Grèce. «Ils pensaient pouvoir gouverner de la même façon qu’avant la crise»

La «bataille» mémorable...
La «bataille» mémorable…

Entretien avec John Milios
conduit par Michal Rozworski

Ce mercredi 22 juillet, une partie de l’accord imposé par les institutions et accepté par Alexis Tsipras – décider son adoption est, au plan politique, un test dont le caractère ne peut être tempéré par des expressions de malaise personnel – est à nouveau soumis à la Vouli. Il faut avoir à l’esprit que le document de 975 pages est un ordre de marche détaillé.

Le premier point présenté ce mercredi a trait à la législation bancaire, dite du bail-in et qui reprend l’accord de l’UE du 26 juin. C’est-à-dire: une banque, en cas d’insuffisance de capitaux propres suite à des pertes, doit solliciter en priorité les actionnaires et les créanciers détenteurs de dettes subordonnées. Cela pour limiter le concours de fonds publics.

Or, le Hellenic Republic Asset Development Fund (HRADF), créé en juillet 2011, en tant que société anonyme de droit privé, dont la République grecque est le seul actionnaire, dispose d’une présence notoire dans Alpha Bank, National Bank et Piraeus Bank. Dans le Conseil d’experts se trouvent trois membres nommés par le Troïka. L’organisation du système financier grec est, dès lors, au centre des débats, d’autant plus qu’une recapitalisation des quatre banques, à hauteur de 25 milliards d’euros, est prévue. Toute la mécanique banco-financière échappe au «pouvoir» gouvernemental grec. Ce même mercredi, la «réforme» du Code civil est aussi prévue. Aucune facette de la société n’échappe à ce qui est qualifié, de manière outrageuse, de «plan d’aide»

Alexis Tsipras répète: «Je vois des déclarations, mais pas de plan alternatif à l’accord du 12 juillet; et si le plan le plus à gauche est celui de Schäuble [Grexit temporaire de 5 ans, pour résumer], qu’on aille le dire aux Grecs.» Vendredi 25 juillet, les envoyés de la Troïka arriveront, officiellement, à Athènes. Vont-ils parler aux Grecs, et à quels Grecs?

Des ministres cherchent à indiquer quel chemin pourrait être emprunté afin d’amortir le choc de l’austérité. Ainsi Theano Fotiou, ministre déléguée à la Solidarité sociale, insiste dans des interventions radiophoniques, à la fois, sur le besoin «d’unité de Syriza» et sur des mesures telles que la réintroduction de repas dans les écoles, à la rentrée. Pour le faire, il faudra compter sur l’aide de la diaspora grecque! Est-ce un plan B à l’intérieur du plan A? La porte-parole du gouvernement, Olga Gerosvasili, laisse entendre, elle, que le désaccord sur l’agriculture est secondaire. «L’information» gouvernementale a ses exigences, dans un pays où les grands médias privés ont perdu leur crédibilité.

Les votes de députés de Syriza vont être comptés et «enregistrés» ce mercredi. Les Non seront-ils 32? Les 7 abstentions (vote «présent») seront-elles au rendez-vous? Le travail au corps effectué par Tsipras et son entourage – menaces et cooptation – sera-t-il validé ou sera-t-il mis en échec complet ou partiel? Cela ne relève pas de l’anecdote, mais du futur de Syriza comme coalition d’une «gauche radicale» mise en échec. Et cela, au moment où la «polarisation» interne est très forte, où les attaques virulentes contre la gauche se multiplient. Sans mentionner la rumeur selon laquelle des membres de KOE (courant ex-maoïste au sein de Syriza) démissionneraient de Syriza, ce qui n’est pas confirmé. Sous les heurts d’une crise protéiforme, une reconfiguration de la «gauche radicale» se profile ou a déjà commencé. La manifestation appelée par Adedy ce mercredi soir risque de ne pas être massive. Et le «climat policier» pourrait faire écho à la canicule.

Nous publions ci-dessous un entretien avec John Milios, économiste et membre du Comité central de Syriza. L’exposé que John Milios devait réaliser dans le cadre du Forum international Ernest Mandel à Lausanne est publié, en date du 29 mai, sur ce site: La logique de classe intrinsèque des politiques d’austérité. Syriza peut-il proposer une alternative progressiste?] (Rédaction A l’Encontre)

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Quelle est la situation une semaine après que le Parlement a accepté le Mémorandum et deux semaines après le référendum?

