Par South African Federation of Trade Unions (SAFTU)
Un nouveau chapitre dans l’histoire de la classe laborieuse d’Afrique du Sud s’est ouvert à Soweto les 21 et 22 juillet 2018. Au cours de ces deux jours, 1000 délégués représentant plus de 147 formations de la classe laborieuse se sont réunis pour unifier les luttes sur les lieux de travail et dans les communautés.
Cette rencontre représente une immense avancée, jetant les fondations de la construction d’un nouveau mouvement de masse de la classe laborieuse, indépendant, démocratique et militant, permettant de battre en brèche les attaques contre les emplois et les conditions d’existence, lesquelles plongent de plus en plus d’Africains du Sud dans la pauvreté et le désespoir.
Cette assemblée de la classe laborieuse, des pauvres des zones rurales, des opprimé·e·s et des marginalisé·e·s a rassemblé des formations qui ne s’étaient jamais retrouvées sous le même toit dans le passé. La rencontre de 147 formations de la classe laborieuse, sur une base égalitaire et de respect mutuel dans la recherche d’un dénominateur commun, était historique et sans précédent.
Le Working Class Summit (WCS-Sommet de la classe laborieuse) a été caractérisé par un engagement d’unification des formations de la classe laborieuse, des travailleurs ayant un emploi comme ceux au chômage, actifs dans le secteur informel ou dans des emplois plus stables, les étudiant·e·s et les sans-terre, les sans-abri ainsi que ceux et celles qui combattent la crise de l’eau, le fléau de la violence contre les femmes et les enfants, autour de campagnes de masse en faveur d’une lutte pour une société réellement libre, juste, démocratique et égalitaire.
Ainsi que l’a déclaré le président de la SAFTU [Fédération des syndicats d’Afrique du Sud], Mac Chavalala, lors de son vibrant discours d’ouverture:
«En tant que classe laborieuse, notre statut a été méprisé pour bien trop longtemps. Nous ne sommes pas ici pour gémir mais pour annoncer un programme radical et révolutionnaire qui nous unira autour de revendications communes ainsi qu’autour d’un programme de mobilisation de masse.
A ceux qui veulent maintenir le statu quo, notre avertissement est simple: la récréation est terminée! A partir de maintenant, nous allons vous défier dans les rues et dans les salles de direction.»
Le capitalisme est l’origine commune de notre misère
Le Working Class Summit a non seulement approuvé les principes communs et liant chacun, tels que l’antiracisme, l’anti-sexisme, la lutte contre le patriarcat ainsi que le rejet de la xénophobie, il est aussi tombé unanimement d’accord sur le fait que le capitalisme constitue l’origine commune de la misère dont souffre la majorité.
L’accord était unanime quant à la nécessité pour le mouvement de la classe laborieuse d’être indépendant et d’adopter une approche démocratique du bas vers le haut.
En conséquence, le Working Class Summit a décidé de bâtir un pouvoir de la classe laborieuse dans chaque lieu de travail, dans chaque communauté ainsi que de la société plus en général afin de défaire la logique de l’accumulation capitaliste qui non seulement paupérise les travailleurs dans l’ensemble du continent mais qui est aussi la cause des inégalités les plus étendues ainsi que de la pauvreté la plus profonde qui n’a jamais été enregistrée dans toute l’histoire de l’humanité.
Il a été décidé de convoquer à des assemblées de la classe laborieuse dans tout le pays, dans les villes, les villages, les usines et les fermes, les townships et les quartiers informels afin de délibérer sur la meilleure manière d’unifier les luttes des pauvres. L’Afrique du Sud est la capitale mondiale des protestations, mais ces luttes ont eu tendance à rester localisées et les mouvements fragmentés. Un appel spécial a été lancé pour que les syndicalistes s’engagent dans ces luttes car ils sont membres de communautés avant d’être syndicalistes. De cette façon, les fondations de l’unité cruciale pour la clase laborieuse pourront être jetées.
Le Working Class Summit reconnaît que la crise du système, dont les pauvres et les membres de la classe laborieuse sont les principales victimes, trouve son origine dans le capitalisme ainsi que dans les politiques mises en place par les gouvernements de l’ANC depuis 1994. La classe laborieuse et les pauvres n’ont aucune représentation au sein du gouvernement. Pour les élections de 2019, nous devons présenter des alternatives aux partis existants qui gouvernent au nom de la classe dominante. La classe laborieuse et les pauvres ont besoin de leurs propres représentants.
Le Sommet s’est organisé en plusieurs commissions, qui ont débattu des principales questions affectant la vie de la majorité de notre peuple; il a adopté un programme permettant de faire avancer les luttes.
Les directions de l’ensemble des 147 formations qui ont participé au Working Class Summit se réuniront prochainement pour finaliser un programme qui permettra la mise en œuvre des décisions du Sommet.
Voici les principaux points discutés des diverses commissions.
