Par Haggai Matar
Voilà justement le genre de situation que les planificateurs du tracé du mur [1] espéraient éviter: le fait d’avoir des Palestiniens interdits d’entrer en Israël piégés du côté «israélien» du mur. Pourtant, dans son long tracé sinueux, la barrière engloutit quelque 35’000 Palestiniens qui décrivent leur nouvelle vie comme étant une prison quotidienne. (Réd.)
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Mars 2009. Les résidents du petit village de Wadi a-Rasha dans le district de Qalqiliya ont des sentiments mélangés. D’un côté – grâce à la victoire qu’ils ont remportée devant la Haute Cour, une première dans l’histoire du mur – les équipes de construction sont en train d’ériger le mur sur un nouveau tracé et de détruire l’ancien. Le nouveau tracé les libère de ce que représentait pour eux une vie de captivité, engloutis qu’ils étaient dans l’enclave d’Alfei Menashe et détachés du reste de la Cisjordanie. Mais, d’un autre côté, le nouveau tracé conduit au déracinement d’encore plus d’oliviers. Or, la plupart des terres du village se trouvent piégées du côté «israélien» de la barrière.
Les villageois ont décidé de faire opposition également à ce nouveau tracé. Ils ont réclamé que le mur soit transféré deux kilomètres vers l’ouest, sur la Ligne verte. Des petites manifestations non violentes sont organisées presque quotidiennement: des activistes israéliens et internationaux bloquent les bulldozers. Après avoir été frappés et arrêtés, ils sont bannis du district (cela a été mon cas) et l’étranglement continue. A mesure que le temps passe, la construction du mur est complétée. Comme ailleurs, la bataille légale s’engage pour obtenir des permis pour le traverser. C’est un exemple de plus de cette réalité – déjà décrite dans le troisième article de cette série «Le plus possible de terres, le moins possible de Palestiniens»–, de la manière dont on détache graduellement les gens de leurs terres.
Mars 2012. Je décide de retourner à Wadi a-Rasha dans le cadre de mon travail sur cette série d’articles. Je peux alors constater à quel point il est difficile d’atteindre le village, puisque le tracé du mur – qui est devenu au moins trois fois plus long qu’avant – effectue maintenant un long détour, avec l’installation de plusieurs points de contrôle. Mais je remarque aussi un village, beaucoup plus petit, qui se trouve apparemment encore du côté ouest de la barrière. Je décide d’y jeter un coup d’œil. Apparemment la plainte déposée par Wadi a-Rasha a été reprise par quatre autres villages: Tas Atiya, Habla, Arab Abou-Farda et Arab a-Ramadine. Alors que les revendications des trois premiers ont été partiellement entendues, les deux derniers sont restés piégés dans l’étroite bande de terrain entre le mur et la frontière israélienne. L’ensemble des quelque 1000 personnes qui vivent dans les deux villages sont condamnées à rester déconnectées du reste de leur communauté dans l’avenir… prévisible.
Deux kilos de tomates, pas plus
Qasab Sha’ur, résident de Arab a-Ramadine, est obligé de franchir le mur au moins une ou deux fois par jour. Il explique avec amertume: «Nous vivons dans quelque chose qui est en partie une prison et en partie l’enfer. Notre village est petit, environ 500 personnes, et il n’a ni hôpital ni clinique, pas d’école, pas de grand magasin, ni d’emplois, donc tout exige de traverser aux points de contrôle. Mais cela peut prendre au moins une heure. Si on vient en voiture, il faut vider complètement le véhicule, tout objet, même très petit, doit passer par une machine à rayons X. Ensuite, le véhicule est examiné manuellement, puis un chien le renifle. Finalement, si l’on transporte un quelconque liquide – y compris l’eau et l’huile d’olive – il doit être testé à un laboratoire qu’ils ont sur place. Voilà comment cela se passe tous les jours quand je rentre chez moi.»
Or ce qu’il décrit, ici, est ce qui se déroule dans le meilleur des cas, où le contenu de la voiture et des passagers reçoivent finalement le droit de passer. Dans beaucoup de cas, les villageois doivent gérer les étranges restrictions qui peuvent ou non être imposées selon les cas. Par exemple si l’on rentre chez soi avec des courses et qu’on a plus de deux kilos de tomates, cela entraîne une brève enquête et on apprend finalement que cela exige un permis spécial de la part du Bureau de coordination du district de l’armée. Pour la viande et des œufs, il faut un permis du Ministère de l’agriculture israélien. Quant à des amis, des médecins, des ambulances, des services ou des proches, ils n’ont pas du tout le droit de traverser le mur.