Lorsque le référendum a été proclamé, nous avons assisté à une campagne de vote qui avait des caractéristiques sociales et de classe. Il y avait deux «Grèce» se combattant l’une l’autre. D’un côté on trouvait, en gros, les pauvres, les salarié·e·s, les chômeurs et les petits entrepreneurs alors que, de l’autre, se trouvaient les capitalistes, la classe directoriale ou des cadres [managérial class], les rangs élevés de l’Etat, etc., qui faisaient de l’agitation pour le Oui.

Enfin, une vaste coalition de la majorité sociale a vu le référendum comme une chance d’exprimer leur engagement contre la poursuite de l’austérité et du néolibéralisme. Tout cela s’est produit dans une situation de crainte et de terreur provoquée par le choix de la Banque centrale européenne (BCE) de ne pas étendre la fourniture de liquidité d’urgence (Emergency Liquidity Assistance, ELA) aux banques grecques. Un grand nombre de personnes ont vu cela comme une tactique visant à provoquer la frayeur et ils ont commencé à retirer leur argent. Enfin, tout cela a conduit à la fermeture des banques.

Le peuple grec a donc voté alors que les banques étaient fermées et dans une atmosphère de peur selon laquelle le vote en faveur du Non conduirait au désastre. Il y a également eu des chantages intenses face à face de la part d’employeurs faisant pression pour que leurs travailleurs votent Oui. Malgré cette campagne de peur et de propagande, 61,3% des électeurs ont voté Non.

Qu’en est-il aujourd’hui de ce résultat?

Je pense que le référendum était une erreur politique de l’administration Tsipras. Mon opinion personnelle est que Tsipras, et si ce n’est pas lui alors la majorité du gouvernement qui l’a placé sous une forte pression, souhaitait signer le Mémorandum. Ils estimaient que le résultat au référendum serait ce que les sondages prévoyaient: 50-50, ou une petite majorité pour le Non. Cela aurait offert une légitimation politique à signer le Mémorandum.

Mais ce qui s’est produit avec le référendum a été extraordinaire et cela a ouvert la question pour l’avenir. Le gouvernement a transformé le 61,3% de Non en un 82% de Oui au Parlement et a accepté le Mémorandum.

Je vois une ligne rouge traverser la politique de ce gouvernement dès le premier instant. Ils pensaient pouvoir gouverner de la même façon qu’avant la crise. C’est-à-dire que la question principale est une récession, et que l’austérité est seulement une mauvaise politique qui provoque des réductions supplémentaires de la demande finale effective.

Personnellement, je pense que cette analyse est complètement fausse [voir l’article de John Milios mentionné en introduction]. Le Capital n’a pas d’autres moyens de sortir d’une crise de lui-même sans réduire les coûts par unité de production par tous les moyens. Il y a deux moyens de le faire: par une réduction des «coûts du travail» – c’est-à-dire, l’austérité – et par une diminution des coûts en biens intermédiaires et en capital.

Même la seconde option entraîne une récession à court terme. Imaginons, par exemple, que toutes les industries réduisent de moitié l’utilisation de pétrole, de gaz et d’autres énergies nécessaires en général. Que va-t-il arriver au secteur de l’énergie? Il va sombrer.

Le capitalisme fonctionne au travers d’un remaniement permanent des rapports de force. Ce gouvernement n’a pas réalisé que s’il voulait être un gouvernement de la classe laborieuse, il aurait à suivre une politique qui, dès le début, ne parle pas de développement et de récession en général, mais cherche des voies alternatives pour promouvoir la production de biens et de services.

Ceci comprendrait des structures coopératives, l’ouverture d’usines ou d’entreprises dans le secteur des services aussi bien qu’un système fiscal solide et juste qui redistribue les revenus et les richesses en direction de la classe laborieuse. De telles mesures devraient être des objectifs en tant que telles, pas seulement des moyens de sortir de la crise. La question clé est: sortir de la crise en faveur de qui?

Quels sont les obstacles à de telles mesures au niveau de l’économie grecque?

Au travers des mémorandums [2010 et 2012], le caractère de l’économie grecque a changé en partie. Elle est devenue plus proche d’une économie latino-américaine. C’est-à-dire: une économie duale au sein de laquelle une partie de la population est exclue.

Il y a eu une très importante augmentation des profits en raison de l’austérité. Grâce aux privatisations et aux politiques néolibérales extrêmes, le capital privé a gagné de nouvelles possibilités pour entrer dans ce qui était le secteur public. Et, au cours des derniers mois de 2014, nous avons assisté à des taux de croissance positifs ainsi qu’à une réduction du chômage. Ainsi que Marx le disait, il n’y a pas de crises permanentes.