1° L’économie, les emplois, la pauvreté, les inégalités et la corruption
La crise capitaliste s’est approfondie depuis 2008. Elle marque l’échec des politiques néo-libérales mises en œuvre depuis les années 1980 – parmi lesquelles: privatisations et attaques visant à précariser le travail. La désindustrialisation, en particulier dans les secteurs réclamant une main-d’œuvre nombreuse, tels que le textile, est la preuve que le capitalisme est incapable d’apporter une solution à la situation critique qui est celle de la classe laborieuse.
L’Afrique a été reléguée à la périphérie de l’économie mondiale, en tant que fournisseur de matières premières (minéraux et produits alimentaires).
La solidarité à l’échelle du continent ainsi que des pays du Sud, y compris les BRICS, est essentielle. Nous devons toutefois être critique quant à notre engagement dans les BRICS, en particulier en présence du sous-impérialisme. Le modèle de développement chinois ne peut être suivi de manière acritique.
L’unité de la classe laborieuse et essentielle si nous voulons être en mesure de riposter face à cette crise. Cette unité doit se dérouler autour de quatre grandes dimensions de lutte: les lieux de travail, l’idéologie, le politique et le social.
Le néolibéralisme divise les travailleurs. Cette situation doit être surmontée au moyen de la solidarité de la classe laborieuse.
L’accord s’est fait autour de la nécessité de se nourrir des expériences des années 1980 et d’œuvrer avec force pour surmonter les divisions au sein de la gauche révolutionnaire, d’accepter l’unité dans la diversité et de reconnaître l’existence de diverses tendances.
Le chômage est la question la plus pressante à laquelle fait face la classe laborieuse. Sur le court terme, nous exigeons:
- Une réduction des heures de travail pour partager le travail (probablement autour d’une revendication d’une semaine de travail de 35 heures).
- Le soutien de la création de 5 millions d’emplois au cours des 5 prochaines années.
- Que 5 millions de jeunes soient placés dans des institutions éducatives ou dans des stages.
- Une opposition au récent salaire minimum de pauvreté ainsi qu’un amendement de la législation du travail.
- Un soutien à une grève générale de trois jours ainsi qu’à une occupation massive des principales villes.
- Un renforcement des luttes dans les communautés.
- La réintroduction de la revendication d’un revenu social minimum de base [En 2017, selon la SA Food Sovereignty Campaign 14 millions de personnes, entre autres des enfants, se couchent chaque soir poursuivies par la faim.]
- La propriété sociale des terres.
2° Une éducation gratuite, de qualité et décolonisée
L’éducation est en crise. La mort d’un écolier, tombé dans une latrine ouverte, est une illustration frappante des négligences du secteur éducatif. L’accès à l’éducation de la classe laborieuse n’est pas garanti.
Des milliers d’étudiant·e·s ne peuvent s’immatriculer dans les universités malgré ladite politique d’éducation gratuite.
Une éducation de qualité reste inégale en fonction de l’origine sociale, raciale et spatiale. Les écoles privées disposent de meilleures ressources et sont mieux gérées. Les écoles publiques ne reçoivent pas les mêmes ressources de l’Etat selon les provinces, les zones et les écoles.
L’héritage du colonialisme dans le système éducatif d’Afrique du Sud reste profond, un problème qui a été souligné par les mouvements #FeesMustFall [les taxes doivent tomber] and #OutsourcingMustFall [la sous-traitance doit tomber] de 2015 et de 2016 dans les universités. Le contenu, le curriculum (CV) et les méthodes reflètent un passé que nous voulons laisser derrière nous.
La privatisation n’est pas une solution à la crise du système d’éducation publique. Nous assistons à une prolifération des écoles privées «abordable» ou «bon marché», mais le contrôle de l’éducation par les entreprises ou l’adoption de principes entrepreneuriaux dans l’éducation publique conduit à la marchandisation de l’éducation. L’éducation doit être accessible à toutes et tous, pas seulement à ceux qui disposent des moyens de la payer.
Nous exigeons que l’Etat libère tous les étudiants emprisonnés (amnistie) et abandonne les accusations visant le mouvement #FeesMustFall. Ces étudiant·e·s luttent pour une éducation gratuite, de qualité et décolonisée pour toutes et tous. Il s’agit d’une lutte légitime. Ce ne sont pas des criminels, ils sont des héros.
Notre lutte doit aller au-delà des réformes. Nous devons aussi construire des institutions éducatives révolutionnaires, sous contrôle de la classe laborieuse – et non par l’Etat capitaliste – et adoptant une pédagogie propre à la classe laborieuse. Nous devons indiquer un avenir en nous préparant à celui-ci et en offrant un aperçu de ce qu’il pourra être.
3° La crise du système national de soins
Le Sommet a tenu compte de l’effondrement du système public de soins ainsi que la crise du système de soins privé. La commission appelle au renforcement immédiat du système public de soins de sorte à ce qu’il remplisse les critères d’accréditation de la NHI [assurance médicale nationale, le système public sous lequel les soins sont fournis à la population] et met en garde contre toute nouvelle privatisation du système de soins. Une priorité doit être accordée aux premiers niveaux de soins, des ménages en passant par les cliniques et les hôpitaux de district dans un système de soin basé sur les districts.
