Mercredi 24 mars: un jour noir dans l’histoire de la ville d’Alep, au nord de la Syrie. Le minaret de la grande mosquée des Omeyades, l’une des plus anciennes et des plus grandes mosquées antiques de Syrie, a été détruit lors d’un combat entre rebelles et armée syrienne.
Ce n’est pas la première fois que cette mosquée est visée. Depuis plusieurs mois, la grande mosquée d’Alep est le terrain d’affrontements entre l’armée syrienne et les troupes rebelles opposées à Bachar el-Assad. En octobre 2012, elle a déjà été sévèrement endommagée par un incendie au cours des combats qui ont eu lieu dans l’ancienne ville.
Des objets anciens, des livres ainsi que des reliques supposées appartenir au prophète Mohamet, tels que trois cheveux et un fragment de dent, y avaient également été dérobés. Criblé de balles, endommagé par les assauts des deux camps, ce trésor, daté du VIIIe siècle et classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, a fini par rendre l’âme: son minaret millénaire s’est écroulé.
Les rebelles et le régime se sont rejeté la responsabilité de ce crime. La Coalition de l’opposition a affirmé que le minaret avait été détruit par le feu des chars de l’armée syrienne et a accusé le régime dans un communiqué de «crime contre la civilisation».
Selon les rebelles, lorsque l’armée a pris le contrôle de la mosquée, elle a miné toute son enceinte. Quand les rebelles l’ont reprise, ils ont déminé la majorité de la zone, à l’exception du minaret, à cause d’un sniper. L’obus d’un char qui aurait touché le minaret a dû déclencher l’explosion d’une mine.
De son côté, la télévision d’Etat en Syrie a accusé les combattants du front Al-Nosra, un groupe lié à Al-Qaida, d’avoir «fait sauter le minaret de la mosquée d’Alep» et de l’avoir filmé «pour ensuite faire endosser (la responsabilité) à l’armée syrienne».
«Peu importe qui est responsable de ce nouveau crime contre l’humanité, le résultat reste même. L’humanité, et non pas seulement la Syrie, a perdu un joyau islamique très important», déplore Mohamed Al-Kahlawi, secrétaire général de l’Union des archéologues arabes.
Une réaction sans action
Une fois de plus depuis plusieurs mois, Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, a appelé à la protection du patrimoine syrien et a affirmé que l’Unesco est prêt à «apporter son concours dans les domaines de sa compétence». La directrice générale avait alors rappelé à toutes les parties les obligations du pays, au titre de la Convention de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, dont la Syrie est un Etat signataire.
Un autre appel à sauver l’héritage inestimable de la Syrie a été lancé par l’organisme Euromed Heritage, financé par l’Union européenne. Il a appelé la communauté internationale et les autorités du monde entier «à prendre position sur la menace majeure qui frappe aujourd’hui l’héritage historique et culturel syrien».
Dans un communiquée de presse, Euromed Heritage note «différents types de dégradations manifestes et systématiques commises par l’armée régulière syrienne à l’encontre des lieux de culte, (qui) constituaient des foyers de contestation aux premiers temps de la révolution».
Ainsi, outre les souks, la mosquée et la vieille ville d’Alep, beaucoup d’autres joyaux historiques ont été endommagés, notamment les mosquées proto-islamiques de Bosra et Inkhil, ou le monastère Notre-Dame de Saidnaya, datant du VIe siècle.
Dans la mosquée de Deraa, l’armée aurait pratiqué des excavations «pour fabriquer des caches d’armes et discréditer les opposants qui s’étaient réfugiés dans le bâtiment», rapporte Euromed Heritage.
«Tous ces appels ne s’accompagnent d’aucune action réelle pour empêcher les destructions auxquelles s’ajoutent les pillages systématiques du patrimoine syrien qui se poursuivent. Une situation qui rappelle le patrimoine irakien ravagé lors de l’invasion des forces américaines en 2003. Un crime dont souffre le patrimoine de la Mésopotamie jusqu’à présent», dénonce Al-Kahlawi
Fouilles clandestines
Les trésors architecturaux ne sont pas les seuls menacés. Car le pays est frappé par un autre fléau: le pillage et les fouilles sauvages qui se sont multipliés en parallèle des violences qui ont débuté le 15 mars 2011.
«La Syrie est l’un des pays qui compte le plus de sites archéologiques (environ 6000) et de richesses culturelles. De multiples civilisations ont traversé son histoire et laissé des traces tangibles de leurs passages. Parmi elles, les Babyloniens, les Assyriens, les Hittites, les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Byzantins, les Sassanides, les Perses, les Omeyades et les Ottomans. Les pillages des trésors antiques de la Syrie sont encore plus dangereux que la destruction des sites historiques qui sont connus», explique Al-Kahlawi.
Outre Damas, qui compte parmi les villes les plus anciennes au monde, 5 sites sont inscrits au patrimoine de l’humanité. Tous ont été victimes de tirs ou de bombardements, à l’image de la cité antique de Palmyre ou du Krak des Chevaliers, forteresse datant de l’époque des Croisades, qu’armées régulières et rebelles se disputent.
Selon les responsables archéologiques syriens, des milliers de manuscrits et d’antiquités sont dérobés chaque jour et acheminés sur le marché noir par des groupes criminels organisés. «Nous avons reçu une vidéo qui montre des gens arrachant des mosaïques au marteau-piqueur à Apamée», se lamentait, en avril 2012, Hiba Al-Sakhel, directrice des musées en Syrie.
D’après les rebelles, ces fouilles clandestines, encouragées par les autorités en échange d’informations sur la rébellion, ont été menées un peu partout, notamment dans la ville antique d’Apamée. Le centre archéologique d’Ebla (ville dont les premiers vestiges remontent au IIIe millénaire av. J.-C.) a été pillé, tandis que les forces armées ont vidé de leurs objets un certain nombre de musées du pays, notamment le Musée national d’Alep.
Les citadelles de Homs et celle du Krak des Chevaliers ont été bombardées, des «tells» (collines ou monticules archéologiques) ont été transformées en cantonnements militaires. Les chars de l’armée ont été positionnés dans les ruines antiques de la cité de Palmyre.
«Entre destruction et pillage, il est peu de dire que le conflit syrien met sérieusement en danger le patrimoine du pays qui s’émiette au fil des combats», conclut Al-Kahlawi.
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Article publié dans Al-Ahram, 1er mai 2013
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