Afrique du Sud. Le mouvement de la classe laborieuse doit être indépendant! (II)

Le chômage massif: un des problèmes abordés durant le Working Class Summit de Soweto, les 21 et 22 juillet 2018

Par la South African Federation of Trade Unions (SAFTU)

Nous publions ici la seconde partie du projet de programme élaboré en assemblée et en commissions lors du «Working Class Summit» qui s’est tenu à Soweto les 21 et 22 juillet 2018. L’intégration d’un ensemble de réflexions et de revendications issues des besoins pluriels particuliers comme généraux de la majorité laborieuse et de la société est remarquable. Cela traduit une intelligence collective qui est souvent dépréciée dans «la gauche» – pour ne pas utiliser le a privatif l’a-gauche – en Europe aujourd’hui. La première partie a été publiée sur ce site le 7 août 2018. (Rédaction A l’Encontre)

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6° Le climat et l’environnement

La signification d’une «transition juste» vers un environnement propre sera un produit de la lutte. Et il est important pour la classe ouvrière de poursuivre activement nos intérêts communs et de façonner la transition. L’accumulation capitaliste est la cause sous-jacente des émissions excessives de gaz à effet de serre qui provoquent le changement climatique.

Nous nous mobilisons pour une transformation profonde du système économique actuel, tout en soulevant les préoccupations des ouvriers. En tant que classe ouvrière unie, nous devons soutenir les travailleurs par rapport à leurs problèmes au moment de la transition vers une économie à faible émission de carbone. L’unité de la classe ouvrière, à l’échelle nationale et internationale, est la clé d’une transition juste.

Nous devons créer une économie où la pauvreté et l’inégalité sont éliminées et où les questions de durabilité environnementale sont abordées. Le changement climatique détruira tout le développement que nous avons réalisé. En effet, la classe ouvrière en paie déjà le prix.

Si nous voulons résoudre le problème du changement climatique, nous devons éliminer progressivement les combustibles fossiles et les autres industries à fortes émissions. Nous devons trouver un moyen de concilier les intérêts des travailleurs de ces industries et des industries connexes et ceux de la classe ouvrière face aux impacts du changement climatique. En effet, ce sont les mêmes personnes. Cela ne nous aide pas de ne pas conduire cette difficile discussion. Nous pouvons rester sur la défensive et voir ces travailleurs laissés pour compte, ou nous pouvons prendre en charge une voie à suivre pour eux.

Il y a beaucoup de travail à faire dans le domaine de la réhabilitation des mines. Le WCS (Working Class Summit) soutient la campagne un «Million d’emplois pour le climat», afin de créer des emplois qui aident à trouver des solutions climatiques. Nous n’approuvons pas la «croissance verte», qui n’est qu’une nouvelle opportunité d’expansion capitaliste. Les nouveaux emplois créés doivent être des emplois décents et des emplois permanents.

L’EPWC (Expanded Public Works Programme) devrait être un emploi permanent, absorbé par le secteur public. Les biens publics ne doivent pas être transformés en marchandises à acheter et à vendre. Nous résistons à la privatisation et demandons la propriété sociale et le contrôle de notre eau, de notre approvisionnement en électricité et de nos ressources naturelles. Nous pourrions intenter des poursuites judiciaires pour empêcher la privatisation de notre eau.

L’Afrique du Sud est déjà un pays où l’eau est rare et les changements climatiques ont un impact sur nos systèmes d’eau naturels: modification des régimes pluviométriques, sécheresses et inondations, évaporation de l’eau à mesure que les températures augmentent. Cela a un impact sur tous les êtres vivants, car l’eau est essentielle à la vie.

L’approvisionnement en électricité doit être une propriété collective. Le programme REIPPP (Renewable Energy Independent Power Producer Procurement programme) met actuellement l’approvisionnement en électricité entre les mains de particuliers, principalement de sociétés étrangères.

Nous devons mettre en place un système de transport à faible émission de carbone, qui donne à la classe ouvrière une mobilité abordable, fiable, pratique et sûre et un accès aux opportunités économiques. Nous nous devons planifier ce qui arrive aux travailleurs/travailleuses et aux communautés à mesure que le secteur des combustibles fossiles se rétrécit.

Nous avons besoin d’une production alimentaire centrée sur l’homme, d’un soutien aux petits exploitants agricoles pour l’alimentation et non d’une agriculture commerciale se contentant de faire pousser des cultures, qui ne sont pas nécessairement destinées à l’alimentation.

