Dossier Rédaction A l’Encontre
Le 7 novembre 2014, Delphine Minoui depuis Gaziantep, en Turquie, écrivait: «En plus des barils d’explosifs lâchés du ciel sur les zones rebelles, l’armée d’Assad tente d’encercler la ville d’Alep pour de bon. L’étau se resserre chaque jour un peu plus sur la grande ville du nord de la Syrie. En plus des barils d’explosifs lâchés du ciel sur les zones rebelles, l’armée d’Assad tente d’encercler la ville pour de bon. Résignée, la population se prépare au pire. Il parle de sa ville comme d’un «mort-vivant», un corps urbain défiguré par les bombes, aujourd’hui au bord de l’asphyxie.
«Alep, c’est ça!» lance Bara. Dans ce café de Gaziantep, la «capitale» turque de l’opposition syrienne, le journaliste alépin a ouvert son ordinateur portable sur la photo de deux bambins à moitié conscients. Enterrés sous les gravats d’une maison, ils lèvent les bras vers le ciel, dans l’espoir que les tenailles des secouristes les extirpent des décombres. Le cliché, d’une triste banalité, a été pris juste après le largage de barils d’explosifs sur un quartier tenu par les rebelles anti-Assad.
Depuis juillet 2012, l’ex-capitale économique de Syrie est coupée en deux. A l’est, l’opposition. A l’ouest, les forces loyalistes. Au milieu, la vieille citadelle autrefois prisée des touristes fait office de ligne de démarcation. En novembre 2013, les avions du régime ont commencé à déverser quotidiennement un venin de clous, de bris de verre et autres objets tranchants contenus dans des cylindres pour reconquérir les secteurs tenus par la rébellion. Selon Halabnews, le site d’information pour lequel travaille Bara, 260 barils ont frappé Alep sur le seul mois de septembre. Les dégâts provoqués par ces bombes non guidées et hautement explosives sont énormes: immeubles pulvérisés, civils grièvement blessés, vies fauchées – dont des femmes et des enfants.
Le régime cherche à punir Alep, après Homs
Les attaques visent également la périphérie de la ville. «Il y a deux semaines, 50 personnes, essentiellement des membres des Moudjahidin [ndlr: une des brigades anti-Assad qui défend Alep], ont perdu la vie lors d’un bombardement aux barils d’explosifs contre Handarat, au nord d’Alep», affirme Bara. Depuis, de violents combats y opposent forces loyales et rebelles. Cette offensive d’envergure s’inscrit dans une nouvelle tactique du régime: chasser, au nord, les combattants anti-Assad de certaines localités stratégiques proches de la route de ravitaillement qui mène vers la Turquie voisine, afin de la couper et d’assiéger intégralement Alep.
«Le régime cherche à punir Alep comme il a puni Homs», estime Mahmoud al-Hamam, un avocat alépin, en référence à la reprise par l’armée de cet ex-bastion de la rébellion. Avant d’ajouter, alarmiste: «Il y a urgence. La vie de plusieurs centaines de milliers d’habitants est en péril!» D’après ce juriste réfugié en Turquie, récemment nommé vice-ministre de la Justice du gouvernement intérimaire syrien en exil, «Assad tire aujourd’hui profit des frappes de la Coalition contre l’Etat islamique pour reconquérir brutalement, et en toute impunité, les secteurs aux mains des révolutionnaires».
En octobre 2014, les troupes du régime de Damas se sont également attaquées aux villages de Moudafah et Sifat, au nord. A l’est et au nord-est, elles contrôlent déjà un croissant comprenant l’aéroport et la prison, distant de 3 km de la ville. Elles visent actuellement à rallier, au nord-ouest, les localités de Nabel et de Zahra, une enclave distante de 8 km. Au milieu, quelque 700 rebelles s’efforcent de maintenir leur emprise sur une guirlande de villes allant de Hreytan à Azaz, près de la frontière. Mais, concède le colonel Eissam Afissi, «il y a un sérieux manque d’hommes et de munitions». D’après ce repenti de l’armée d’Assad, aujourd’hui chargé de la Défense au sein de l’exécutif en exil, la myriade de brigades (armée des Moudjahidin, Front islamique, mouvement Hazam, et mouvement Nourredine Zanki) qui défendent Alep est terriblement sous-équipée face aux avions de chasse, hélicoptères, tanks et artillerie lourde du régime. D’autant plus que ce dernier peut compter, d’après lui, sur un renfort de «mercenaires» envoyés par l’Iran et le Hezbollah libanais – une information invérifiable de source indépendante. Pour Bara, le jeune reporter, la bataille est perdue d’avance. «D’ici deux à trois mois, le régime aura repris le contrôle d’Alep», prédit-il.
