui. Valencia n’avait pas d’électricité et je n’avais pas de nouvelles de Caracas, alors je suis quand même venu travailler. Maintenant, je n’ai nulle part où aller. Je n’ai pas gagné d’argent aujourd’hui. Je n’ai pas mangé. Je n’ai aucun moyen de rentrer chez moi“, a-t-il déclaré devant l’hôtel où la presse internationale a trouvé un nouveau foyer. “Je suis un expert en prise de mauvaises décisions. Mais il semble que toute décision que nous prenons aujourd’hui soit mauvaise. On essaie d’avancer, et il y a un mur devant nous.”»
«David Parra nous dit que – à Mérida, capitale de l’Etat du même nom – la violence n’a pas envahi rue [la criminalité est très répandue à Caracas], mais l’espoir non plus: “Les gens jouent aux dominos et aux cartes dans la rue, boivent du rhum, un peu comme à La Havane (Cuba). Certains magasins ont ouvert leurs portes, mais la plupart ne l’ont pas fait. Ici, la propagande du gouvernement fonctionne depuis la première panne de courant nationale. Sur les 11 personnes à qui j’ai parlé, 8 m’ont dit que tout allait relativement bien jusqu’à ce que l’opposition recommence à tout foutre en l’air.”»
«Pendant ce temps, sur la radio nationale contrôlée par l’État, Ilenia Medina [dirigeante nationale de Patrie pour tous, parti membre de la coalition gouvernementale du Grand pôle patriotique] dit que le pays a vu une grande célébration de la tradition orale [comme vecteur de replacement des communications téléphoniques ou par internet], des rassemblements communautaires et des liens humains.»
«Mais faire face aux difficultés de la vie quotidienne au milieu d’une panne de courant à l’échelle nationale avec un peu de bon sens n’est pas la même chose que faire face à une urgence dans l’obscurité. Les hôpitaux signalent encore que les centrales électriques ne suffisent pas pour les patients en traitement continu. Les familles de migrant·e·s doivent encore faire face au fait de ne pas disposer de nouvelles de leurs proches pendant des jours. Les personnes vulnérables n’ont jamais été aussi vulnérables et l’espoir n’a pas encore franchi les frontières.» (Traduction et édition de la rédaction du site A l’Encontre)
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Post-Scriptum. Le contrôleur général de la République du Venezuela, Elvis Amoroso, chargé de… veiller à la transparence de l’administration» au Venezuela, a décidé «d’interdire l’exercice de toute fonction élective au citoyen (Juan Guaido) pour la durée maximum prévue par la loi», soit 15 ans.
Selon Elvis Amoroso, Juan Guaido ne justifie pas, dans ses déclarations de patrimoine, certaines dépenses réalisées au Venezuela et à l’étranger avec des fonds provenant d’autres pays. Le contrôleur général invoque l’article 105 de la Constitution. Une enquête était en cours depuis janvier 2019.
Les deux pouvoirs «formels» – l’Assemblée nationale, majoritairement contrôlée par l’opposition, et l’Assemblée nationale constituante, sous surveillance du PSUV – se donnent comme les deux pôles politiques de référence dans l’affrontement actuel. La «mobilisation» appelée par Juan Guaido, pour le samedi 30 mars, constitue un test conjoncturel de plus des rapports de forces sociaux et politiques respectifs.
En fait, la combinaison entre l’effondrement socio-économique du pays – dont le black-out est la métaphore – nourrit le désarroi d’une majorité de la population et les allégeances instables au régime qui fait du clientélisme un instrument clé pour tenter d’étayer une base sociale, toujours existante. Sur cette toile de fond s’exercent les initiatives de l’impérialisme états-unien, la présence économique importante de la Chine qui exige le paiement de sa dette ainsi que les démonstrations militaro-diplomatiques de Poutine (qui, en fait, met en œuvre un accord de livraison d’armes, passé en 2011, sur la base de crédit russe). Un enchevêtrement qui facilite les prises de position simplifiées et binaires d’une gauche se proclamant radicale et qui doit faire face à un autre effondrement: celui du mythe d’un Venezuela chaviste pointe avancée du «socialisme du XXIe siècle». (Réd. A l’Encontre)
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