La question est de savoir comment une société sort d’une crise. Les profits ont augmenté et le capital est plus centralisé dans la mesure où des petites entreprises ont fermé. Il y a, par exemple, la concentration du commerce de détail dans des grands malls et des grandes chaînes de magasins.

L’austérité est la politique correcte pour le développement capitaliste en faveur des intérêts les plus agressifs du capital. C’est un moyen de destruction créative. Ils savaient qu’il y aurait une grande récession, et cette récession a dégagé du chemin les capitaux valorisés de manière inadéquate, les petites entreprises, les droits civiques, les droits des travailleurs, les droits syndicaux ainsi que des pans entiers du secteur public: tout ce qui était nécessaire.

Ce que nous avions l’habitude de décrire comme étant le modèle social européen semble aujourd’hui n’être plus qu’une mauvaise blague. Il est malheureux que ce gouvernement, qui avait un programme complètement différent, a été contraint de prendre de telles mesures: devenir un gouvernement du capital, de poursuivre les politiques des précédents gouvernements ainsi que d’aboutir à une situation où les gens le combattent.

Il y a une tension entre ce qui est interne à la société grecque et l’économie, d’un côté, et les négociations avec l’Europe qui font la une de la presse. Je pense que cela a fait partie de votre analyse tout le temps: on ne devrait pas se centrer autant sur les négociations, cela est un projet de classe.

Vous avez raison de poser cette question. Il y a deux éléments à ce sujet. Le premier, pour qui les «européens» se battent-ils? Combattent-ils juste pour recueillir les vieilles dettes du secteur public grec? Ma réponse est non, ils ne vont jamais collecter cette dette dans son intégralité. Ils savent cela et c’est la raison pour laquelle ils ont lentement commencé à discuter d’une restructuration de la dette.

Ils se battent pour une intégration européenne sous la forme d’une Europe néolibérale dans chaque pays. Ils combattent pour les capitalistes grecs mais aussi pour ceux d’autres pays. Ils ne veulent pas permettre la formation d’une alternative au sein de la zone euro.

Le second point est que l’intégration européenne joue un rôle très important en promouvant des politiques néolibérales. D’une certaine manière, elle fonctionne comme un piège pour un gouvernement qui désire mener des politiques en faveur du peuple. Cela ne découle pas du fait que de nombreux pays ont la même monnaie, mais du fait que la BCE ne fonctionne pas, de manière délibérée, comme prêteur et émetteur de monnaie en dernier ressort.

La BCE ne soutient pas les secteurs publics des pays membres de l’Eurozone par des prêts, ainsi pratiquement le seul moyen d’affronter des problèmes fiscaux durant la crise est d’avoir recours à l’austérité. Elle a délibérément placé tous les pays de la zone euro en situation de risque de défaut afin de poursuivre un agenda néolibéral.

Comment est-il possible alors de prendre cette position différente d’une refonte interne de l’économie comme réponse à la crise lorsque vous risquez le défaut, lorsque vous avez besoin de prêts supplémentaires pour rembourser les créanciers et lorsque vos banques peuvent être fermées par une institution politique comme la BCE? Une voie stratégique différente aurait-elle pu – ou peut-être l’être encore – suivie?

Je pense qu’il y avait un autre chemin stratégique et il pouvait être emprunté dès les premiers instants où ce gouvernement de gauche est arrivé au pouvoir. En résumé, une première étape consistait à créer des revenus pour l’Etat en taxant les riches. Cela impliquait également combattre la corruption aussi bien que la contrebande de pétrole et des produits du tabac. Ce gouvernement n’a pas fait grand-chose dans cette direction, même s’il s’agissait d’un point important de notre programme.

La deuxième grande question est le défaut. Nous devons dire aux Européens: «regardez, nous avons un programme électoral et vous avez une structure de l’Eurozone qui contraint chaque pays de traiter ses problèmes fiscaux par lui-même. Lorsqu’un pays ne peut faire face à ses problèmes, vous lui octroyez un prêt à condition qu’il mène des politiques d’austérité brutales. Nous sommes en désaccord avec ce cours des choses parce que nous sommes un pays démocratique et que les gens ont voté autrement. Nous avons commencé à créer des revenus pour l’Etat par d’autres moyens et nous sommes désolés, mais dès lors que vous ne nous avez pas donné les tranches de financement sur lesquelles nous étions tombés d’accord dans le passé, nous ne pouvons rembourser nos obligations de dette, ni au FMI, ni à la BCE.»

