Brésil. Nous allons recevoir le «Rio 2016»

Maquette du village olympique à Rio pour 2016
Maquette du village olympique à Rio pour 2016

Par Gabriel Brito

Le combat de coqs électoral a pris fin [suite à l’élection de Dilma Rousseff] et alors que quelques gamins se livrent à des pleurnicheries de cinquième catégorie (qui sait si on ne va pas même en faire un film de série B ou un feuilleton pour détendre le «géant»), les vainqueurs, les vaincus et les champions de la santé et de l’esthétique en général expriment déjà leurs projets à venir de pouvoir.

Dans cet article, je ne vais prétendre analyser tout le processus électoral et exposer ce qui était en jeu pour chacune des parties [emblématiquement Aécio Neves et Dilma Rousseff], et encore moins me lancer à faire la liste des évidences sur le comment la polarisation vécue à fleur de peau par une grande partie de la population se trouve à des années-lumière de la réalité de ce que sera le prochain gouvernement. D’ailleurs quel qu’ait été le vainqueur sorti des urnes.

L’unique affirmation que nous lançons, sans hésiter, est que tous les grands événements de la vie nationale ont été olympiquement dissimulés. Les clameurs moralistes et accusatrices ont une fois de plus tenu lieu de «programme politique» des candidats et de leurs supporters.

Nous avons été effarés par le nombre de gens qui cherchaient à multiplier les déclarations du genre: qui a le plus volé, qui a détourné le plus d’argent au cours des dernières années? Pour changer, les médias à sensation ont apporté leur contribution à toute l’indigence du débat, eux qui constituent finalement un parti et militent fermement pour leurs intérêts, qu’ils soient idéologiques, politiques, économiques ou culturels. Le simulacre leur profite.

Energie, eau, environnement, sécheresses, changements climatiques, gestion géopolitique d’immenses bassins pétroliers, industrie, infrastructure et logistique nationales, audit sur la dette publique, droits des indigènes, des femmes, des Noirs, LGBT; santé et éducation publiques, logement, transport, mobilité urbaine, réformes urbaine et agraire, promotion la culture, légalisation des drogues, démocratisation des médias, démilitarisation des polices ou quoi que ce soit d’autre encore, tout cela, une fois de plus, reste dans l’imaginaire des «ignorants qui ne comprennent rien à la realpolitik».

Pour comprendre les maîtres de la «maturité démocratique», nous devrons probablement «étudier et nous informer correctement» sur la manière dont des milliers de fanatiques virtuels – sur les réseaux sociaux –, dont nous ignorions l’intérêt pour la politique jusqu’à avant-hier, ont réclamé ces informations.

De toute manière, il est clair que le sujet qui nous occupe ici ne sera traité à aucun moment. Le prochain mandat présidentiel aura le plaisir (?) de promouvoir la première Olympiade sur sol brésilien et sud-américain, à Rio en 2016. Mais il semble que personne ne se soit soucié de griffonner la moindre politique nationale des sports pour la prochaine période.

Nous n’allons pas perdre de temps à spéculer sur les raisons de cela. Absolument personne, ni même les candidats dits alternatifs, ne prend au sérieux la question du sport en tant que question directement liée à celle d’une nation en meilleure santé, bien que la décennie du «sport» ait été proclamée par Lula lors de «l’achat» du Mondial de foot de 2014 et des JO de 2016.

La raison de ce désintérêt est évidente: comme pour la Coupe du monde, il ne s’agit que d’un coup publicitaire visant à faire d’excellentes affaires en partenariat avec les amis qui asphaltent les victoires politiques des nobles mandataires. Une rétribution pour des faveurs passées, sous l’imbattable prétexte d’accueillir l’un des plus grands événements de la globalisation et d’affirmer ainsi le Brésil aux yeux du monde.

Mais voilà: comme le football brésilien n’a pas avancé d’un millimètre lors de la Coupe, les disciplines dites olympiques (c’est-à-dire tous les sports qui ne sont pas le foot) ne risquent pas de faire mieux. Il n’existe pas la moindre intention d’investir massivement dans le sport de base, pour la majorité de la population, celui qui forme des personnes ayant une activité sportive et conjointement des citoyens et citoyennes, dans un pays où moins de 20% des écoles publiques disposent d’espaces polysport et où un jeune des milieux populaires doit acheter des baskets ou des souliers de foot en payant à crédit en 12 ou 24 fois.

Si l’organisation de la Coupe a été la fête de Ricardo Teixeira [1] et de ses comparses, la situation est à peine différente pour les Jeux olympiques. Le monarque du Comité olympique brésilien (COB), Carlos Arthur Nuzman [2], a fortifié son pouvoir et a nagé de biais.

Il est vrai que l’expérience du Mondial de football a rendu tout le monde plus intelligent, de manière que aussi bien le Comité olympique international (CIO) que le gouvernement fédéral lui ont retiré un peu de son rôle principal dans l’organisation et ont desserré les lignes de défense de la structure brésilienne. Probablement que la course contre les retards sera moins importante que lors du Mondial, surtout en raison du fait que les Jeux olympiques supposent une série de travaux et de constructions concentrés dans une seule ville, Rio.

De toute manière, comme l’a bien dit le député Arminio Fraga [dirigeant de la Banque centrale de 1999 à 2002 et candidat au Ministère des finances en cas de victoire d’Aécio Neves] – appuyé par une série d’urbanistes et d’experts critiques quant à nos modèles de ville – il s’agit d’un projet visant à «vendre une cité-business» ouverte à toute forme d’investissements externes, en partenariat avec les gouvernements (PPP-Participation privé-public). Et cela dans un sens clairement socialement ségrégationniste et «excluant», puisque, dans toutes les régions où il passe, ce projet augmente le coût de la vie et pas nécessairement sa qualité.

