Débat. Venezuela: «Les défis du chavo-madurisme»

Le social-démocrate Zapatero prépare les négociations de Saint-Domingue

Par Tomas Straka

Après les élections municipales du 10 décembre 2017, Nicolás Maduro semble avoir le contrôle presque total du Venezuela. Bien que les observateurs indépendants et une grande partie de l’opinion publique aient exprimé de sérieux doutes quant à la régularité du processus, le fait est que le chavisme a dans ses mains plus de 90% des mairies, sans que pour l’heure existe quelqu’un disposant de suffisamment de force pour contester ce qu’il a proclamé comme étant son triomphe. Après avoir résisté à la rébellion civique de mars à juillet qui a laissé ses opposants épuisés et divisés, après avoir imposé une Assemblée nationale constituante disposant de pouvoirs supra-constitutionnels, après avoir gagné presque tous les gouvernorats lors des élections régionales en octobre malgré certaines plaintes au sujet de leur transparence, ce triomphe municipal a encore consolidé la position de Maduro.

Il a même été en mesure d’initier une purge dans ses propres rangs, augmentant son pouvoir dans la compagnie pétrolière PDVSA et écartant l’ancien tsar du pétrole Rafael Ramírez, ancien ambassadeur à l’ONU, qui disposait toujours d’une influence. Dans le même temps, Maduro annonce sa candidature à la présidentielle de 2018.

«Le Madurazo», qui avait pris la forme du mouvement massif pour le référendum en octobre 2016, a lentement connu un coup d’arrêt. Douze mois plus tard, cela semble être une réalité. Cela signifie-t-il que le régime a déjà surmonté sa crise ou qu’une transition est écartée? Tout dépendra de ce qui se passera. Il est impossible de savoir si le «chavo-madurisme», comme il commence à être qualifié, se terminera comme une tentative extrême et quasi désespérée pour sauver un régime qui se délite – et cela quel qu’en soit le coût humain et matériel – ou s’il arrivera à se réorganiser en direction d’un nouveau type d’ordre viable à long terme.

Le «chavo-madurisme» doit faire face à trois défis majeurs: le manque de soutien populaire, le désastre économique et le discrédit international. Face à un rejet de 70% de la population selon tous les sondages, avec une économie en faillite et une accumulation de condamnations par les Etats-Unis, le Canada et la Communauté européenne, Maduro doit trouver une solution à ces problèmes s’il veut donner une continuité au système qu’il incarne.

Commençons par l’international. Les opposants vénézuéliens, vaincus par la série de défaites et méfiants à l’égard de leurs dirigeants, ont accordé très peu d’importance au prix Sakharov que vient de leur décerner le Parlement européen. Bien qu’une telle indifférence soit un autre succès interne pour Maduro, ce prix parle de la façon dont son régime est vu en Europe occidentale et indique la légitimité qu’il donne à ses adversaires. Juste un jour après la cérémonie de remise du prix, un tribunal des Etats-Unis a condamné à dix-huit ans de prison pour trafic de drogue les neveux de Cilia Flores, l’épouse de Nicolás Maduro (l’un d’entre eux étant son enfant adoptif). Ce jugement ne tombe pas au milieu de nulle part, mais dans le contexte des sanctions que le gouvernement des Etats-Unis a imposées, sanctions visant de nombreuses personnalités du régime, ainsi que l’Etat vénézuélien en général. Il est difficile de supposer que Washington ne va pas mettre les soi-disant «narco-neveux» dans la même colonne que tous les comptes qu’il veut régler avec le régime. Ce n’est donc pas un bon présage pour une administration vénézuélienne qui a d’énormes difficultés financières et qui, le plus souvent, doit négocier avec des entités internationales. Il faut rappeler que pour plus de quarante pays l’Assemblée nationale constituante n’est pas légitime. Ils ne reconnaissent que l’Assemblée nationale aux mains de l’opposition et dont l’appui est nécessaire pour un grand nombre d’accords. Certains considèrent que le nouveau cycle de négociations que le gouvernement développe avec l’opposition à Saint-Domingue [initié début décembre] est précisément dû à cela.