Le gouvernement grec était finalement arrivé à cette position et avait différé un paiement au FMI le mois dernier. Avant cela et sans avoir reçu les financements qui lui était dû, il a remboursé plus de 7 milliards d’euros, soit plus de 3% du PIB, aux créanciers. Le gouvernement aurait dû différer ces paiements au moins depuis février et exiger un nouveau programme.

Il aurait pu, en parallèle, afficher des excédents primaires et résoudre ses problèmes fiscaux de lui-même en taxant les riches. Le problème financier de payer les créanciers aurait alors pu être affronté par un autre programme qui n’aurait pas contenu de l’austérité.

Lorsque Syriza a remporté les élections, les banques se trouvaient dans une bien meilleure situation; depuis lors, les ménages grecs ont envoyé plus de 41 milliards d’euros à l’étranger. Les dépôts bancaires, sous toutes ses formes, atteignent actuellement 120 milliards d’euros. Avant la crise, ce chiffre s’élevait à 230 milliards. La Banque des règlements internationaux (BRI) a calculé que les ménages grecs avaient une position financière nette de 250 milliards d’euros. Il s’agit d’un excédent sous forme de dépôts moins toutes les dettes privées à l’échelle internationales.

Ces données montre que la classe moyenne grecque et les riches envoyaient de l’argent à l’étranger bien avant la victoire électorale de Syriza, mais ce processus s’est accéléré depuis les négociations sans fin.

S’il y avait eu un départ différent, ainsi que je l’ai souligné, le résultat aurait pu être bien meilleur. Bien sûr, vous ne pouvez être certain d’une chose avant de l’essayer. Mais je suis convaincu qu’il y aurait pu avoir, et qu’il y a, une autre voie.

Que se passe-t-il maintenant que les banques se trouvent dans cet état fragile, que les dépôts ont disparu et qu’un nouveau Mémorandum doit être mis en œuvre? Le Mémorandum peut-il être réalisé par un parti de la gauche, en particulier en l’espace de quelques années? Ce gouvernement obtiendra-t-il le soutien du parti? Y a-t-il des marges de manœuvre?

Le gouvernement m’a placé et nous met chacun dans une situation particulière: en rupture entre nos propres opinions politiques et notre position en tant que partie de la majorité travailleuse, d’un côté, et, de l’autre, comme membres de Syriza. Sur la base de ce que j’ai dit jusqu’ici, la politique de ce gouvernement est désormais une politique en faveur du capital et promotrice de l’agenda néolibéral. Cela va, par définition, à l’encontre des convictions de Syriza et de ce que 61,3% des électeurs exigeaient.

Il ne s’agit pas d’un problème seulement pour Syriza, mais c’est un problème pour toutes les personnes qui se sont mobilisées au cours des derniers mois et, en particulier, au cours des dernières semaines en faveur du Non lors du référendum. La question, face à ce 61,3%, est que devons-nous faire maintenant? En se souvenant, en outre, que sans la fermeture des banques et la campagne de peur ce 61% aurait été même plus important.

J’ai décidé catégoriquement que j’appartiens à cette partie de la société et que je continuerai à me battre contre l’austérité et les mesures du gouvernement qui sont semblables à celles prises par les gouvernements antérieurs. D’un autre côté, je ne veux pas assister à une scission au sein du parti. Je veux être partie prenante des débats qui sont actuellement engagés.

Une majorité du Comité central de Syriza continue de soutenir la position du Non, elle comprend des camarades de presque toutes les fractions ou courants idéologiques. Nous exigeons du gouvernement qu’il trouve une autre issue à cette crise et qu’il ne signe pas le nouveau Mémorandum.

Je suis toutefois convaincu que le gouvernement a pris sa décision et qu’il va signer. Cela rend la situation difficile: je ne veux pas d’austérité supplémentaire de la part d’un gouvernement Syriza mais je ne veux pas non plus d’une scission. C’est une situation très difficile et elle ne peut être résolue par une seule personne. Nous devons discuter entre nous, dans le parti et avec les gens.

Malgré cela, je ne suis pas pessimiste. Cette situation – qui est une énorme déception pour les personnes qui croyaient en Syriza – peut-elle fonctionner comme point de départ d’une autre voie où les gens eux-mêmes, en rapport avec des formes de démocratie directe, commencent à prendre leur présent et leur avenir dans leurs propres mains?

