Par Maynor Salazar
Cristian Fajardo Caballero et María Peralta Cerrato, membres du Mouvement du 19 avril [étudiant] à Masaya, ont été capturés le 23 juillet au poste frontière de Peñas Blancas [frontière Nicaragua-Costa Rica]. Tous deux essayaient d’atteindre le Costa Rica, fuyant le régime du président Daniel Ortega. Ils sont actuellement accusés de crime de terrorisme, de financement du terrorisme, de crime organisé et d’entrave au fonctionnement des services publics!
C. Fajardo et M. Peralta sont deux des 132 prisonniers politiques qui, selon la Commission permanente des droits de l’homme (CPDH), sont poursuivis pour avoir participé aux manifestations contre le régime d’Ortega et Murillo. Selon le dernier rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), 317 personnes ont été assassinées.
En juillet 2018, la fraction parlementaire du FSLN à l’Assemblée nationale a adopté deux lois pour persécuter et criminaliser les citoyens et citoyennes, les opposant·e·s, les entrepreneurs et les ONG [1] qui soutiennent ou effectuent un don pour une campagne civique afin de se défendre contre le régime autoritaire de Daniel Ortega.
Le nouveau texte juridique définit celui qui commet un acte «terroriste» comme étant tout individu qui tue ou blesse des personnes qui ne participent pas aux hostilités pendant un conflit militaire [une guerre], ou endommage des biens publics ou privés, s’il le fait dans le but d’intimider une population, de perturber l’ordre constitutionnel ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir [2] un acte [manifestation, activités, etc.], et le punit de 15 à 20 ans d’emprisonnement.
Documents de la CIDH sur la persécution
Entre le 19 et le 30 juillet, le Mécanisme spécial de suivi pour le Nicaragua (MESENI) de la CDIH (Commission interaméricaine des droits de l’homme) a vérifié la criminalisation et les poursuites menées au Nicaragua. Elle a reçu des informations sur la mise en œuvre des pratiques de persécution judiciaire et de la criminalisation des personnes opposées au régime du gouvernement Ortega.
«Nous avons appris, avec beaucoup d’inquiétude, l’augmentation vertigineuse du nombre de personnes détenues sans garanties d’une procédure régulière et nous demandons instamment à l’Etat d’assurer le strict respect de la loi. L’Etat doit libérer rapidement toutes les personnes détenues arbitrairement et sur la base d’accusations non fondées», a déclaré le commissaire Joel Hernández [d’origine mexicaine, nommé en juin 2018, pour la période 2018-2021], rapporteur sur les droits des personnes privées de liberté.
Un parmi les cas de criminalisation du droit de protester est celui de la dentiste et commerçante Irlanda Jerez Barrera, leader des commerçants auto-convoqués du marché oriental de Managua. Elle a été kidnappée par des gens cagoulés sur le rond-point de Cristo Rey, après avoir quitté un rassemblement auquel participaient divers mouvements sociaux afin d’organiser des manifestations contre le régime.
Un communiqué de presse publié sur le site Internet du pouvoir judiciaire indique qu’Irlanda Jerez Barrera a été arrêtée et envoyée à la prison [dénoncée plus d’une fois pour ses méthodes violentes] La Modelo «pour avoir été reconnue coupable de fraude et d’escroquerie». Une sentence que sa fille, Sterina Jérez, a rejetée, puisqu’il s’agit d’une référence à «un procès qui, il y a des années, a été jugé devant la Cour suprême et qui avait statué en sa faveur».
Francisco Eguiguren, rapporteur pour la défense des droits de l’homme auprès de la CIDH, a déclaré très préoccupante l’utilisation abusive du droit pénal et, en particulier, de la loi antiterroriste, récemment approuvée, dans le but de criminaliser l’exercice des droits à la protestation sociale et à la défense des droits humains. Il a déclaré: «Nous appelons l’Etat à mettre fin à la criminalisation de ceux et celles qui participent pacifiquement à des manifestations et à s’abstenir d’appliquer des formulations inappropriées, larges et vagues renvoyant au terrorisme afin de riposter aux protestations et aux revendications sociales.»
