Espagne: une loi pour museler la population?

PorlalibertadPar Florencia Valdès Andino

Votée en décembre par le parlement espagnol, tenu par le conservateur Parti populaire (PP), une loi polémique entre en vigueur ce 1er juillet. Selon le gouvernement, la «loi organique de sécurité citoyenne» a pour but de garantir l’ordre. Celle-ci vise notamment les manifestations et les réunions publiques. Mais l’opposition, des associations, et même l’ONU dénoncent une atteinte aux libertés les plus fondamentales.

11 avril 2015, 21h30, Madrid. Au cri de «nous ne sommes pas un délit», des centaines d’hologrammes envahissent la place de las Cortes, où se trouve l’Assemblée nationale espagnole. Des images en 3D qui représentent des manifestants. Ce n’est pas un coup de pub mais un message militant adressé aux autorités espagnoles. Selon le collectif Hologramas por la libertad (hologrammes pour la liberté) à l’origine du happening, ce sera désormais la seule façon de manifester sans être inquiété par la police. Et ce dans un avenir très proche.

«Avec #HologramasLibres nous racontons un avenir surréaliste dans lequel il sera indispensable de nous dépouiller de notre chair et dans lequel nous devrons devenir une société fictive », expliquent les organisateurs de la manifestation virtuelle.

«Avec cette distopie ou anti-utopie nous voulons dénoncer la situation réelle, cette fois-ci, à laquelle nous sommes confrontés. La manifestation d’hologrammes montre que les citoyens ne pourront plus exprimer dans la rue des idées allant à l’encontre de celles de la classe politique dominante, nous ne pourrons plus penser librement. Car la pensée libre est liée à la possibilité de se réunir pour parler librement, s’exprimer dans les places, dans les marchés, dans les rues. Nous ne pourrons plus être nous-mêmes», ajoute le collectif.

Ce collectif s’insurge contre la très décriée «loi de sécurité citoyenne», baptisée «ley mordaza», loi bâillon par ses détracteurs. Approuvée en décembre par les députés conservateurs de droite du Parti populaire, majoritaires à l’Assemblée, celle-ci entre en vigueur ce 1er juillet. Le but : renforcer la sécurité sur tout le territoire et garantir l’ordre social, selon le gouvernement qui la défend contre vent et marée.

Le texte comprend 45 infractions allant des moins graves aux plus graves selon le législateur. Ainsi, les manifestations devant le parlement et autres bâtiments officiels, comme las Cortes, sont classées parmi les infractions les plus graves et peuvent écoper d’une amende de 30 000 euros. Même si l’immeuble est vide pendant le rassemblement. Les manifestations spontanées sur les réseaux de transport ou dans des sites nucléaires pourront être punis avec une amende de 600 000 euros.

Pour l’opposition, mais aussi pour de nombreuses associations et même pour l’ONU, qui a fermement condamné cette loi, ce n’est qu’un moyen à peine déguisé de juguler toutes les tentatives de protester contre la politique de rigueur mise en place par le parti au pouvoir. Se réappropriant l’espace public, les manifestants mettent à rude épreuve le pouvoir. De ces mouvements contestataires sont nées des formations politiques comme Podemos, qui forment désormais partie de l’échiquier politique espagnol.

«Avec la crise économique, des mouvements sociaux ont commencé à se consolider, la protestation sociale s’est généralisée. Tout cela a donné naissance au mouvement du 15M. Le mouvement des indignés qui a pris son envol en 2011. Lors des élections municipales du mois de mai nous avons vu les résultats de cette mobilisation. [La droite a perdu plusieurs bastions y compris Madrid NDLR]. Le paysage politique est en train de changer», ajoute Virginia Pérez Alonso, directrice adjointe du quotidien El Mundo et présidente de la Plateforme de Défense de la liberté d’informer.

Elle estime que le gouvernement de Rajoy veut taire la contestation et empêcher que d’autres forces politiques émergent. Pour ce faire, il est indispensable de limiter le droit de manifester. Mais aussi le droit de relayer les informations concernant l’action citoyenne.

«Cette loi porte atteinte aux libertés les plus fondamentales et porte surtout atteinte au droit d’informer et d’être informé car les témoins de brutalité policière ne pourront plus en rendre compte», explique Virginia Alvarez, responsable des enquêtes et de la politique espagnole chez Amnesty international, Espagne. L’experte explique que journalistes ou citoyens qui prendront des photos des représentants des forces de l’ordre pendant une manifestation pourront payer une amende de jusqu’à 30 000 euros.

«Nous avons tous en tête les images enregistrées par des journalistes ou par des citoyens pendant des rassemblements qui mettaient en lumière les agissements de la police. Avec cette nouvelle loi ce ne sera plus possible. C’est le pouvoir de la police qui en ressort renforcé», ajoute Virginia Alvarez qui signale que c’est une sanction applicable seulement si le travail de la police se trouve perturbé à cause de la photo. Ce qui semble difficile à prouver.

L’entrée en vigueur de cette loi va de pair avec une double modification du code pénal qui entre également en vigueur le 1er juillet. Et c’est ce qui inquiète Virginia Pérez Alonso au plus haut point car c’est toute la pratique journaliste et la diffusion d’informations qui sont menacées: «Cette modification ne peut être comprise qu’au regard du ‘pacte anti-terroriste’ qui a été adopté juste après les attaques contre Charlie hebdo à Paris. En clair, ‘la loi de sécurité citoyenne’, la modification du code pénal ainsi que ce pacte visent à punir toute action ‘qui menacerait la stabilité de l’Etat’. Mais c’est tellement flou !» (Publié par la RTBF, le 1er juillet 2015)

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