Hongrie. A Budapest, la rue conspue Orban et les télés aux ordres

Contre la loi des 400 heures…

Par Thibaut Varga

Depuis mercredi dernier [12 décembre], et l’adoption d’un amendement au Code du travail permettant jusqu’à 400 heures supplémentaires légales, les manifestations de plusieurs milliers de personnes contre le pouvoir de Viktor Orban s’enchaînent quasi quotidiennement à Budapest.

Peter Sipos, 33 ans, agent immobilier dans la capitale, a fait le déplacement ce lundi soir jusque dans la banlieue de Budapest pour manifester face au siège de la télévision publique hongroise, MTVA, protégée par un cordon de policiers casqués. A 21 heures, le thermomètre affiche moins 5° et il n’y a guère que le thé brûlant pour se réchauffer un peu. Peter est venu comme ces centaines d’autres manifestants afficher son mécontentement face à la politique de Viktor Orban. «Je suis énervé depuis longtemps contre le parti au pouvoir, pour lequel je n’ai pas voté aux élections législatives d’avril. Je n’avais jamais manifesté dans ma vie, je n’y voyais pas d’intérêt, mais je suis là dans la rue quasiment tous les soirs, voir tous ces gens rassemblés et l’opposition unifiée, ça redonne espoir. Je ne sais pas jusqu’à quand je vais rester, je travaille demain», souffle le trentenaire emmitouflé.

Peter n’est pourtant pas concerné par la loi sur les heures supplémentaires que le Parlement a adoptée mercredi dernier. Cette loi, votée officiellement pour parer au manque de main-d’œuvre dont pâtit la Hongrie, implique que les employés puissent travailler jusqu’à 400 heures supplémentaires par an, au lieu des 250 heures prévues jusqu’ici. Et ce, même si le paiement n’intervient que jusqu’à trois ans plus tard [1]. Pour des milliers de Hongrois, qui manifestent presque quotidiennement depuis mercredi dernier, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. «J’en ai assez que le gouvernement d’Orban puisse se permettre de faire ce qui lui chante sans subir aucun revers.»

Pour éviter de geler sur place, la foule siffle, allume quelques fumigènes et surtout saute régulièrement au son de «Saute si tu es un agent de George Soros», quand elle ne scande pas «Médias libres» ou «Tribunaux libres». Les manifestants savent bien qu’au-delà des médias du service public entièrement contrôlés par le pouvoir, les presque 500 titres acquis à la cause de Viktor Orban les accusent d’être à la solde du milliardaire d’origine hongroise George Soros, qui chercherait, selon ces mêmes médias, à influencer le cours de la politique hongroise. Voilà pourquoi les manifestants se sont donné rendez-vous devant la télévision publique, ce lundi soir, comme la veille, où, après un rassemblement de 15’000 personnes face au Parlement, ils avaient spontanément mis le cap sur le siège de MTVA, à 7 km de là. Lundi, les manifestants ont même effectué un petit pèlerinage devant les rédactions d’autres médias progouvernementaux à proximité.

«Je ne regarde jamais la télévision de service public, c’est une vraie parodie», déplore Peter Sipos. «Lors du dernier mandat de Viktor Orban, en quatre ans, l’opposition n’a eu droit qu’à cinq minutes de temps de parole sur les chaînes de la télévision publique», s’insurge de son côté, sur la petite estrade, Peter Marki Zay, maire de Hodmezövasarhely [ville au sud-est de la Hongrie de quelque 45’000 habitants], qui avait ravi ce bastion du Fidesz (le parti de Viktor Orban, Union civique hongroise) lors d’élections municipales partielles, en février dernier. Ce soir, les interventions des députés de l’opposition se suivent et se ressemblent. Car c’est bien là que quelque chose a changé dans la foule exprimant son ras-le-bol de Viktor Orban: l’opposition affiche désormais un front uni, de la droite radicale du Jobbik [Mouvement pour une meilleure Hongrie, une organisation hypernationaliste et raciste] jusqu’à la gauche de l’ancien premier ministre [de 2004-2009, entrepreneur et membre du Parti socialiste hongrois – MSZP], Ferenc Gyurcsany.

Les événements de dimanche ont été un vrai détonateur: deux députés d’opposition, qui espéraient pouvoir lire une pétition en cinq points au journal télévisé du service public, ont été violemment expulsés du bâtiment au petit matin par des agents de sécurité [2]. Ils exerçaient pourtant leur droit d’accès à un édifice public en tant que députés. «Le gouvernement de Viktor Orban est devenu si agressif que ces partis unissent leurs forces, ce qui n’était pas arrivé lors des dernières législatives, analyse Andras Biro Nagy, directeur du think-tank Policy Solutions. On peut désormais dire que la Hongrie s’approche d’un pouvoir à la Erdogan et Poutine: des pressions sont exercées sur les ONG ou l’Académie des sciences, l’université d’Europe centrale est forcée de déménager… Orban ne va sûrement pas retirer sa loi sur les heures supplémentaires. Mais il est bien possible qu’on s’oriente vers des grèves importantes. Reste à voir comment elles se concrétiseront…»

Pour l’instant, la grogne ne faiblit pas, alimentée par de nombreux jeunes qui ont entre 20 et 30 ans. Une manifestation était prévue mardi soir et l’on peut s’attendre à ce que d’autres rassemblements soient organisés dès les fêtes de fin d’année passées. (Publié dans le Figaro en date du 18 décembre 2018)

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[1] Selon RFI du 17 décembre: «ce volume, qui représente l’équivalent de deux mois de travail, est jugé «exorbitant» par l’opposition et les syndicats, qui dénoncent la création d’un «droit à l’esclavage». «En milieu de semaine, on devrait savoir si le président de la République promulgue la loi ou s’il la renvoie au Parlement pour modification. Les syndicats ont déjà annoncé que si la loi était promulguée, ils lanceraient une grève générale. Les étudiants seront solidaires. Cette loi a cristallisé les mécontentements d’une bonne partie de l’opinion. Il y a déjà des blocages ciblés sur les routes, par les syndicats.» «Plus de 80% des Hongrois seraient opposés à cette loi. Après plusieurs journées de manifestations parfois violentes devant le Parlement, dont la dernière a mobilisé quelque 15’000 manifestants dimanche 15 décembre, le mouvement s’est déplacé lundi devant le siège de la télévision publique MTVA, qui parle à peine des manifestations, ou de manière totalement biaisée.» (Réd. A l’Encontre)

[2] Selon les agences de presse: «Lundi 17 décembre en début de matinée, deux députés écologistes qui s’étaient introduits dans le bâtiment ont été expulsés manu militari par des agents de sécurité, dans une action relayée en direct sur les réseaux sociaux et vivement critiquée. Un troisième parlementaire a dû être hospitalisé en cours de journée après avoir été molesté. Des députés d’opposition faisaient, à Budapest, durant la journée du lundi 17 décembre, le siège de la télévision publique hongroise qu’ils accusent de partialité. Après avoir passé 24 heures dans les bureaux de la MTVA, cette douzaine de parlementaires a accepté à la demande de la police de sortir du bâtiment, sans avoir pu lire leur pétition à l’antenne.» (Réd. A l’Encontre)

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