Outre les programmes d’alimentation scolaire, les écoles devraient également avoir des jardins potagers cultivant des aliments sains et nutritifs.

Les pesticides et les engrais constituent à la fois un danger pour la santé humaine et un danger pour l’environnement. Ils sont également fabriqués à partir de combustibles fossiles et créent des émissions au cours de ce processus.

7° Industrie minière et collectivités touchées par l’exploitation minière

L’exploitation minière en Afrique du Sud était fondée sur une main-d’œuvre immigrée bon marché. Dans une large mesure, cela se poursuit encore aujourd’hui. Un système capitaliste racial s’est développé dans lequel une majorité d’Africains sans terre n’avait rien d’autre que leur capacité à travailler sur des fermes, dans des mines et des industries appartenant à des Blancs.

Les communautés ouvrières veulent la nationalisation des secteurs stratégiques qui commandent l’économie, y compris l’exploitation minière. Les mines devraient être expropriées sans compensation et cogérées par les mineurs et les communautés proches des mines dans le cadre d’une révolution de la classe ouvrière. Dans ce processus, aucune entreprise ne devrait être autorisée à faire du démembrement d’actifs afin de subvertir ou de contourner le processus révolutionnaire.

Manifestation de femmes, le 1er août 2018, soutenue par la SAFTU, en commémoration de la mobilisation du 9 août 1956, journée durant laquelle quelque 20’000 femmes proclamaient leur opposition au système des «passeports intérieurs» établi pour consolider le système d’apartheid

L’impact et les effets de l’exploitation minière capitaliste des travailleuses et des femmes dans les communautés rurales et ouvrières est au cœur de notre lutte. Il faut accorder toute l’attention voulue à leur sort afin d’assurer à tous les travailleurs un salaire égal pour un travail égal. Si les PDG de l’Afrique du Sud peuvent gagner des salaires égaux à ceux de leurs homologues australiens et canadiens, il n’y a aucune bonne raison de payer les mineurs sud-africains moins bien que leurs homologues australiens et canadiens: un salaire minimum vital pour tous et des conditions de travail sûres et égales pour tous, quel que soit le sexe.

Il ne peut y avoir de transformation révolutionnaire radicale de la société dans l’intérêt de la classe laborieuse si l’eau est polluée et si le sol et la terre sont empoisonnés, et si on ne peut respirer qu’en absorbant de l’air toxique. Il est donc important de ralentir l’exploitation minière afin de minimiser ses impacts négatifs et de préserver nos ressources minérales et naturelles pour les générations futures de la majorité laborieuse. Il est essentiel que nous insistions sur l’eau ainsi que la souveraineté et la sécurité alimentaires.

Nous exigeons beaucoup plus qu’une transition juste, nous exigeons une transition révolutionnaire de la société sous le contrôle et la gestion de la classe laborieuse.

Nous soutenons pleinement la quatrième révolution industrielle vers les énergies alternatives et l’intelligence artificielle à condition que cette révolution se produise sous la direction, le contrôle et la gestion de la classe laborieuse. A court terme, les revendications réformistes s’intègrent en tant qu’élément de la mobilisation et de l’éducation de la classe ouvrière et des communautés rurales liées aux mines et affectées par elles en vue d’une révolution :

• Doit être respecté le droit de ces communautés à un consentement continu, libre, préalable et éclairé et le droit de dire non à l’exploitation minière, ainsi que tous les aspects du développement d’une mine tout au long de leur vie.

• Les communautés doivent disposer d’une variété d’options de développement, contrairement à la situation actuelle où le gouvernement, de connivence avec les patrons miniers, n’offre que l’exploitation minière comme option de développement.

• L’exploitation minière est destructrice de l’environnement, de la petite agriculture autosuffisante, des communautés rurales; elle n’est pas durable sur le plan environnemental, social ou économique et compromet la santé et la sécurité des communautés et des travailleurs, étant donné que les ressources minérales sont limitées et que l’exploitation minière comme voie de développement devrait toujours être la dernière option, et non la première.

• Les communautés doivent avoir accès à tous les documents pertinents sur les développements miniers qui les affectent et dont l’impact sur elles doit être pris en considération. Cela comprend l’accès aux études d’impact environnemental, aux plans de gestion de l’environnement, aux plans sociaux et du travail, aux plans de gestion des catastrophes, aux rapports annuels, aux documents fiscaux, aux comptes de revenus, aux chiffres des exportations, aux diagrammes et aux cartes des tunnels souterrains, etc.