«Puisque le point de contrôle – le terminal Eyal, comme ils l’appellent – est le dernier obstacle avant d’entrer en Israël, les autorités considèrent qu’il s’agit d’une véritable frontière, même s’il ne se situe pas sur la Ligne verte et même s’il se trouve aussi bien des colons juifs que des Palestiniens de l’autre côté», explique l’avocat Michael Sfard, qui a représenté les villages devant la Cour. «Maintenant nous avons obtenu un statu quo qui permet aux gens d’apporter des provisions pour leur consommation personnelle – mais la définition de ce terme reste à négocier. Il est difficile de décrire toutes les implications que cela entraîne sur la vie quotidienne des gens, car il faudrait analyser chaque tranche de la vie de chaque personne pour voir à quel point le mur a des conséquences douloureuses.»
Comme nous l’avons déjà mentionné, le village d’Arab a-Ramadine est piégé dans la même enclave que la colonie d’Alfei Menashe – mais le mur qui entoure les deux localités est la seule chose qu’elles aient en commun. Le village, fondé à la fin des années 1950 par des Bédouins qui ont été expulsés du Néguev, n’a pas de véritables rues, pas d’eau courante ni d’électricité («malgré le fait que des tuyaux et des câbles électriques passent sous et au-dessus de leurs têtes vers Alfei Menache», souligne Sfard). Et il y a des ordres de démolition contre certaines des maisons. Les villageois peuvent physiquement entrer en Israël à pied ou en voiture, mais si on les attrape, ils peuvent aller en prison. Même au check point, il existe une ségrégation: les colons peuvent passer par une voie rapide, sans qu’on leur pose des questions, alors que les Palestiniens doivent franchir les obstacles décrits plus haut. «J’essaie d’expliquer à l’armée que tous les résidents de l’enclave devraient au moins partager le même passage au check point, mais je sais que la seule idée de traiter sur pied d’égalité les Israéliens et les Palestiniens est tout à fait étrangère à la manière de penser et de faire de l’armée.»
Un avenir sombre
Arab a-Ramadin et Arab Abou-Farda ne sont pas les seuls villages dans ce cas. Au nord il y a aussi Bart’a – récemment visité par Yuval Ben Ami [journaliste et écrivain qui publie aussi des chroniques sur le site +972] lors de son voyage – également piégé dans une enclave du mur. Vers le sud, il y a les villages de Houssan, Wadi Foukin, Nahalin, Batir et Al-Jab’a, qui seront encerclés par la barrière de Goush Etzion depuis l’est et par un autre mur à l’ouest. Plus au sud, le village cisjordanien d’A-Seefer est mis en cage par la barrière des collines au sud de Hebron. Selon B’Tselem, 35’000 Palestiniens sont déjà soit piégés du mauvais côté du mur, soit le seront lorsque la construction sera complétée. Et c’est sans compter les résidants de Jérusalem-Est. «Les Palestiniens ne permettront jamais qu’un seul village soit annexé à Israël», déclare Shaul Arieli, colonel à la retraite et membre du Conseil pour la Paix et la Sécurité. «Je n’ai aucune idée pourquoi ils construiraient un mur sur un tel tracé qui devra de toute évidence être modifié et reconstruit, ne serait-ce qu’à cause de ces villages.»
En attendant, à Arab a-Ramdin, les villageois font face à un avenir sombre. «Vous savez, la plupart d’entre nous avons dû changer notre manière de gagner notre vie», note Sha’ur. «Autrefois la plupart des gens avaient des moutons, le village en était plein, mais maintenant il ne nous reste que 10% de pâturages et on ne peut pas amener les moutons de l’autre côté du mur. Alors on a dû vendre le bétail et maintenant nous travaillons pour l’Autorité palestinienne, ou comme ouvriers ailleurs en Cisjordanie, et nous devons traverser le check point tous les jours. Il y a trois jours, l’Administration civile [voir sur ce site la contribution de Julien Salingue ayant trait à «l’Administration civile», en date du 20 avril 2012] nous a contactés et nous a offert de nous transférer en Cisjordanie. Ils maintiennent encore cette proposition. Les terres sur lesquelles nous nous trouvons nous appartiennent. Ils nous proposent de les échanger contre des terres de l’autre côté de la barrière. Mais la Cisjordanie est sous occupation. Je ne suis pas un colon qui va prendre la terre appartenant à quelqu’un d’autre avec l’appui de l’Administration civile israélienne. Un Palestinien ne peut simplement pas faire cela, et il n’y a aucune raison pour que nous allions ailleurs. C’est le tracé du mur qui doit être modifié pour qu’il se situe sur la Ligne verte.» (publié sur le site +972, le 21 avril 2011 – Traduction A l’Encontre)
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[1] Voir les articles précédents publiés sur ce site en date des 11 et 13 avril 2012: «Les dix ans du mur: l’imporant projet israélien» et «Le mur, le processus de paix et Jérusalem» et, le troisième, en date du 17 avril 2012 : «Le plus possible de terres, le moins possible de Palestiniens»
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