Accusés de terrorisme
Marcos Carmona, directeur du CPDH (Commission permanente des droits de l’homme), a déclaré que parmi les crimes retenus contre les personnes détenues par le régime d’Ortega-Murillo figurent le terrorisme, le crime organisé, la possession illégale d’armes ou l’assassinat, selon le cas. Ce qui est illustré par l’accusation faite contre Brandon Lovo et Glenn Slate, responsables présumés de la mort du journaliste Ángel Gahona, directeur de la chaîne d’information locale El Meridiano, ou les imputations contre Medardo Mairena et Pedro Mena [arrêté le 13 juillet à l’aéroport Sandino], deux dirigeants paysans, accusés, entre autres, de la mort de quatre policiers à Morrito, Río San Juan [Alfredo Mareino a indiqué que son frère avait été torturé et qu’un examen médical avait été rejeté; le fils de Pedro Mena, Kenler Mena, a témoigné de manière identique].
Marcos Carmona a posé une question de manière insistante: «Notre attention a été attirée par le fait que l’on disait que c’était le pays le plus sûr d’Amérique centrale. Or, d’où provient le fait qu’autant de jeunes sont censés être liés au terrorisme? S’agit-il d’une manœuvre pour intimider les jeunes qui se cachent ou qui quittent le pays ?»
Denis Darce, avocat de la CPDH, a déclaré que cet organisme de défense des droits de l’homme prend en charge la défense technique des 132 citoyens, par le biais d’une équipe juridique spécialisée. Le défenseur a déclaré que les personnes ont été détenues illégalement, et même si elles ont un avocat, au moment où elles sont présentées à l’audience préliminaire, elles sont incapables de parler à leurs proches ou à la personne en charge de leur dossier.
La plupart des personnes qui font l’objet de poursuites ont été présentées devant une instance en dehors des délais prévus par la Constitution (48 heures). Le cas de Medardo Mairena et Pedro Mena, dirigeants du Mouvement paysan, détenus à l’aéroport international Augusto César Sandino, est un exemple clair de cette violation des droits par l’Etat, puisqu’ils ont été présentés à un juge seulement 96 heures après leur arrestation.
Les avocats de la CPDH soulignent l’existence d’une collusion entre la police nationale, le ministère public et le pouvoir judiciaire. Et d’autres acteurs tels que les paramilitaires et les autorités du système pénitentiaire La Modelo.
Julio Montenegro, membre de la CPDH, a décrit le fonctionnement de chaque institution. Il a expliqué que les premiers maillons dans la chaîne sont les paramilitaires, qui sont chargés de capturer les citoyens ayant participé aux manifestations contre le régime d’Ortega-Murillo.
Puis intervient la Police Nationale, avec des enquêtes; suit le bureau du procureur général, au moment de l’action pénale et enfin le pouvoir judiciaire. «C’est là que sont choisis les juges qui sont préparés à cette fin, c’est-à-dire ceux qui résoudront la question comme cela est souhaité.» Montenegro a indiqué qu’il disposait d’informations selon lesquelles le procureur a placé dans son réfrigérateur des accusations élaborées, prêtes à être sorties.
Centres de torture
Le système pénitentiaire national sert de centre de torture. Selon les informations en possession de la CPDH, les détenus y sont enchaînés mains et pieds, la tête est rasée et ils sont battus. Cette forme de torture a été appliquée à Medardo Mairena et Pedro Mena, ont déclaré les membres du CPDH.
Le CIDH a déclaré dans son dernier communiqué qu’elle avait reçu de nombreuses informations sur les obstacles mis pour avoir accès à une défense juridique adéquate. Ce qui impliquait la restriction mise à la présence d’avocats lors des audiences, ainsi qu’aux organisations de la société civile; le refus de fournir des données sur la situation juridique et l’état de santé des personnes détenues. Dans une partie du rapport, il est mentionné: «A cet égard, je réitère la recommandation faite à l’Etat d’élaborer et de publier un registre public contenant les informations suivantes: nombre de personnes qui ont été détenues depuis le début des manifestations, le 18 avril; causes de la détention; durée de la détention; lieu de détention; nombre de personnes actuellement détenues dans le cadre des manifestations qui ont eu lieu depuis le 18 avril; et nombre de personnes emprisonnées.»
