Honduras-Mexique-Etats-Unis: «Nous n’émigrons pas, nous fuyons notre pays»

Par Alix Hardy

Santiago a deux ans, une bouille toute ronde et de longs cils, comme sa mère. Il a aussi un sac à dos vert à tête de grenouille, mais ce n’est pas ça qui l’intéresse en ce moment précis. Ce qui captive son attention, ce sont les hélicoptères bleu marine de la police fédérale [mexicaine], qui tournent à basse altitude dans le ciel depuis ce matin. Juché sur les épaules de son papa, il crie d’excitation.

De l’hélicoptère, les policiers ne voient pas Santiago s’agiter et les pointer du doigt. L’enfant n’est qu’un point dans la multitude de personnes qui composent la gigantesque caravane de migrant·e·s cheminant à présent à travers le Mexique pour rejoindre les Etats-Unis [depuis le Honduras]. D’une ampleur sans précédent, elle rassemble 7200 migrants selon les derniers chiffres de la Protection civile mexicaine, quand la dernière en date, qui avait déjà suscité la colère de Donald Trump au mois d’avril, n’en avait compté que 1500.

Comme Santiago, des centaines d’enfants, souvent en bas âge, accompagnent leurs parents partis chercher une vie meilleure dans le nord du continent. La majorité des migrants présents viennent du Honduras, dont ils fuient la pauvreté chronique ainsi que la violence et l’extorsion auxquelles se livrent les gangs. «Au Honduras, il y a les impôts, et puis il y a l’impôt de guerre . Celui que tu dois payer au crime organisé. Si un jour tu ne peux pas payer, le lendemain, tu es un homme mort» , détaille un migrant qui refuse de donner son identité. «Nous n’émigrons pas, nous fuyons notre pays» , insiste Carlos, 21 ans, qui cache des yeux en amande sous une casquette portée très bas.

Au sein de la caravane, nombre de Honduriens pointent également le rôle du président actuel, Juan Orlando Hernández, dans la crise qui secoue le pays. «Depuis qu’il est au pouvoir (2014, NDLR), la situation a vraiment empiré», assure José, le grand-père de Santiago, la soixantaine, qui fait également partie de la caravane.

L’annonce de cette caravane – plusieurs migrants disent en avoir appris l’existence à la télévision ou sur les réseaux sociaux – tombait à pic. «Partir aux Etats-Unis, c’est un rêve pour beaucoup de gens au Honduras. Tout le monde a un membre de la famille qui y est allé.» Lui a des frères et sœurs établis à New York et en Californie, qu’il rejoindra si tout se passe comme prévu.

Pour cela, il faut tenir la distance : «On a réuni toutes nos économies : 300 dollars à six» , indique José. «Cela nous a permis de nous débrouiller jusqu’ici. Mais à partir de maintenant, nous n’avons plus rien » Tous les migrant·e·s saluent la générosité dont ils ont bénéficié au Guatemala, pays de transit vers le Mexique, où ils espèrent être également bien reçus.

Mais tous n’ont pas tenu le coup. Selon les autorités honduriennes, 2000 migrant·e·s sont montés dans les bus affrétés par le Guatemala pour ceux qui voudraient renoncer et rentrer.

Un scénario que Donald Trump voudrait voir généralisé.

Alors que la caravane vient à peine de franchir «illégalement» la frontière sud du Mexique, le président américain se met déjà en ordre de bataille. La caravane est une «urgence nationale» qui justifie d’alerter «l’armée et les garde-frontières» , tweetait-il lundi 22 octobre, ajoutant que «les criminels et des inconnus du Moyen-Orient» se cacheraient parmi les migrants. Une déclaration non-étayée mais qui constitue un réel appel du pied à ses électeurs à deux semaines des élections de mi-mandat.

«Nos enfants meurent de faim. Maintenant.»

Sur la route vers la prochaine étape, le soleil du sud du Mexique tape dur. Certains se couvrent le visage avec une serviette pour ne pas brûler, d’autres portent manches longues et veste pour se protéger malgré la chaleur étouffante. Les habits fraîchement lavés la veille qui séchaient un peu partout sur la place centrale de Ciudad Hidalgo, un des postes-frontières du sud du Mexique, ne sont qu’un lointain souvenir.

Les marcheurs sont partis à 5 heures du matin de Ciudad Hidalgo et ne s’arrêteront que lorsqu’ils auront atteint Tapachula, 40 kilomètres plus au nord. Alors qu’il faisait encore nuit noire, les parents ont replié les couvertures sur lesquels ils avaient dormi à même le sol la nuit précédente, pris la main de leurs enfants, chargé les quelques bagages sur leur dos et sont partis en file indienne.

L’inquiétude est palpable: comment vont réagir les autorités mexicaines à la marche? La situation est complexe: dans une série de contorsions pour apaiser Donald Trump tout en annonçant vouloir respecter les droits des migrants, le Mexique a cadenassé sa frontière sud, mais permis aux migrants de solliciter le statut de réfugié.

Après plus de 24 heures d’attente sur le pont qui fait office de frontière, les migrant·e·s ont reçu l’assurance que l’institut migratoire mexicain pourrait recevoir «300 dossiers par jour quand plus de 7000 migrant·e·s se massent à la frontière. La plupart ont abandonné l’idée de faire valoir leurs droits et ont traversé «illégalement», directement sous le pont, le Rio Suchiate sur des radeaux destinés à la contrebande.

Mais le manque d’information et la peur des autorités rendent les décisions difficiles. La psychose d’un retour forcé vers le Honduras règne parmi les migrants. «Est-il vrai que dans les refuges du côté mexicain, on vous met des tranquillisants dans votre boisson pour ensuite vous déporter?» demande, préoccupé, un jeune homme aux cheveux bouclés.

Sur la route vers Tapachula, par deux fois, la police a érigé d’imposants barrages regroupant des centaines de policiers anti-émeutes, mais s’est retirée avant l’arrivée de la caravane. Un acte de présence qui semble destiné au président américain, qui malgré son irritation de voir la caravane progresser, a remercié à chaque fois le Mexique de ne pas lui avoir ouvert ses portes.

Le futur président mexicain, Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO, gauche), qui accédera à la présidence le 1er décembre 2018, a lui annoncé qu’il souhaitait proposer «des alternatives à la déportation» aux migrants centraméricains. «Dès le 1er décembre, ceux qui veulent bénéficier d’un visa de travail pourront l’obtenir» , a-t-il scandé la semaine dernière à l’arrivée de la caravane à la frontière mexicaine.

À ceux qui se demandent si les migrants de la caravane n’auraient pas mieux fait attendre un changement de gouvernement, Sindy, jeune maman hondurienne de 22 ans, répond simplement : «Nos enfants meurent de faim. Maintenant.» (Correspondante à Tapachula, Chiapas; article publié dans Le Soir, daté du 23 octobre 2018; https://journal.lesoir.be; reproduit avec l’autorisation de l’éditeur)

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