• Les communautés qui doivent faire place à l’exploitation minière doivent être indemnisées en termes de récoltes perdues non seulement pour les récoltes d’une saison, mais aussi pour les récoltes confisquées tout au long de la «vie de la mine».

• Les collectivités touchées et affectées par la mine exigent que les minéraux soient transformés et élaborés en produits manufacturés localement plutôt que d’être exportés sous forme brute.

• Les travailleuses des mines veulent que le lieu de travail, l’équipement et les vêtements de sécurité dans les mines ainsi que la technologie soient remaniés afin de rendre l’exploitation minière sécurisée pour elles. Les travailleuses veulent aussi que la localisation de leur emploi soit bien pensée et que leur sécurité face aux comportements prédateurs masculins soit garantie. Les femmes dans l’espace du travail minier ne devraient pas être l’objet d’une affectation spécifique. En outre, il a été réclamé que les femmes aient des droits égaux aux emplois miniers plutôt que d’avoir un quota minimum pour elles, conformément à la charte minière actuelle.

Commission d’élaboration sectorielle durant le Working Class Summit des 21 et 22 juillet 2018

• La lutte communautaire contre l’exploitation minière capitaliste est une lutte de classe. Le gouvernement et les patrons des mines utilisent le tribalisme et le patriarcat pour diviser et contrôler les travailleurs et les communautés. La commission demande la diminution du rôle des chefs dans les consultations communautaires et les négociations autour de l’exploitation minière. Une société révolutionnaire est une société d’égaux sans élites, patrons, chefs ou patriarches.

• Les gestionnaires des opérations minières doivent être tenus criminellement responsables de la mort des membres de la communauté, des travailleurs miniers et du bétail de la communauté en raison d’une négligence de gestion.

• Les opérations minières de survie, les micro, petites et moyennes exploitations doivent être correctement soutenues, réglementées et soumises à une législation par l’Etat. L’Etat doit être le seul acheteur des minéraux produits par ces opérations afin d’éliminer les syndicats du crime.

• Les propriétaires de mines et la direction des opérations minières doivent être tenus criminellement responsables des impacts environnementaux négatifs et destructeurs sur l’air, l’eau, le sol et la santé ainsi que la sécurité des communautés; de même que de tout dommage causé à la vie et aux biens des communautés, y compris les logements lézardés. Ils doivent être forcés de verser des compensations pour de tels dommages.

• Les décharges et les déchets miniers abandonnés devraient être placés sous le contrôle des travailleurs/travailleuses et des communautés affectées et concernées par la mine, cela à des fins de ré-extraction et de réhabilitation, ce qui permettrait de résoudre le problème du chômage dans ces communautés.

• Les communautés et les travailleurs des mines doivent s’engager avec la South African Police Union (SAPU) et tous les autres syndicats progressistes pour établir que les gestionnaires de mines capitalistes violent souvent la législation du travail, de l’environnement et, y compris, la Constitution libérale bourgeoise actuelle. Ces gestionnaires doivent être poursuivis et arrêtés. Trop souvent, la police exécute les souhaits des patrons de mine sans poser de questions.

• Il y a en moyenne trois protestations communautaires par jour contre l’exploitation minière capitaliste dans les communautés et de fréquentes grèves minières. Ces actions doivent être coordonnées par une direction révolutionnaire de la classe ouvrière.

• La direction révolutionnaire de la classe ouvrière doit adopter un programme d’action – autour de ces revendications – avec des délais définis afin de mobiliser les travailleurs, les travailleuses et les communautés affectées et touchées par les mines. Cela doit inclure des objectifs et des stratégies transitoires en vue d’atteindre ces objectifs.

8° L’économie informelle

Il existe deux catégories de travailleurs informels:

• Ceux qui ont un employeur mais qui ont un emploi informel – comme les chauffeurs de taxi.

• Les travailleurs indépendants, autrement dit «pour compte propre» («indépendants»). Là où le chômage est élevé, des millions de personnes se tournent vers le travail à «compte propre» pour gagner leur vie.

• Les travailleurs pour compte propre sont souvent criminalisés ou victimes de discrimination, notamment par la confiscation de leurs biens et l’expulsion de leur lieu de travail. Leur contribution à l’économie n’est pas reconnue. Ils ne sont pas traités comme des personnes qui peuvent penser par eux-mêmes et trouver des solutions à la façon dont nos villes fonctionnent. Ils ne sont pas consultés et finissent par être obligés d’aller devant les tribunaux pour contester les décisions du gouvernement local qui ont un impact négatif sur leurs moyens de subsistance.

