Genève, séminaire des “forces anticapitalistes”. La crise et l’assaut contre le travail

Mouvement pour le socialisme

Cette brève contribution du MPS au débat initié par le séminaire des «forces anticapitalistes» – qui se tient le 26 septembre à Genève – ne peut souligner que quelques points.

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Du point de vue analytique, les développements conjoncturels à court terme, immédiats, de la crise durable du capitalisme mondialisé doivent prendre en compte la notion d’incertitude de Keynes. Autrement dit, la probabilité n’est pas un rapport entre un énoncé et la réalité. «Les probabilités commencent et se terminent par des probabilités» (Cf. Traité sur les probabilités, de 1921).

Beaucoup des présupposés sur lesquels la «science économique» officielle construit ses «équations d’analyse macroéconomique», déjà en «temps normal», ne sont pas vérifiés, a posteriori, par les processus socio-économiques effectifs. C’est encore plus le cas en période de crise. Un exemple discuté dans la presse économique. La théorie néoclassique – et au-delà – soutient que l’investissement est fonction des taux d’intérêt réels et que, si les seconds baissent, le premier (l’investissement) augmentera. C’est loin d’être toujours le cas. Cela l’est encore moins en période de crise. En fait, l’analyse néoclassique – qui impute au marxisme une approche déterministe, simpliste et mécanique – est, elle, soumise à un postulat: un comportement rigide et homogène des «acteurs économiques».

Rien d’étonnant à cela: le conflit Capital-Travail, qui s’exacerbe en période de crise, est éliminé de l’analyse.

Si le marxisme tend à mettre en relief les «lois de développement du Capital», chez Marx ces «lois abstraites» indiquent des possibilités abstraites. Leurs modalités de concrétisation nécessitent de prendre en considération: une période déterminée, un espace déterminé (marché mondial, continents, tensions entre les éléments constitutifs de ces ensembles), un capital déterminé (les diverses formes que prennent le capital et les fractions du capital). Cela en intégrant les traits que prennent les luttes de classes et – en rapport avec cet élément décisif – l’activité des forces sociales (plus ou moins organisées) et politiques.

Ces considérations ont des implications aux plans économiques, sociaux, politiques. Elles doivent mettre en garde contre des formules «valises» (incluant tout, vaguement, et donc rien). L’histoire ne passe pas deux fois les mêmes plats.

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Sur l’interaction entre la profondeur des crises dites «écologiques», sociales [1], économiques, alimentaires, d’une part, les offensives «militaires» (guerres diverses contre les populations, sous divers prétextes, avec leurs effets dévastateurs) et sécuritaires, d’autre part, ainsi que sur les redéploiements concurrentiels impérialistes, beaucoup de documents et livres ont été écrits au cours des derniers mois. Trois dimensions sont, parfois, négligées.

La première a trait à un aspect propre à toutes les périodes de mouvement plus accentué des «plaques tectoniques» du capitalisme mondialisé. Il surgit toujours plus au grand jour: les tensions dans les rapports entre les «grandes devises», soit le dollar, l’euro, le RMB (yuan), la livre sterling et même le franc suisse. La bataille a déjà commencé. Elle profile un des aspects des contradictions interimpérialistes.

Cela a aussi des implications plus immédiates. Un exemple: la politique de la Chine impérialiste. Elle acquiert des «actifs matériels»: des mines au pétrole en passant par les terres agricoles. Ces acquisitions la mettent en conflit avec des classes et les «élites dominantes» d’autres pays: de la Corée du Sud aux Etats-Unis, en passant par les pays de l’UE, ou le Brésil ainsi que des «Etats du Golfe». Les effets sur les «ressources» des pays dominés et sur la dégradation des conditions alimentaires et sanitaires des populations sont terrifiants. Ils interagissent avec des processus de paupérisation absolue et relative de ces populations. L’impact sur les prix relatifs des matières premières en est une autre dimension; à laquelle s’ajoutent les mouvements spéculatifs déstabilisateurs.

La «bataille des taux de change» comporte, de même, un élément de «mise sous pression» des salarié·e·s au nom «des avantages concurrentiels», soit parce que les dévaluations compétitives ne sont plus possibles (voir l’argument utilisé en Italie), soit parce que «l’appréciation de l’euro a été trop forte» depuis 2002. Ces arguments sont utilisés dans tous les pays. Ils sont relayés par les appareils syndicaux «officiels» ou dits indépendants.