Résignée, la population se prépare au pire. «J’ai déjà fait le plein de conserves, de bougies et de vêtements pour l’hiver», confie Zein al-Malazi. Foulard blanc sur pull-over rouge, la jeune femme fait partie des quelque 300’000 civils qui vivent en secteur rebelle: des activistes, comme elle, «mais aussi de nombreuses familles qui n’ont pas les moyens d’aller ailleurs». De passage à Gaziantep, elle raconte son quotidien: «Un plan d’urgence a déjà été mis en place. Dans ma rue, toutes les maisons ont déjà rempli leurs réservoirs d’eau. Dans mon immeuble, nous avons improvisé un abri au sous-sol, en le renforçant de sacs de sable.» Son quartier, proche de la ligne de front, est relativement épargné par le largage aérien de barils d’explosifs, à cause de sa proximité avec le secteur tenu par les troupes d’Assad. Mais les rues se font quotidiennement l’écho des bombardements alentour. «Je n’ai plus peur. J’ai fini par m’habituer à la guerre», souffle Zein. Pour elle, le plus dur, c’est d’être séparée de ses parents, qui vivent de l’autre côté, en zone tenue par le régime. «Le bureau de mon père est à quelques mètres de chez moi. Pourtant, je ne peux pas le voir. Je ne peux même pas l’appeler», dit-elle. Aujourd’hui, Alep, c’est ça aussi: des familles déchirées dans une cité en danger de mort. (Le Temps, 7 novembre 2014)
D’Idib à Alep
Dans le quotidien Le Monde, en date du 6 novembre, Benjamin Barthe, écrit depuis la Turquie: «Au début de l’année, il était considéré comme le nouveau chevalier blanc de l’insurrection syrienne. En quelques jours, au mois de janvier, Jamal Maarouf et ses hommes avaient bouté les djihadistes de l’Etat islamique (EI) hors de la province d’Idlib, dans le nord du pays. Armé par les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, le chef du Front des révolutionnaires syriens (FRS) incarnait l’espoir d’un retour en force des rebelles modérés. Ses troupes devaient même figurer parmi les bénéficiaires du plan, annoncé en septembre par Barack Obama, visant à entraîner plusieurs milliers d’insurgés syriens, dans le cadre de la lutte contre l’EI.
Le projet devra être revu. Car en fin de semaine dernière, le FRS s’est effondré sous les coups de boutoir du Front Al-Nosra. Auréolé de son rôle de premier plan dans la lutte contre le régime et ses alliés, notamment le Hezbollah chiite libanais, la branche syrienne d’Al-Qaida s’est emparée de la plupart des bases du FRS dans le djebel Al-Zawiya, une région montagneuse au sud d’Idlib. Les assaillants ont notamment mis la main sur le QG souterrain de Jamal Maarouf, creusé dans la roche du village de Deir Sounboul pour résister aux bombardements de l’aviation syrienne.
Selon le réseau d’information Cham, l’ex-maître des lieux se serait réfugié en Turquie, à l’instar d’un grand nombre de ses combattants, d’autres préférant passer sous les ordres d’Al-Nosra. La débandade est emblématique de la dislocation de la rébellion dans le nord de la Syrie, sous les assauts des djihadistes et des forces loyales à Bachar Al-Assad, qui progressent à Alep. « Al-Nosra veut créer son émirat, il veut s’emparer d’un territoire, à la manière de l’Etat islamique », témoigne Abou Ali, un combattant du FRS installé à Reyhanli, une ville turque adossée à la frontière syrienne.
Accusations de corruption
Ancien ouvrier dans la construction, Jamal Maarouf fut l’un des premiers à prendre les armes dans le gouvernorat d’Idlib. A la tête de la Brigade des martyrs de Syrie, un groupe fondé en décembre 2011, il a contribué à chasser les forces gouvernementales de cette région. Quoiqu’emprunt du conservatisme de rigueur dans les campagnes syriennes, l’homme n’est ni salafiste ni Frère musulman, contrairement à beaucoup de ses pairs dans la rébellion. Son aura de guerrier a été peu à peu ternie, cependant, par des accusations de corruption. On lui reproche de détourner à son profit les fonds que lui envoient ses bailleurs saoudiens. Ses rivaux le surnomment Jamal Makhlouf, en référence à Rami Makhlouf, le cousin de Bachar Al-Assad, prédateur numéro un de l’économie syrienne.