La réunion exige un système de soins à palier unique, fondé sur le principe de solidarité sociale, fournissant des soins équitables pour toutes et tous. La solidarité sociale signifie que ceux qui peuvent payer contribuent au fond de la NHI en fonction de leur capacité à payer par une taxe progressive alors que les soins sont fournis à toutes et tous selon leurs besoins. La commission soutient le principe d’un payeur unique pour son efficacité, la transparence et les achats stratégiques.
Il a été décidé que les travailleurs de la santé et les infirmières doivent être en nombre suffisant pour fournir des soins de base répondant à des standards de qualité sans être en situation de stress. Le personnel de soin doit être reconnu, accrédité et employé formellement par le système de soins, dans des conditions de travail et de rémunération justes. La commission a souligné que les CHW [Community health workers, soit le personnel engagé dans les soins de base] et les infirmières jouent un rôle critique et fondamental dans le fonctionnement de la NHI, leur participation est donc centrale dans toute décision portant sur la mise en œuvre de la NHI.
4° Terre, logement abordable et fourniture de services
Une expropriation sans compensation des terres, autant des terrains commerciaux qu’agricoles, doit être opérée; celle-ci doit comprendre aussi les terres minières.
Le Sommet a décidé de mobiliser et de faire de l’agitation les membres des communautés afin de prendre en compte leurs luttes, le mouvement de la classe laborieuse devant jouer un rôle moteur.
Un programme minimum militant radical d’action est nécessaire pour lier toutes ces luttes de classe, lesquelles comprennent:
- La revendication d’un moratoire sur les expulsions des terres agricoles.
- Un audit sur l’occupation des terres doit se poursuivre.
- Toutes les évictions qui ont eu lieu au cours des 25 dernières années doivent être soumises à un audit de la même façon que doivent l’être les logements fournis par l’Etat.
- Les syndicats doivent jouer un rôle clé dans les luttes des communautés.
- Revendiquer des logements décents ainsi que des logements meilleurs que ceux mis en place sous le RDP [Reconstruction and Development Programme, programme lancé en 1994 par le premier gouvernement ANC visant à la construction de logements, à fournir de l’eau potable, de l’électricité ainsi que des services de base].
5° Egalité: la lutte pour une société égalitaire
Nous sommes d’avis que les discriminations fondées sur le genre, l’orientation sexuelle, la nationalité ou l’identité émanent de la crise en cours du capitalisme dans le pays et à l’échelle mondiale; la lutte pour une société égalitaire est une lutte visant à renverser le capitalisme ainsi que toutes ses manifestations d’oppression, pour une société socialiste.
L’unité de la classe laborieuse est la meilleure voie possible pour lutter contre les normes enracinées du patriarcat et de la violence contre les femmes, les enfants et la communauté LGBTIQ.
Il est indispensable de coordonner les luttes des communautés et des groupes marginalisés de façon à ce qu’ils participent aux luttes de la classe laborieuse. Nous devons unifier les luttes de toutes les sections de la classe laborieuse du pays, pas uniquement celles des travailleurs organisés au sein de syndicats.
Le Sommet déclare:
1° Une solidarité sans réserve à la Total Shutdown Campaign [campagne massive lancée à partir du 1er août et tout au long du mois pour protester et lutter contre les violences fondées sur le genre] et fait sien son programme, sa campagne ainsi que ses revendications.
2° Un soutien entier et actif à la campagne, en recourant à toutes les plateformes et ressources disponibles ainsi qu’un engagement à soutenir les mobilisations pour la campagne dans d’autres formations de la classe laborieuse, telle que les syndicats, les communautés rurales et urbaines, de façon à étendre l’audience de la campagne.
3° Les organisations de la classe laborieuse, tels que les syndicats et les organisations des communautés, doivent prendre des mesures décisives afin de garantir une représentation de genre équitable dans leurs structures ainsi que dans leurs programmes. Elles doivent également mettre sur pied un réseau d’action ou un comité de coordination visant à prendre en charge une campagne concertée contre les violences sexistes ainsi qu’en faveur des luttes des communautés marginalisées.
4° Une telle campagne doit garantir que les femmes et les hommes luttent ensemble, côte à côte, contre les violences sexistes et les viols, en faveur de l’égalité de genre dans toutes les sphères de la société, sur un large ensemble de questions impliquant la classe laborieuse, telle que l’accès aux emplois, ai logement et à la terre.
5° Le Sommet doit s’organiser en perspective d’une éradication complète de toutes les formes culturelles ou pratiques religieuses qui perpétuent les discriminations et les violences contre les femmes et la communauté LGBTI. Il doit s’identifier aux luttes de la communauté LGBTIQ ainsi qu’à celles des autres communautés marginalisées ainsi que s’engager en solidarité ou lancer ses propres campagnes de soutien.
6° Les revendications de la campagne doivent comprendre celle d’un accès gratuit et illimité aux serviettes hygiéniques pour les femmes et les filles.
7° La campagne doit unifier les mouvements existants et les revendications de la classe laborieuse dans d’autres domaines sous une même bannière contre le patriarcat et la violence. (Texte publié le 23 juillet 2018 sur le site du SAFTU; à suivre, demain 8 août 2018; texte traduit par A l’Encontre)
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