Pouvons-nous commencer à créer de nouvelles structures productives de prise de décision? Pouvons-nous remettre en service les entreprises et les usines qui sont restées fermées en raison de la crise? Allons-nous assister à l’émergence d’un mouvement à partir d’en bas, ce dont nous avons besoin aujourd’hui? Le vieux slogan «le peuple avant les profits» peut-il devenir une réalité concrète en Grèce?

Ce mouvement peut non seulement placer le gouvernement sous pression et exiger qu’il change de voie, mais il peut commencer à changer la société en essayant de mettre en pratique une fin de l’agenda néolibéral et défier le capitalisme lui-même.

Comment cela est-il lié au débat très concret sur la sortie de l’euro? En ne le mentionnant pas, vous semblez suggérer que c’est une question secondaire.

L’austérité et le néolibéralisme ne sont pas une question liée seulement à l’euro. Si un pays change de monnaie, la classe laborieuse de ce pays ne prend pas le pouvoir ou met un terme à l’austérité.

Cependant, j’ai déjà déclaré que l’Eurozone, par le biais des actions particulières et qui ne conviennent pas de la BCE, joue un rôle important dans la promotion et la stabilisation du néolibéralisme. Si une stratégie menée par un mouvement politique de masse qui met un terme à de telles politiques passe par une sortie de l’euro, je ne vois alors pas en quoi cela serait un problème.

Le problème auquel fait face la classe laborieuse grecque n’est, toutefois, pas un problème technique qui peut être résolu par une simple réorganisation de la politique monétaire du pays, telle que le choix de la monnaie. Je peux facilement imaginer une situation où une Grèce qui sort de l’euro ne peut trouver les ressources nécessaires pour soutenir les taux de change de sa nouvelle monnaie et recourt à des prêts de la zone euro ou d’ailleurs. Mais tout prêt, dans la phase présente du capitalisme, signifie des mémorandums d’austérité. Qui va donc financer le pays afin de soutenir les taux de change de la nouvelle monnaie?

Enfin, la dévaluation de la nouvelle monnaie favoriserait probablement les exportateurs. Mais la classe laborieuse ne fait pas partie des exportateurs.

Ils ont besoin de carburant, de nourriture et de médicaments.

Oui, en outre les exportateurs sont les grands capitalistes et ils vont simplement accroître leurs bénéfices. C’est similaire à une dévaluation interne par la diminution des salaires. Vont-ils augmenter nos salaires parce qu’ils font des profits plus importants? La question n’est pas de trouver un truc pour rendre le capitalisme grec plus efficace.

J’ai souligné auparavant la position financière nette largement positive des ménages grecs afin de montrer que les personnes fortunées et les grandes entreprises (qui ne sont pas comprises dans ce chiffre des ménages) ont déjà envoyé leur argent à l’étranger. Cette petite fraction de la société serait favorisée par une nouvelle monnaie dévaluée. La classe laborieuse, de son côté, fera face à une dévaluation de son pouvoir d’achat.

Dans le sillage de changement social qui défie le néolibéralisme et le capitalisme, il n’y aura aucune raison d’arrêter parce que la Grèce a l’euro. Dans ce cas, une nouvelle monnaie pourrait être nécessaire pour soutenir cette nouvelle voie. Mais nous devons partir de ce chemin, non l’inverse. C’est la raison pour laquelle je considère que la question de la sortie de l’euro est secondaire.

En parlant non pas en termes théoriques mais politiques – c’est-à-dire: comment modifier les rapports de forces politiques et sociaux – je considère l’euro comme un faux problème. Je ne participe pas à des débats sur la devise parce qu’ils mettent de côté la question principale qui est comment renverser la stratégie de long terme des capitalistes grecs et européens en faveur de l’austérité.

La question n’est pas tant récession versus croissance en général que celle de la redistribution des richesses, des revenus et des pouvoirs au profit de la classe laborieuse; en d’autres termes, une croissance pour la majorité sociale et non une croissance dans l’intérêt des profits (Traduction A L’Encontre. Entretien réalisé le 20 juillet 2015, publié le 21 sur le site Jacobin. John Milios est membre du Comité central de Syriza, professeur d’économie politique à l’Université technique d’Athènes. Michal Rozworski est un écrivain et chercheur qui vit à Vancouver, Canada. Cet entretien peut être écouté, en anglais, sur le blog de ce dernier).

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