Histoire. «Un peuple et son roi», le film de Pierre Schoeller

Par Robert Duguet

La Révolution française est le moment fondateur de notre histoire moderne qui a été singulièrement maltraitée par les cinéastes: entre le film de Renoir de la Marseillaise soutenu par le PCF et la CGT de la période stalinienne, un Guitry dont le projecteur reste braqué sur la vie à Versailles dans son Si Versailles m’était conté et un Philippe de Broca, nostalgique de la monarchie avec Chouans et une comédie sans envergure des Mariés de l’an II, il a fallu le Danton de Wajda pour rencontrer un peu de grandeur historique.

Un peuple et son roi, ce sont sept années de travail de Pierre Schoeller pour mener à bien ce projet d’une fresque historique sur la Révolution française qui va de la prise de la Bastille à l’exécution du roi Louis XVI, le 21 janvier 1793. Sept années de travail dans les archives, de dialogue avec les historiens, de travail avec les décorateurs, costumiers, comédiens avec un seul souci: filmer un peuple dans une période révolutionnaire qui s’ouvre, dans une vie quotidienne faite des séquences de vie les plus simples, voire triviales.

Le film commence sous le faste devenu désuet de Versailles le jeudi «saint» de l’année 1789: à la façon du Christ lavant les pieds de ses apôtres la veille de sa passion, le monarque lave ceux des enfants pauvres. Il rappelle par là le caractère de la monarchie française de droit divin. La caméra se déplace alors dans les faubourgs bouillonnant de Paris, à l’ombre des tours de la Bastille, dans l’atelier d’un maître verrier. Symbolique de l’Ombre et de la Lumière…

Ceux qui voient dans la Révolution française uniquement ce qu’en expriment ceux et celles qui l’ont représentée dans la Constituante, à la Législative ou à la Convention – l’histoire faite par les grands hommes – n’aimeront pas ce film. Ils lui reprochent d’ores et déjà son caractère brouillon ou étrange: ainsi l’article commis par Olivier Lamm dans le journal Libération développe les méchancetés suivantes:

«Toute l’étrangeté d’“Un peuple et son roi” provient du fait que le film, malgré ses inventions, n’en contient aucune, pas plus qu’il n’abrite le moindre personnage, la moindre interaction qui soit plausible, la moindre incarnation. On comprend bien la volonté de Schoeller de remettre à plat la Révolution, de la repolitiser en quelque sorte en opposant les grands mots et les symboles face à la réalité – de quelles libertés, égalités, fraternités la période 1789-1793 fut-elle effectivement le terreau? Mais comment expliquer alors l’étroitesse à l’écran de son petit théâtre d’idées, brouhaha de commentaires sur l’action politique qui n’aboutit à rien d’autre qu’à du trépignement? De la maladresse de ces images incapables d’aboutir à un quelconque énoncé ou, pire encore, à celui inverse de celui escompté, telle cette éclaboussure de sang du roi décapité finissant dans les mains d’un enfant? Le ratage de Pierre Schoeller est d’autant plus déroutant qu’en échouant à apporter un souffle vivant à son projet, il échoue à faire honneur à sa passion au moins autant qu’à celles de ses héros, qu’il finit par abandonner à leur destin quand ils proclament «la liberté ou la mort.»

C’est le pari fait par le cinéaste: dans une période où ceux qui sont en haut ne peuvent plus gouverner comme avant, et où ceux d’en bas ne peuvent et ne veulent plus continuer à accepter le joug qu’on leur impose, un peuple se met en mouvement, sans savoir exactement où il va. C’est précisément ce caractère brouillon et étrange, qui s’exprime par divers types sociaux campés par le cinéaste, qui porte ces masses d’hommes et de femmes en mouvement vers la conscience: comment un peuple, à travers sa relation avec son Roi, va rompre avec des siècles de monarchie pour finalement se donner une République une et indivisible qui commence par un «régicide». Comment sa représentation va concilier la démocratie à définir avec le principe monarchique, et comment le Roi et sa caste isolée va rompre avec son peuple, rendant l’issue inéluctable. Comment le rapport du peuple des faubourgs, les «sans dents», va se nouer avec la représentation qu’il s’est donnée par le suffrage universel: les travaux de la Législative [septembre 1791-septembre 1792], puis de la Convention [septembre 1792 à octobre 1795] se tiennent sous la pression des sections et des clubs qui forcent la main des élus, lorsque ceux-ci ne veulent pas aller dans le sens voulu par la population: on en rêve d’une situation pareille, avec cette Ve République quasi monarchique qui n’en finit pas de crever!

