L’efficacité de l’Assemblée populaire (le Parlement) a jusqu’à présent été frustrante pour les révolutionnaires. Même ceux qui avaient réclamé que le pouvoir soit attribué au Parlement élu sont en train de réexaminer leur position.
Comme il ressort des positions des députés Frères musulmans et des Salafistes lors des sessions parlementaires tenues jusqu’à présent, on pourrait faire valoir que le bloc islamiste tient à maintenir le statu quo, et prive de force la voie révolutionnaire. Parfois même, il se tient catégoriquement aux côtés de la contre-révolution représentée par le Conseil suprême des Forces armées (CSFA), le Ministère de l’intérieur et l’appareil de sécurité.
Nous devrions donc demander pourquoi ces députés, que le peuple a élus, se sont tournés contre la révolution. Et ma première réponse est qu’ils étaient opposés à la révolution dès le début.
Cette réponse est correcte, mais insuffisante ; parce que tous ceux qui s’opposent à la révolution ne sont pas identiques.
Ceux qui bloquent la voie révolutionnaire parce qu’ils sont soumis à une idéologie conservatrice-réformiste, comme les Frères musulmans (FM), sont différents de ceux dont l’opposition à la révolution est la conséquence d’une position «populiste de droite», comme la majorité des Salafistes au sein du Parlement.
L’hostilité des Frères musulmans et des Salafistes à l’égard des manifestations récentes (de janvier et février 2012) devant le Ministère de l’intérieur n’aurait pas été aussi affirmée s’ils n’avaient pas été convaincus de bénéficier d’un soutien populaire, ou du moins d’une certaine apathie, sur la question.
C’est la triste vérité que connaissent tous ceux et celles qui sont en contact avec la population. Les Egyptiens sont généralement hostiles à l’égard des manifestant·e·s de la place Tahrir, notamment ceux qui s’approchent, par moments, du Ministère de l’intérieur et qui s’y affrontent avec les forces de sécurité.
Même si les Ultras Ahlawy, le groupe le plus important des irréductibles supporters de football d’Egypte, ont bénéficié d’une sympathie appuyée à la suite des violences qui ont provoqué plus de 70 morts et des milliers de blessés dans le stade de football de Port-Saïd, le mercredi 1er février 2012 – et beaucoup croient que le Parti National Démocratique (PND), désormais dissous, a agi en connivence avec la sécurité de l’Etat pour perpétrer ce massacre – on constate que cette sympathie s’est depuis réduite. Et cela en raison des affrontements des manifestants avec les forces de sécurité devant le Ministère de l’intérieur ; de même qu’à Alexandrie et à Suez.
Politiques radicales
Ceux qui n’ont pas confiance dans le rôle des masses pour amener le changement perdent toujours rapidement espoir quand ils sentent une baisse du soutien de la population à leur égard. Cette attitude conduit finalement à l’adoption de politiques radicales qui visent à précipiter le changement quel que soit le niveau du soutien populaire, en particulier dans les fractions les plus pauvres de la société.
Même si toute radicalisation du mouvement de protestation, dans ce cas sous la forme d’affrontements avec les forces dites de sécurité de l’Etat, peut être saluée comme héroïque, ces actions radicales ne constituent pas une solution pouvant amener des changements importants. Une minorité héroïque et honnête – qui est prête à sacrifier sa vie en défiant la brutalité des forces de la sécurité de l’Etat – ne peut pas apporter un réel changement. Ceci nécessite une participation populaire à grande échelle.
Proclamer que les députés élus peu efficaces sont une poignée de traîtres qui pourraient être facilement battus ou ignorés est une hypothèse simpliste. Le Parlement a le soutien du public et les positions qu’il prend sont acceptées par la majorité des Egyptiens et des Egyptiennes, qui ont leurs propres raisons de ne pas sympathiser avec les révolutionnaires de Tahrir.
Il ne sert à rien de prétendre que l’Assemblée populaire actuelle est une copie de l’ancienne législature sous le PND de Moubarak. La différence est importante: la première a le soutien du peuple tandis que la dernière ne l’a jamais eu.
Il faut assiéger le Parlement!
Les révolutionnaires qui croient au changement émanant de la base devraient avoir confiance dans la capacité du peuple à apprendre de ses propres expériences. Si les gens font aujourd’hui confiance aux Frères musulmans et aux Salafistes et montrent peu de sympathie à l’endroit des révolutionnaires, ceci peut changer et changera si les révolutionnaires se montrent dignes de leur soutien.
Mais il est important de comprendre que les membres de la Confrérie sont différents des Salafistes. Les Frères musulmans, comme toute autre force réformatrice, sont sensibles aux changements d’état d’esprit du peuple et y répondent partiellement, non pas par volonté de satisfaire les demandes populaires mais pour soigner leur propre popularité. Quant aux Salafistes, ils sont un groupe idéologiquement beaucoup plus dogmatique et donc moins sensible à l’opinion publique.
Par conséquent, tous les efforts destinés à briser l’hégémonie des islamistes sur le niveau de conscience des masses devraient se concentrer sur les Frères musulmans, non seulement parce qu’ils sont plus populaires, mais aussi parce qu’ils prétendent adhérer à un programme islamique soucieux en priorité des préoccupations quotidiennes du peuple. En cela, ils courent plus de risques d’être tenus responsables des politiques qui frappent les moyens d’existence de la large majorité de la population.
On peut gagner des partisans des Frères musulmans par un mouvement de revendication qui mettra le Parlement à l’épreuve. Le Parlement devra soit adopter les exigences du peuple, en lui répondant au moins en partie et sinon faire face à un mouvement populaire puissant qui révélera rapidement les insuffisances de l’organisation.
Ce n’était pas le cas lorsque les affrontements ont éclaté au ministère de l’intérieur la semaine dernière. L’opinion publique n’était pas favorable aux révolutionnaires, ce qui a permis aux Frères musulmans de s’en tirer avec son opposition à la révolution au Parlement.
Il y a plusieurs autres questions qui pourraient mettre en péril la Confrérie de FM, telles que les exigences économiques et sociales qui sont susceptibles d’exploser au cours des prochaines semaines, si le CSFA continue de mal gérer la période de transition.
Cela dit, si les révolutionnaires décident de ne pas demander de comptes au Parlement parce qu’ils ont l’illusion de pouvoir le faire tomber, ce sera une bonne nouvelle pour la majorité parlementaire car cela fournira à ses membres une excuse toute prête pour s’exonérer confortablement de toute responsabilité vis-à-vis de la crise économique et sociale, tout en conservant leurs sièges.
En outre, submerger le Parlement de revendications ciblées permettra de desserrer l’emprise du CSFA sur les affaires publiques et de forcer les Frères musulmans à s’opposer aux dirigeants militaires du pays. Ces confrontations permettront d’accroître le rôle du peuple et de donner une impulsion au changement émanant de la base. (Traduit de l’arabe en anglais par Dina Zafer pour Al-Masry Al-Youm; et de l’anglais au français par Pierre-Yves Salingue)
Soyez le premier à commenter