L’Etat criminalise le journalisme
Roberto Collado Urbina, correspondant d’Acción 10 à Granada [sur les rives du lac Nicaragua], a été battu et kidnappé par des paramilitaires dans la zone de la station essence Petronic dans cette ville, alors qu’il couvrait une marche en soutien aux évêques de la Conférence épiscopale.
L’agression subie par le correspondant d’Acción 10 est une autre preuve de la criminalisation que le président Ortega a promue contre le droit d’information des journalistes dans le pays. Mauricio Madrigal, responsable de l’information de ce programme, a également dénoncé la persécution de Paco Espinoza qui couvrait la crise sociopolitique dans le nord du Nicaragua.
Roberto Collado, qui a été libéré cinq heures plus tard, a subi de graves blessures à la tête et sur le reste du corps. Paco Espinoza se réfugie dans un endroit sûr, fuyant les opérations de la police nationale.
Dans son rapport, la CIDH a déclaré que, compte tenu de l’importance du travail des journalistes, l’Etat devrait leur accorder le maximum de garanties afin qu’ils puissent remplir leur fonction.
La criminalisation du gouvernement a touché les médecins et autres personnels médicaux dans les hôpitaux du pays. Le 27 juillet, au moins 35 personnes ont été licenciées, sans raison valable de l’Hospital Oscar Danilo Rosales (HEODRA) de la ville de León, en représailles pour avoir soigné ou manifesté leur soutien aux personnes blessées lors des manifestations.
Le 28 juillet, quelque 40 employé·e·s ont été licenciés de l’Hôpital régional Santiago à Jinotepe [département de Carazo] pour avoir participé, supposément, à l’occupation de l’hôpital. Et à Masaya, au moins 15 employé·e·s du secteur de la santé publique, y compris des médecins, des aides-soignants et des infirmières, ont également été mis à pied [3].
Soledad García Muñoz, rapporteuse spéciale de la CIDH, a déclaré: «Est interdit tout type d’intimidation possible, de punition, directe ou indirecte, tel que des sanctions ou des licenciements, visant le personnel de santé pour le simple fait d’avoir accompli ses fonctions professionnelles afin de défendre le droit aux soins.» (Article publié le 6 août 2018, par le journal Confidencial; traduction A l’Encontre)
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[1] Dans en entretien donné le 6 août 2018 par Daniel Ortega à RT (chaîne russe liée au régime de Poutine), le président du Nicaragua attribue un rôle clé aux ONG dans la «création» de la rébellion civique. Il valide de la sorte les mesures répressives prises contre leurs membres ou supposés tels. Ce genre d’explication et de mesures sont en vogue aussi dans l’Egypte de Sissi, dans la Hongrie d’Orban, ou dans la Russie de Poutine. Cette énumération n’est pas exhaustive. Que les Etats-Unis interviennent dans ce qu’ils considèrent leur «arrière-cour», rien de bien nouveau. Mais de là à faire des ONG – dont certaines ont certes pu recevoir des financements extérieurs – le facteur explicatif de «la crise sociopolitique» depuis plus de trois mois, cela relève d’une approche complotiste des processus sociopolitiques. Une approche qui révèle, en réalité, l’identité politique de ceux qui profèrent ce genre «d’analyse». Le quotidien cubain (d’information?) Granma dictait déjà la trame, le 19 juin 2018, du récit ayant trait aux complots en acte au Nicaragua: http://www.granma.cu/mundo/2018-06-19/nicaragua-hilos-del-complot-19-06-2018-20-06-07?page=4 (Réd. A l’Encontre)
[2] Est-ce que la législation dictée par Ortega-Murillo s’applique aux obstacles multiples élevés face aux enquêtes de la CDIH et de la CPDH? On peut raisonnablement en douter. Quant aux «paramilitaires» sur leurs camionnettes Hilux Toyota, roulant sans plaques, ils sont certainement des militants d’ONG, non repérés par la «police nationale» parce que portant des chemises bleues et étant encapuchonnés! (Réd. A l’Encontre)
[3] Le Nuevo Diario, en date du lundi 6 août, signalait: «Des urologues et des internistes ont été licenciés de l’hôpital Lenin Fonseca, à Managua, selon l’information diffusée par le conseil de direction de l’Association médicale nicaraguayenne (AMN)». (Réd A l’Encontre)
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