• Les travailleurs et travailleuses du secteur informel sont auto-organisés depuis de nombreuses années, y compris dans d’autres pays. Par exemple, la SEWA (Self Employed Women’s Association) de l’Inde compte 1,5 million de membres. Les travailleurs informels exigent la reconnaissance d’une organisation démocratique basée sur l’adhésion, y compris des travailleurs/travailleuses à leur propre compte. En Afrique du Sud, nous avons deux organisations nationales de travailleurs informels – SAWPA pour les ramasseurs de déchets et SAITA pour les commerçants de rue – ainsi que de nombreuses organisations locales de différents secteurs.

• Nous avons aussi des organisations internationales qui luttent pour la reconnaissance des travailleurs informels. Il s’agit de StreetNet International et de WIEGO (Women in Informal Employment: Globalizing and Organizing). Le slogan de StreetNet International est «Rien pour nous, sans nous».

• Les revendications des travailleurs/travailleuses de l’économie informelle qui ont été soulevées dans de nombreux forums différents dans le passé sont les suivantes:

a) Des emplois décents, complets et productifs pour tous, y compris la création d’emplois socialement utiles, par exemple la construction de toilettes scolaires, et la fin des programmes dits «de création d’emplois» qui détruisent les emplois existants.

b) Participation pleine et égale à la planification de l’économie, du logement et des services.

c) Utilisation productive des espaces publics pour améliorer la vie des utilisateurs de ces espaces, y compris les trottoirs et les parcs en tant que lieux de travail.

d) Reconnaissance des multiples impôts payés par les travailleurs/travailleuses du secteur informel.

e) Les organisations informelles de travailleurs/travailleuses doivent être reconnues comme parties prenantes dans les négociations à tous les niveaux du gouvernement, mais surtout à celui des administrations locales.

f) Le développement urbain doit être centré sur les personnes et non sur la «régénération» sélective d’une minorité de classe moyenne, à l’exclusion de la majorité.

Les suggestions suivantes ont été faites sur les étapes à suivre pour officialiser le travail informel:

a) L’enregistrement doit être facilité afin que les travailleurs/travailleuses à leur propre compte aient accès à divers programmes de soutien.

b) Les impôts que paient les travailleurs à leur propre compte doivent être reconnus et ils doivent recevoir quelque chose en retour de leur contribution au budget de l’État.

c) Les travailleurs/travailleuses informels doivent avoir accès à une formation professionnelle.

d) Lorsque les travailleurs informels ont déjà, de facto, un employeur, comme les chauffeurs de taxi, et qu’ils sont en fait couverts par une loi du travail existante, cette loi doit être appliquée.

Il a été convenu que:

a) Il devrait y avoir un Sommet national des organisations de travailleurs/travailleuses informels, soutenu par la SAFTU et le mouvement de la classe ouvrière dans son ensemble.

b) Des alliances devraient être construites à partir des communautés locales vers le haut. Les membres des communautés sont les utilisateurs des services fournis par les travailleurs/travailleuses informels. Par exemple, il y a eu récemment une marche de la société civile à Durban pour soutenir les revendications des commerçants de rue.

c) Les alliances entre travailleurs/travailleuses formels et informels devraient être construites concrètement dans le cadre de «chaînes de valeur», par exemple les alliances entre les travailleurs des usines alimentaires et les vendeurs d’aliments, et entre les travailleurs du secteur de la chimie et les ramasseurs de déchets.

d) Des alliances peuvent également être conclues avec des travailleurs municipaux et d’autres travailleurs du secteur public, par exemple en s’engageant ensemble dans des processus d’IDP (Integrated Development Planning) et en approchant ensemble la police municipale.

e) Nous devrions avoir des engagements formels entre la SAFTU et les travailleurs informels, au moment où la SAFTU est en train de bâtir ses structures provinciales, régionales et locales.

9° Conclusion

Notre message à des centaines de militants de la classe ouvrière à travers tout le pays est que le temps est venu de lutter pour la deuxième libération afin de gagner la libération économique de la classe ouvrière et de nous libérer des chaînes et de nos servitudes dont nous souffrons.

Les travailleurs unis ne seront jamais vaincus! (21-22 juillet 2018, Soweto) (Texte publié le 23 juillet 2018 sur le site du SAFTU; texte traduit par A l’Encontre)

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