Dans un dialogue entre Pierre Schoeller et l’historien Patrick Garcia, l’artiste dit ceci :

«Les enfants sont là dans la ville. Ils sont là dans la rue, ils travaillent. C’est un temps où si on ne travaille pas, on ne mange pas. Le peuple de Paris a traversé la Révolution, il est là à la Bastille, au Champ-de-Mars. La Révolution devient quelque chose de très humain et plus un cours d’Histoire. Aussi, il était très important qu’il y ait une sensibilité politique des femmes. Les comédiennes sont magnifiques. Les chants des femmes, c’est la vie, la jeunesse, la spontanéité… Je voulais le mettre au cœur du film.»

Et plus loin :

«C’est un même monde. Ce n’est pas l’un contre l’autre. Robespierre est chahuté au début et 2-3 ans après, on l’écoute dans un silence de cathédrale. La Révolution, ce sont des anonymes qui peuvent avoir un rôle très fort dans l’Histoire.»
«Je ne sais pas. La politique appartient à tous. Il ne faut pas penser que la politique appartient à quelqu’un. Elle fait partie de la vie. Là, dans ce film, j’ai essayé de retrouver un sentiment de satisfaction, de montrer qu’on peut changer le monde, que l’égalité ce n’est pas un vain mot, qu’au contraire c’est un mot fort, tout comme la fraternité qui peut être un mot joyeux.»

L’année 1791, baptisée année des trahisons: la machine s’emballe. Le Roi fuit à Varennes. Le gouvernement, sous l’influence de Lafayette, fait tirer sur les manifestants du Champ-de-Mars [17 juillet 1791]: ceux-là même, y compris dans le peuple, qui ne souhaitaient pas toucher au principe monarchique, sont entraînés plus loin qu’ils ne l’avaient voulu. Les gens du faubourg Saint-Antoine interviennent à l’Assemblée nationale, puis à la Convention. Ils débattent dans les clubs, prennent les armes.
Pierre Schoeller fait revenir sur la scène de la révolution des personnages oubliés par l’histoire officielle, les textes des interventions sont soigneusement choisis. Le rapport entre les sans-grade et la représentation politique est constamment traité. Sans cette pression de la base, la révolution n’aurait pas été aussi loin qu’elle ne l’a été: on voit se dérouler le combat pied à pied que mènent Barnave – partisan éclairé de la monarchie constitutionnelle – et les députés girondins [brissotins du nom de Jacques Pierre Brissot, un des chefs de file de ce qui sera nommé plus tard «les girondins» sous l’effet de l’essai «historique» de Lamartine en 1845], pour limiter la révolution à ses revendications bourgeoises et donc sauver le principe monarchique. Rappelons la formule de Marx, le jacobinisme va alors aider la bourgeoisie à se libérer de ses ennemis féodaux, malgré ses propres réticences. Le 21 janvier 1793 la révolution ira à son terme.

Vous qui êtes saturés par la petitesse des personnages politiques que nous subissons à nos dépens, allez voir ce film, il donne des raisons de continuer à combattre. Une génération d’hommes ce n’est rien à l’échelle de l’histoire, puisque les élites de la nôtre – à gauche j’entends – se sont vautrées dans le mitterrandisme et la trahison. La vieille taupe continue de creuser! (Octobre 2018)

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