Les analyses de cette crise en termes de «financiarisation» nous semblent unilatérales et erronées. En substance, ces thèses – car il y a des différences entre elles – indiquent que depuis le «triomphe des politiques néolibérales» la production capitaliste serait soumise aux besoins et exigences du «capital financier». Un concept souvent peu précisé. Sous cette dénomination – qui ne renvoie pas, souvent, à la définition de Rudolf Hilferding dans son ouvrage Le Capital Financier (1910) – on retrouve: les actionnaires, les détenteurs de capital argent (finances de marché), des fonds d’investissements, des fonds de pension, des banques, des assurances. Ces «acteurs» imposent leurs critères «d’hyper-rentabilité» à la production, avec une vision «court-termiste». Cette approche se combine avec une conception selon laquelle la crise initiée en 2007 serait l’aboutissement d’une longue période de stagnation. Les chiffres de la production de biens, de l’énergie, du PIB ne confirment pas cette dernière affirmation. Enfin, la dimension spéculative, dans cette analyse, prend le dessus.

Nous ne pouvons pas, ici, faire la critique interne de cette approche unilatérale de la financiarisation du capital. Un séminaire sur ce thème serait nécessaire.

Cette approche de la financiarisation ouvre sur les propositions de la social-démocratie et de certains gouvernements ou institutions internationales ayant trait à la «régulation de la finance», des «bonus», etc. Dans les approches de type financiarisation (à quelques exceptions) n’est pas mise en cause la propriété privée des moyens de production, de distribution, de crédit. Une place centrale n’est pas accordée à l’affrontement entre Capital et Travail, depuis le lieu de travail jusqu’à toutes les dimensions du salaire social, en passant par la logique productiviste propre au capitalisme.

A ce propos, une confusion, selon nous, se glisse dans les analyses; les «forces productives» pour Marx ont un caractère souvent négligé: celui du développement des potentialités et des possibilités humaines, qui peuvent déboucher sur la nécessité et la possibilité d’une émancipation impliquant une autre abondance que celle des «biens marchands».

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Depuis le milieu des années 1970 et surtout début 1980, on a assisté à une montée de la réaction dite «néolibérale»: néoconservatrice socio-politiquement, idéologiquement et néolibérale en termes d’effacement relatif des obstacles à une concurrence mondialisée, de type oligopolistique, entre les firmes transnationales.

1° Cette «montée» visait à soumettre de manière de plus en plus complète, brutale et serrée (par rapport au passé) le travail à toutes les fractions du capital: industriel, commercial, bancaire. Le travail: c’est-à-dire l’ensemble des salarié·e·s, le prolétariat (incluant les paysans paupérisés et les couches sociales dites faussement informelles). Au centre se trouve donc cet affrontement mené par les classes dominantes à l’échelle mondiale. Elle correspond à la division centrale – certes pas exclusive – de la société actuelle, comme jamais dans le passé, entre le Capital et le Travail.

2° Cette période de crise démontre l’accélération des processus de concentration et fusion du capital dans tous les secteurs (de l’acier au ciment, en passant par l’électronique et les banques).

3° La montée du chômage (destruction du capital), la stagnation des salaires ou leur recul (UE, Japon, Etats-Unis), le désendettement des ménages et de certaines entreprises, la contraction des dépenses sociales publiques (liée au désendettement public, donc en partie aux effets de l’aide d’Etat au privé), la relance de l’épargne «préventive» vont freiner la demande des ménages. L’hétérogénéité des formations capitalistes européennes (zone euro) rend une «gestion bourgeoise conjointe conjoncturelle» plus qu’improbable.

La seule gestion commune: les atteintes aux droits des salarié·e·s et à «un partage de la valeur ajoutée» encore plus inégalitaire. Ce qui va conforter la dimension sécuritaire dans cette crise larvée et longue.

4° L’essor des importations nettes des «pays émergents» ne peut être le moteur d’une reprise; les chiffres du commerce mondial l’indiquent.

5° Les actions directes des salarié·e·s doivent être au centre de notre attention, comme le débat sur le capitalisme et le socialisme, passage obligé d’initiatives, de fait, anticapitalistes.

1. Le rapport de Médecins du monde, en date du 24 septembre 2009, intitulé L’accès aux soins: un droit fondamental non respecté en Europe, illustre une des multiples facettes de cette «crise sociale», en montrant la situation des migrant·e·s et des «pauvres» en Europe. Les atteintes contre les divers volets de la sécurité sociale (AI, AVS, IIe pilier en Suisse) en sont une autre dimension. Les privatisations sont aussi une dimension de l’attaque contre le salaire social.

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