A cela, qui est déjà beaucoup, il faut ajouter l’hécatombe de l’économie. Malgré les retards dans le paiement de leurs engagements envers les détenteurs d’obligations vénézuéliennes, le gouvernement a finalement commencé à les annuler. Comme le souligne la publication états-unienne Forbes, le Venezuela ne connaît pas encore une situation défaut mais reste un pays à très haut risque. Le gouvernement a montré qu’il était disposé à soumettre la population à des sacrifices énormes avant de renoncer au service de la dette, bien qu’on ne sache pas combien de temps il sera en mesure de le faire.

Quand les prix du pétrole étaient élevés, il était possible de soulager par des subventions et des importations les effets d’un modèle économique en échec, et en même temps de payer la dette. L’alchimie a également permis à beaucoup de devenir immensément riches. C’était un mélange de mauvaises politiques, de corruption et de gaspillage.

Maintenant, avec moins de pétrodollars, le gouvernement a choisi de satisfaire les créanciers. Simplement ont été drastiquement coupées les importations, de sorte que la pénurie, la hausse des prix et l’effondrement de la monnaie se sont déchaînés. Ainsi, les secteurs sociaux les plus vulnérables paient le prix le prix le plus lourd pour ne pas se déclarer en défaut: avec un salaire mensuel minimum de 456,507 bolivars (4 dollars…)  et un panier de la ménagère voisinant les 3’506’005, il est compréhensible que la faim affecte de nombreux Vénézuéliens. Le chiffre provient du Centre de documentation et d’analyse sociale de la Fédération vénézuélienne des enseignants (Cendas), pour le mois d’octobre, de sorte qu’aujourd’hui, avec une inflation de 1369% selon l’Assemblée nationale, il devrait être beaucoup plus élevé. Selon Caritas, 70% des Vénézuéliens souffrent d’un déficit nutritionnel, 15% des enfants sont gravement sous-alimentés et 33% ont déjà un certain retard de croissance. Ce n’est pas un hasard si le gouvernement se refuse systématiquement à ouvrir un canal d’aide humanitaire, ce qui est l’un des points centraux du nouveau cycle de négociations à Saint-Domingue.

D’autres chiffres peuvent être commentés, par exemple en ce qui concerne le manque de médicaments (90% selon l’ONG Convite), mais les «votes avec les pieds» des milliers de Vénézuéliens qui arrivent aux frontières du Brésil et de la Colombie – dont beaucoup continuent plus tard vers le reste de l’Amérique du Sud – décrivent assez le vécu de la situation par la population. Cela montre que la crise est déjà de nature régionale et souligne la difficulté de Maduro à garantir le minimum de consensus dont chaque régime a besoin pour survivre. Il vise à se représenter en 2018 et, pour le moment, il semble avoir peu d’obstacles intérieurs pour y parvenir. Son problème sera de transformer le «chavo-madurisme» en quelque chose de distinct en dernière instance d’un régime au pouvoir contre la volonté de la majeure partie de la population et de la communauté internationale ou dans quelque chose de nouveau qui soit durable sans le seul recours aux baïonnettes. (Article publié dans la revue Nueva Sociedad, liée à la sociale-démocrate Friedrich-Ebert-Stiftung, en date du mois de décembre 2017; traduction A L’Encontre)

Tomas Straka est membre de l’Institut de recherche historique Hermann González Oropeza de la Universidad Católica Andrés Bello (Caracas). Cet article traduit le rôle et l’orientation d’un secteur de l’Eglise catholique opposé au chavisme initial, dans le contexte marqué à la fois par la crise multifaces de la société vénézuélienne et l’ineptie politique et les divisions des courants de l’opposition anti-chaviste. (Réd. A l’Encontre)

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