Entretien avec Hans Oppliger
conduit par A l’Encontre
Dimanche 9 mars 2014, 40 salariés sur 45 du service de piste de Swissport à l’Aéroport de Genève (AIG) ont engagé un débrayage spontané. Pour en discuter, nous avons rencontré Hans Oppliger, secrétaire syndical du SSP (Syndicat des services publics).
Pourquoi ce mouvement?
Il s’agit d’une réaction face à l’attitude intransigeante de leur direction. Cette dernière ne prend pas en considération leurs demandes face au manque chronique d’effectifs, à l’intensification du travail et à la restructuration en cours. Elle avait commencé par les cadres avant d’être répercutée sur l’ensemble du personnel. En fait, il s’agit aussi d’une situation qui se généralise dans les divers secteurs de l’aéroport. Lorsque les salarié·e·s et/ou les syndicats pointent l’existence de certains problèmes, la réponse est systématiquement: «On ne peut rien faire, les prestations de la concurrence sont moins chères, et on est impuissants face aux clients qui risquent de ne pas payer». Jamais personne est responsable. Il n’existe pas de vrai interlocuteur prêt à modifier des conditions de travail devenues insupportables. S’il n’y a pas de réponse, c’est à l’Etat du canton d’intervenir. Les prestations de Swissport ne tombent pas du ciel. Sur la piste on discute, on constate que tout le monde est dans la même galère. Il faut faire quelque chose! Concrètement nous revendiquons l’alignement des conditions de travail sur les plus élevées et non sur les plus basses. Pour y arriver nous exigeons que le Conseil d’Etat prenne ses responsabilités afin d’arrêter ce cercle vicieux dévastateur pour les salarié·e·s.
Ce débrayage a été fait par un personnel relativement homogène et soudé. Ce sont des travailleurs ayant une expérience syndicale qui ont fait grève. Il n’y a pas que le personnel de piste, il y a aussi le personnel du tri des bagages, qui bien que n’ayant pas participé au débrayage est resté solidaire en se croisant les bras. En 2010, ce secteur a obtenu une augmentation salariale de 100 francs, inscrite dans la convention collective.
Que peux-tu nous dire sur Swissport ?
Swissport est l’entreprise la plus importante sur le site de l’aéroport, elle compte 900 postes à plein-temps. Elle est active dans l’enregistrement, la mise en soute des bagages, s’occupe également du fret. On voit que ce sont des activités relativement vastes. Un nouveau directeur a été mis en place en septembre 2013 à l’AIG. Son prédécesseur a été remercié pour ne pas avoir atteint les objectifs fixés par Swissport, à savoir une augmentation de la rentabilité.
Tu dis que le nouveau directeur a été engagé pour augmenter la rentabilité. Comment cela s’est-il réalisé concrètement ?
Dans ce secteur l’activité a lieu 20 heures sur 24. Dans ce laps de temps, il y a des besoins différents en personnel selon les heures. Donc, comme première mesure, la stratégie a été de réduire le taux d’activité. La deuxième mesure prise a été de mettre un terme aux mécanismes d’ancienneté qui assurent une augmentation du salaire en fonction des années de service. Pour cela on utilise des auxiliaires qui ne sont plus liés à ces mécanismes. Pour résumer, on remplace des CDI (contrat à durée indéterminée) par des CDD (contrat à durée déterminée), on augmente la précarité au niveau de l’emploi et des conditions de travail. Tout cela s’est réalisé en relativement peu de temps.
Lorsque l’on entend parler de concurrence, on peut avoir des doutes car les entreprises se «concertent» et appliquent les mêmes mesures. Par exemple Dnata, une transnationale à capitaux du Golfe, est le deuxième prestataire de handling (toutes les sortes d’assistance pour une compagnie aérienne faisant une escale) à l’AIG, avec 450 personnes. Elle a remplacé les contrats de travail à 100% par des contrats à 72%. Elle a augmenté la proportion d’auxiliaires. C’est donc la même stratégie: attaquer les salaires, démolir les statuts, flexibiliser et précariser. Le champion de cette stratégie est Gate Gourmet, où un temporaire reçoit un SMS lui indiquant l’heure à laquelle il travaillera le lendemain. Les sociétés du handling utilisent régulièrement comme temporaires du personnel âgé de plus de cinquante ans car peu d’entreprises sont prêtes à les engager avec un statut «fixe». Les conditions de travail dans les sociétés de handling sont extrêmement dures pour les manutentionnaires qui après 20-25 ans de travail ont des graves problèmes de santé.
Nous pouvons donc considérer que ce qui se passe à l’aéroport est emblématique de la sous-enchère pratiquée par les entreprises. Dans le secteur du trafic aérien, il peut y avoir un déplacement rapide soit des tâches, soit des salarié·e·s eux-mêmes vers les différents sites européens. Est-ce le cas?
Lorsque Dnata a restructuré et qu’il y a eu un débrayage pour obtenir un plan social, une équipe de Zurich était là. Chez Gate Gourmet, les mêmes dispositions ont été prises au début de la grève.
Il faut préciser que l’aéroport est un concentré de la mondialisation dans le sens que les sociétés qui y sont actives ne sont pas des PME. Swissport est une transnationale qui occupe quelque 55’000 salarié·e·s dans quelque 255 aéroports dans 44 pays. Elle n’hésite pas à affirmer, selon le marketing entrepreneurial, que ses «valeurs» face à son personnel consistent «à ne faire aucun compromis avec la sécurité» et «à travailler avec joie et enthousiasme» !
Il faut être conscient que les décisions ne sont pas prises à Genève. Ce sont des groupes qui négocient avec des groupes. Par exemple chez Easyjet, cinquième transporteur aérien en Europe, le plus rentable pour les actionnaires par ailleurs, le handling se négocie au niveau du groupe. La seule chose que l’on peut discuter au niveau local ce sont les conditions de travail.
En résumé tout est réglementé dans l’aéroport sauf les conditions de travail. (Entretien réalisé le 14 mars 2014)
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