Les premiers accrochages avec le Front Al-Nosra remontent au début de l’année 2014, peu après la création du Front des révolutionnaires syriens (FRS), qui amalgame une quinzaine de brigades. Les deux groupes se disputent le contrôle de la contrebande de pétrole avec la Turquie voisine. Quand il apparaît au début de l’été que le FRS est l’un des récipiendaires des missiles antichars envoyés par Washington aux rebelles, la rivalité prend un tour idéologique. Les djihadistes se mettent à voir dans la formation de Maarouf un embryon de Sahwa, ces milices sunnites que les Etats-Unis avaient mobilisées en Irak pour défaire Al-Qaida.
La crainte des djihadistes d’être attaqués par les rebelles s’accroît en septembre, lorsque l’aviation américaine, partie en guerre contre l’Etat islamique, frappe l’une de leurs positions. Les Etats-Unis s’y sont pris à l’envers, confie un diplomate européen. Ce bombardement a accru le prestige d’Al-Nosra dans les zones libérées. Dans un contexte d’exacerbation du sentiment anti-chiite, le mouvement profite aussi de son engagement contre le Hezbollah. Il est davantage en phase avec la rue que Maarouf, qui s’est discrédité par ses abus.»
Alep sur le point d’être encerclée par l’armée
Al-Nosra a utilisé cette popularité pour se tailler un nouveau fief. Après avoir été expulsé pendant l’été de la province de Deir ez-Zor par l’EI, le groupe avait besoin de retrouver un ancrage territorial. Signe que son offensive dans le djebel Al-Zawiya ne se limite pas à un règlement de comptes avec le FRS, ses forces ont aussi investi le QG de Harakat Hazm, un autre groupe armé soutenu par Washington.
La franchise syrienne d’Al-Qaida stationne désormais à quelques kilomètres de Bab Al-Hawa, un poste frontière vital pour l’opposition, au niveau de Reyhanli. « Al-Nosra se comporte de plus en plus comme l’Etat islamique», s’alarme Mohammed Aboud, un commandant de l’Armée syrienne libre (ASL), la branche modérée de la rébellion. «Ses hommes vont nous écraser les uns après les autres si nous ne bougeons pas. Nous n’avons pas le choix. Il faut passer à l’attaque. »
La question est loin de faire l’unanimité parmi les rebelles. La plupart des groupes armés du nord de la Syrie jouent la carte de la neutralité. Soit parce qu’ils redoutent le Front Al-Nosra, soit parce qu’ils répugnent à secourir Maarouf, soit encore parce qu’ils donnent la priorité à Alep, que l’armée régulière est en passe d’encercler. «Nous n’avons aucune sympathie pour Al-Qaida. Nous pensons même que nous figurons sur sa liste noire. Mais nous pensons qu’il n’est pas judicieux d’ouvrir un troisième front, après celui contre le régime et celui contre Daech [acronyme arabe de l’Etat islamique]», insiste Farès Bayoush, le chef militaire du Régiment 5, un nouveau groupe qui a les faveurs, lui aussi, des Etats-Unis.
Dans la cafétéria de Reyhanli, Abou Ali bombe le torse. En bon soldat du FRS, il jure de partir à la reconquête du djebel Al-Zawiya. Mais son serment sonne faux. Pour lui comme pour ses compagnons, alanguis sur une banquette, le regard rivé sur un jeu télévisé, la guerre semble terminée. Et surtout perdue.» (Benjamin Barthes)
Réalité ou fiction?
Selon diverses agences de presse, rapportées par le site de Al Jazeera, le jeudi 6 novembre 2014, les hélicoptères du régime Assad ont déversé des barils d’explosifs sur la ville d’Alep, faisant au moins 12 morts. Toutes les informations concordent dans un sens: le régime criminel d’Assad a accru ce type de bombardements visant les civils depuis que les médias concentrent l’attention sur le combat contre les forces de l’Etat islamique.
A la lecture de ces articles de journalistes réputés pour le travail d’information et les communiqués de l’AFP, on ne peut que douter, pour utiliser un euphémisme, des analyses (dites politisées) d’un analyste et militant syrien – Ghayath Naisse – qui affirme à propos de la situation à Alep, le 22 octobre 2014, dans l’hebdomadaire L’Anticapitaliste (du NPA): «Ainsi, le siège total d’Alep est presque achevé. Assad a réalisé des avancées importantes dans la campagne de Damas (Al Ghouta) et bombarde de façon meurtrière le quartier d’Al Wa’ar à Homs depuis deux semaines, y compris avec des missiles sol-sol, cela dans le silence complet des médias…» Après ce constat, on apprend que la révolution «démocratique et non confessionnelle» avance en Syrie: «Dans ces conditions terribles, les masses syriennes poursuivent la lutte pour leur émancipation. La manifestation de ce vendredi 17 octobre, en particulier à Alep, a arboré le slogan: «Notre révolution est une révolution populaire». A la base, les coordinations révolutionnaires avancent dans leurs discussions autour d’un programme démocratique et non confessionnel, vers une unification et une centralisation de leurs activités dans toute la Syrie. Une nouvelle recomposition des forces politiques et sociales est en cours dans le processus révolutionnaire. L’unité des luttes des forces démocratiques et progressistes est vitale pour la victoire de la révolution populaire.» (L’Anticapitaliste, 23 octobre 2014)
De quoi prendre appui soit sur la foi révolutionnaire du (ou des) charbonnier, soit de faire valoir un point de vue fantasmagorique sur la situation de la majorité du peuple syrien – soumis aux pires horreurs de l’exil, des massacres, de la famine par le régime Assad et la barbarie des forces du type Etat islamique – depuis un abri en France, soit de traduire quelques lignes d’un texte pour en faire, de manière constructiviste, la réalité. Un option politique (admettons par bienveillance que cela relève encore du politique) qui ne peut que porter préjudice à une solidarité concrète et réaliste au peuple insurgé syrien.
