Par Samer Soliman
L’article que nous publions ci-dessous a une fonction d’information partielle de la «réalité parlementaire» en Egypte. Il doit être mis en relation avec l’article publié sur ce site en date du 13 février 2012: «Assiéger le parlement avec nos revendications». Entre autres, quelques questions pourront être posées à l’occasion des «exigences» émises par le FMI, la Banque mondiale et de l’«aide» de la Banque africaine de coopération, exigences et aides combinées qui permettent de présenter, de manière camouflée, des politiques d’attaques anti-sociales. (Rédaction A l’Encontre)
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En 2012, l’Egypte s’est dotée de son premier Parlement élu, un Parlement issu d’élections non marquées par la fraude et largement «compétitives» entre diverses formations. Dominé par les courants islamistes [Frères musulmans financés par le Qatar et salafistes financés par l’Arabie saoudite], marqué par une faible présence de libéraux et de la gauche et n’ayant pas trop de place pour les chrétiens et les femmes, ce Parlement est à un très large degré représentatif de l’échiquier politique égyptien.
Un mois s’est écoulé depuis la tenue de la séance inaugurale du nouveau Parlement, une période, certes trop courte, pour permettre une évaluation exhaustive du rôle législatif de l’Assemblée. Toutefois largement suffisante pour noter certaines caractéristiques de l’exercice parlementaire, notamment en ce qui concerne son rôle de contrôle de la performance du gouvernement et sa capacité à gérer les divergences qui se manifestent au sein de l’hémicycle.
Relativement au contrôle de l’activité du Conseil des ministres, la capacité du Parlement à critiquer les officiels a augmenté. Sous le règne du président Hosni Moubarak, il est vrai, l’Assemblée du peuple pouvait adresser ses critiques les plus acérées aux ministres, voire au premier ministre, et pouvait convoquer certains ministres pour les interroger.
La nouveauté, toutefois, c’est que le ministre de l’Intérieur a perdu l’immunité dont il bénéficiait sous Moubarak et qui lui permettait d’ignorer les convocations du Parlement. Il y a deux semaines, le ministre de l’Intérieur a comparu devant l’Assemblée du peuple où il a essuyé les critiques les plus sévères des députés relativement au drame du stade de Port-Saïd [lors du match de football le 1er février] qui s’est soldé par des dizaines de morts et des centaines de blessés. Sauf que ces critiques n’ont pas suffi pour faire limoger, ni le ministre de l’Intérieur [Mohamed Ibrahim Youssef, ancien chef de la police de Guizeh, un des plus grands quartiers du Caire], ni le premier ministre [Kamal al-Ganzouri, de 1996 à 1999, premier ministre sous Hosni Moubarak], malgré les multiples demandes formulées dans ce sens par les députés. De quoi conclure que les prérogatives de l’Assemblée du peuple restent floues: l’Assemblée travaille sous une Constitution provisoire (la Déclaration constitutionnelle) promulguée par le Conseil militaire. En vertu de cette Constitution, elle a le droit de demander des comptes au gouvernement sans avoir le pouvoir de le limoger.
Quant au contrôle des activités du «sommet du pouvoir exécutif», à savoir le président de la République ou celui qui assure ses fonctions, les multiples demandes de députés voulant voir ce dernier comparaître devant le Parlement n’ont pas rencontré de succès.
Ce qui signifie que, jusqu’à maintenant, la formule du régime Moubarak reste dominante. En gros, celle-ci consiste à se servir du premier ministre et de ses ministres comme un punching-ball pour recevoir les coups à la place du président de la République ou de celui qui assure son intérim, dans ce cas, le commandant général des Forces armées.
Question en suspens
Pour ce qui est des compétences du Parlement à agir comme une instance de collecte d’informations en temps de crise (à travers la formation de commissions d’enquête chargées d’établir les responsabilités de tout un chacun), elles paraissent jusqu’à présent plutôt faibles. La commission d’enquête qui s’est rendue à Port-Saïd est rentrée avec un rapport qui n’a rien ajouté à ce que l’on connaissait déjà. Il en a été de même pour la commission d’enquête qui avait été chargée des événements meurtriers devant le ministère de l’Intérieur au centre-ville. Certains députés se sont rendus sur le terrain pour revenir avec la conviction que les forces de police ont bel et bien tiré sur les manifestants.
Un député, Mohamad Abou-Hamed, a même pu trouver des douilles qu’il a montrées au sein du Parlement. Mais pour finir, ses collègues l’ont accusé de fabrication de mensonges et la question est restée en suspens.
Enfin, relativement à la capacité du Parlement à gérer les conflits internes, il apparaît qu’elle est «moyenne». Les délibérations entre députés sont souvent chaotiques, où les uns interrompent les autres, avant que tout le monde s’engage dans des querelles qui, jusqu’à présent, n’ont pas atteint la violence physique, comme c’est le cas dans d’autres Parlements d’Europe et d’Asie.
Notons aussi que ces querelles ne se limitent pas aux divergences entre les camps islamiste et libéral, mais se manifestent aussi entre les islamistes eux-mêmes. L’exemple important a eu lieu quand le député du parti salafiste Assala, Mamdouh Ismaïl, a lancé l’appel à la prière depuis son siège dans l’hémicycle. Le président du Conseil a protesté, expliquant que la mosquée (censée être l’endroit réservé à la prière) se trouvait à quelques pas de là. Il a même menacé le député en question de l’expulser. Cette scène est révélatrice d’une tendance qui peut perdurer des mois et des années à venir: ce penchant des salafistes à marquer des points aux dépens des Frères en les vexant et en montrant que leur zèle religieux est relativement faible. Ceci n’est en fin de compte pas pris à la légère comme le montre la réaction violente du président de l’Assemblé [Saad al-Katatni], issu des Frères musulmans. En tout cas, les Frères ont suffisamment de légitimité religieuse pour leur permettre de se défendre contre les surenchères des salafistes.
Il va de soi que la performance de l’Assemblée du peuple au long de son premier mois d’existence a laissé beaucoup de déçus. Mais il ne faut pas oublier que le Parlement égyptien est resté pendant 60 ans en marge de la vie politique, avec un rôle qui ne dépassait pas celui d’un forum pour échanger des idées ou d’un espace pour présenter des demandes aux ministres. Cet héritage ne risque pas de disparaître du jour au lendemain, surtout en l’absence de l’infrastructure parlementaire qui consiste en des centres de recherches auxiliaires. Il est clair que le Parlement a un long chemin à faire pour satisfaire les ambitions du peuple.
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Cet article a été publié dans Al-Ahram Hebdo, 22-28 février 2012
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