Comme personne, et encore moins ceux qui comptaient sur les chances réelles de victoire de l’un ou l’autre des candidats, n’a d’objection contre de tels projets «sportifs», le thème n’a jamais été présent dans les débats électoraux. Et nous ne savons même pas ce qu’il adviendra du Stade olympique Engenhão [le stade olympique de Rio en travaux], fermé depuis 2013 pour défaillances structurelles dans la toiture.

Pour essayer de vendre son poisson, le COB évoque la vague possibilité de doubler le nombre de médailles obtenues par le Brésil. Ce qui est naturel, si l’on tient compte de l’investissement qui n’a rien d’exceptionnel des pays-hôtes [qui sont récompensés dans des sports «secondaires» parfois ajoutés lors du contrat d’acquisition des Jeux].

Ce que cet objectif ne dit pas, c’est que le fait d’obtenir plus de médailles peut ne rien vouloir dire. Si ce n’est qu’on a investi plus fortement sur certains athlètes de haut niveau, ces sacrifiés «consentants» dont nous ne savons pas bien comment ils sont devenus de grands professionnels de disciplines marginales priorisées aujourd’hui par les confédérations qui en font une cible facile à atteindre.

Redisons-le: cela ne veut rien dire. La preuve en est donnée par la recherche de la Faculté d’éducation physique de l’Université fédérale de Minas Gerais en partenariat avec la Faculté de santé de l’Université de São Paulo qui établit que les Brésiliens pratiquent toujours moins de sports, même le football, et qu’ils se contentent de suer dans les clubs sportifs et autres centres de fitness qui prolifèrent. C’est une évidence pour quiconque observe qu’il existe toujours moins d’espaces publics dans les grandes villes. Et c’est déprimant, selon le point de vue d’où l’on se place bien sûr.

D’ailleurs, autant les candidats que les parlementaires élus ont peu à offrir. Même ceux qui viennent du monde du sport se sont rarement attelés à élaborer des politiques publiques sur ce thème. Sauf sur la question des dépenses de la Coupe où Romário [Romário de Souza Faria, homme politique du Partis socialiste brésilien et ancien footballeur qui a remporté la Coupe du monde en 1984, est né en 1966 dans une favela], maintenant sénateur, a été actif, les ex-athlètes se penchent rarement sur le sujet, bien que cela fasse partie de leurs promesses.

Il faut bien dire que dans la majorité des cas, il serait mieux qu’ils n’entrent pas en politique. La légende liée à leur nom est généralement utilisée à des fins de prestige et comme ils manquent d’une formation politique un tant soit peu éclairée, ils se perdent dans les méandres des deux chambres du législatif (Sénat et chambre des députés).

Certains sont encore pires, parce qu’ils entrent au Parlement comme s’ils étaient à un churrasco [restaurant ou grand espace où l’on consomme des viandes grillées]. Sur la RBS [Rede Brasil Sul est un groupe de médias], l’interview de Mário Jardel [footballeur qui a connu les sommets et l’enfer] sur sa candidature a été pitoyable. Et pire encore son élection. Même Dinho [le joueur de foot Ronaldinho], son compagnon de gloires du même club, a manifesté son indignation.

Et avec la réélection de personnes comme Vicente Cândido [avocat, homme d’affaires, membre du parlement, affilié au Parti des travailleurs depuis 1980, il a été l’un des auteurs de la loi autoritaires sur la Coupe du monde en 2012] ou l’ascension d’André Sanchez, l’ex-président du Corinthians qui est devenu député, celle que l’on nomme la «députation du ballon» ne signale aucun progrès…

Alors que nous nous trouvons dans la jungle sans pisteur sur les thèmes les plus importants et les plus urgents pour notre pays, même sur la question du sport c’est le désert. Dilma n’a pas encore annoncé de ministre en charge de ce portefeuille, mais tout porte à croire qu’il continuera à être aux mains du Parti communiste du Brésil [comme Mme Marie-George Buffet en France]. A voir ce qui a été fait dans les gestions antérieures, rien de rénovateur. Tout pour le sport de haut rendement, rien pour celui de base. Et des confédérations qui reçoivent des montants croissants sans avoir à rendre de comptes et de contreparties. Sans parler des nombreux cadeaux échangés au sein de la chefferie.

Il est clair que sur le long terme, le fait d’accueillir les Jeux olympiques ne signifiera rien pour le sport brésilien. Et qu’à nouveau cela nous laissera traumatisés par le type d’investissements, de déplacements de population, de spéculations, etc. Par contre, ce ne sera pas une nouvelle occasion manquée par les faucons des affaires. (Article publié dans Central3, le 4 novembre 2014; traduction A l’Encontre)

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[1] Président de la Fédération brésilienne de football, fils de banquier, époux de la fille de Joao Havelange, dirigeant de la FIFA de 1974 à 1998, membre du CIO de 1963 à 2011, lié aux dictateurs brésiliens; Havelange a laissé sa place à Joseph Blatter en 1998. (Réd. A l’Encontre)

[2] Carlos Arthur Nuzman, ancien joueur de volleyball, il est responsable de l’organisation des Jeux olympiques d’été à Rio, sa ville natale. Depuis 2003, il est à la tête de l’Organisation sportive sud-américaine qui gère les Jeux sud-américains. La première réunion de cette structure s’est tenue en mars 1976 à La Paz en présence de tous les régimes dictatoriaux en allant de l’Argentine au Chili et en passant par la Bolivie et le Paraguay. (Réd. A l’Encontre)

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