La contribution d’Assad à la «guerre contre le terrorisme»:
bombarder les populations civiles…
Ignace Leverrier– sur son blog Un œil sur la Syrie. Etudes sur la Syrie et revue commentée de l’actualité syrienne – est autrement plus informé. Il sonne l’alarme. Ainsi, il écrit, le 31 octobre 2014, dans un article ayant pour titre «Washington, spectateur « horrifié » mais immobile, des massacres du régime syrien»: «La porte-parole du Département d’Etat américain a déclaré, mercredi 29 octobre, que les «Etats-Unis étaient horrifiés par les informations selon lesquelles le régime du président Bachar al-Sassad a lancé des barils d’explosifs sur un camp de déplacés à Idlib et par les images montrant un carnage de civils innocents.» Selon un communiqué du Conseil national syrien cette opération aurait fait près de 60 mors et de 190 blessés, parmi lesquels, naturellement, une majorité de femmes, d’enfants et de personnes âgés.
Depuis plus de trois ans, les responsables américains n’ont cessé de faire part de leur «horreur» pour les massacres de populations délibérément commis en Syrie par les forces de sécurité et les troupes militaires et para-militaires du régime. Dès le 31 juillet 2011, le chef de l’exécutif américain déclarait être «horrifié par l’usage qu’a fait le gouvernement syrien de la violence et de la brutalité contre son propre peuple. Les informations provenance de Hama sont épouvantables et montrent le vrai caractère du régime syrien».
Pour autant, lorsqu’ils ont eu l’opportunité de sanctionner ces actes «horribles», ils se sont toujours abstenus de le faire.
Hier, suite au bombardement de la Ghouta de Damas du 21 août 2013, ils ont considéré, de mèche avec les Russes, que «leurs lignes rouges» n’étaient finalement que des bandes jaunes discontinues autorisant tous les dépassements, et que le criminel pouvait être absous à conditions de livrer l’intégralité de ses armes chimiques.
Que Bachar al-Assad se soit ensuite abstenu de tenir ses engagements, puisqu’il a récemment été constaté que ses déclarations étaient incomplètes…donc fausses et trompeuses, ne semble, ne semble les avoir émus que dans la mesure où cet arsenal pouvait tomber entre les mains de groupes terroristes. Etrange logique quand le seul utilisateur avéré de ces armes est le régime syrien, que les Russes auraient défendu avec plus de fermeté s’ils n’avaient pas su avec précision de quoi il retournait!
Aujourd’hui, alors qu’ils ont pris la tête d’une campagne – que d’autres qualifient de croisade… en raison de la discrimination qu’elle opère entre deux parties inégalement criminelles aux yeux des Syriens – contre l’Etat islamique, coupable d’avoir exécuté quatre otages américains et britannique dans des conditions il est vrai particulièrement provocantes, ils continuent de faire part de leur «horreur».
Ils oublient que s’abstenir de porter secours à des personnes, et à plus forte raison à des populations entières en danger, quand on a les moyens de le faire, est assimilable à de la complicité d’assassinat. Et que, laisser les avions et hélicoptères de l’armée syrienne effectuer des raids meurtriers à moins de 200 km de leurs propres appareils revient à les encourager implicitement à poursuivre leurs crimes «horribles».
C’est du moins ainsi que Bachar al-Assad interprète leur inaction. Elle lui permet de présenter ses opérations contre les populations civiles comme sa «contribution» à la guerre contre le terrorisme et de se prétendre «partenaire» de la coalition internationale engagée dans son pays. En limitant leurs réactions à des déclarations «horrifiées», les Américains et leurs alliés tolèrent ce partenariat et se rendent donc complices de ces crimes. (Ignace Leverreier, 31 octobre)
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