La «trêve de l’Aïd» et la gestion de la «crise» syrienne

Caricature d’Ali Farzat: «La Trêve» (25.10.2012)

Par Salameh Kayleh

Après que l’objectif de la mission de la Ligue arabe, puis celui de la mission de Kofi Annan furent le cessez-le-feu afin d’entamer le dialogue qui permettrait la mise en place d’une période de transition, la mission de Lakhdar Brahimi s’est fixé, elle, comme objectif la réalisation d’une «trêve de l’Aïd el-Adha». Cette scène résume sans doute les choses en ce qui concerne la Syrie, mais du point de vue «international», c’est-à-dire du point de vue des Etats capitalistes qui «s’ingèrent» dans la «crise syrienne».

Ce résumé éclaire sans doute l’évolution du rôle international. Et sans doute récapitule-t-il les prises de position de tous les Etats impérialistes et régionaux. Que ce soit la position russo-chinoise qui oppose son veto au Conseil de sécurité, tout en soutenant avec acharnement le pouvoir syrien. Et en particulier la Russie qui croit défendre ses intérêts et qui s’imagine que la pérennité du pouvoir en place lui assurera des contrats économiques juteux ainsi que la domination de la Syrie. Ou bien la position de l’Iran qui a révélé son discours intransigeant dans la défense du pouvoir mais aussi son soutien matériel militaire, selon des déclarations répétées de hauts responsables iraniens. L’Iran œuvre à la survie de son «alliance de la résistance» qui apparaît comme se déployant de Téhéran à Beyrouth [Hezbollah] en passant par Bagdad et Damas. Nous réalisons ainsi son attachement indéfectible au pouvoir syrien en dépit des crimes sanguinaires que celui-ci commet, et dont les conséquences atteindront ces fameux «alliés».

Peut-être les Russes voient-ils cette bataille comme une lutte «à la vie à la mort», mais c’est en réalité une bataille pour la «mort» parce qu’elle est sans doute la bataille qui mettra fin à la présence russe en Syrie, bien que Barack Obama ait déclaré en début d’année «que la Russie doit parrainer la transition en Syrie» et qu’il ait reconnu que la Syrie appartient à la Russie dans la répartition mondiale des influences qui est en cours.

Bien que la situation mondiale lui fournisse une opportunité de rêve pour renforcer sa présence internationale et pour se maintenir dans une région qui, au temps de l’Union soviétique, était son arrière-cour, nous constatons que la Russie a été la plus stupide des puissances impérialistes du fait qu’elle n’a même pas envisagé d’«absorber la crise» à travers un changement qui lui aurait garanti son rôle et l’aurait même renforcé après que le groupe mafieux au pouvoir en Syrie se serait tourné vers «l’Occident», cherchant, de la sorte, des moyens d’établir de nouvelles relations avec lui.

Mais ce qui met les Russes dans cette position stupide est peut-être la nature des positions internationales, particulièrement des pays occidentaux. Plus précisément, ici, les Etats-Unis qui sont apparus comme regardant d’un œil lointain ce qui se passe en Syrie et dont la position est restée ambiguë et fluide, sans qu’aucune tension palpable ou décision claire se dessinent comme ce fut le cas dans ses positions concernant la Tunisie et l’Egypte. Les Etats-Unis ont insisté et répété leur refus d’intervenir militairement et même de participer à l’armement de l’Armée Libre et n’ont même pas eu le courage d’entrer directement dans la «crise syrienne». Ils se «retirent» ainsi du Proche-Orient pour protéger l’Amérique du «danger chinois». Leurs priorités se sont déplacées vers la région Pacifique et leur économie toujours en déclin a déstabilisé leur force militaire désormais impuissante à s’imposer au monde comme ils ont tenté de le faire après la chute de l’Union soviétique. Pour cette raison les Etats-Unis ne croient plus pouvoir être acteurs au Proche-Orient et leur priorité réside uniquement, désormais, dans la défense de leurs intérêts pétroliers dans le Golfe. Ils n’ont pas trouvé nécessaire d’intervenir directement ni indirectement dans la chute du régime syrien. D’autant plus que ce qu’ils ont voulu faire précédemment en tentant de répéter «l’expérience» de l’Irak en Syrie, sans intervention militaire directe, et qui consiste à détruire la Syrie, à réaliser la division communautaire, à anéantir l’armée et l’Etat, se réalise finalement par la main du pouvoir syrien lui-même, qui reproduit ce qu’ont fait les Etats-Unis en Irak… Par conséquent: que la Syrie se détruise, que la division communautaire se réalise, et que la Russie hérite d’un Etat sans intérêt! Ce qui signifie que les Etats-Unis ne doivent pas soutenir une intervention qui ferait chuter le régime et achèverai le conflit, ni soutenir une opposition armée pour faire chuter ce régime, ni encore encourager d’autres Etats à le faire.

Caricature d’Ali Farzat: «Trêve! … Lance-la doucement» (27.10.2012)

L’Europe s’enlise dans sa crise économique qui augure un effondrement monstre et peut-être de révolutions dans les pays au sud de sa périphérie; c’est ce qui la rend impuissante à entreprendre quoi que ce soit d’important concernant la Syrie. La Turquie est, quant à elle, confuse parce qu’elle ne souhaitait pas la chute du pouvoir, mais c’est la crispation extrême du pouvoir syrien qui a imposé la rupture. Elle n’est pas concernée par une intervention militaire ni par une alliance internationale pour intervenir, parce qu’elle comptait faire de la Syrie en particulier une alliée dans sa quête pour devenir une puissance internationale en dominant l’Orient. Elle ne sait pas comment s’y prendre, elle cède à certaines pressions puis refuse d’aller plus loin, parce que l’anarchie en Syrie lui serait dommageable et nuirait à ses intérêts.

Dans cette situation, il n’y a pas de position internationale pour une solution en Syrie, il y a même opposition entre plusieurs de ces positions: américaines-européennes, russes-chinoises-iraniennes. La Turquie recherche l’accord avec la Russie et l’Iran bien plus que l’alliance avec les Etats-Unis. Sans aucun résultat pour le moment. Pour cette raison la mission de Brahimi paraîtra sans avenir comme celle d’Annan avant lui. C’est pour ces raisons qu’elle est une mission de «gestion de crise» et non pas une solution. Ce qui pousse Brahimi à faire de telles propositions ridicules c’est le désir de passer le temps ou sinon pour pouvoir affirmer que les choses avancent…

Par conséquent le contexte international ne permet pas une intervention qui résoudrait «la crise», ou mènerait à la chute du pouvoir. Les pays capitalistes sont plus concernés par la poursuite du conflit, par l’extension de la destruction et des tueries et même par le conflit communautaire. Les Russes et les Iraniens ont intérêt, eux, à la pérennité du pouvoir syrien, même si cela implique toutes ces destructions et ces tueries et y compris un conflit communautaire. Cette vision est tragique bien sûr. Mais initialement il n’a jamais été question d’un rôle international pour résorber une «crise», ni d’une aide «occidentale» pour renverser le pouvoir. Il s’agit de la force de volonté du peuple qui a décidé de renverser ce pouvoir. Et lorsque ce peuple s’est élancé le 15 mars 2011, il ne s’est pas révolté contre le pouvoir pour demander aux autres de causer sa chute, il a brandi précisément ce slogan: «Le peuple veut la chute du régime».

Et malgré toute la violence et la destruction et la force que le régime exerce, il est clair aujourd’hui qu’il s’affaiblit de plus en plus vite, et qu’il n’est plus capable d’imposer sa loi dans de nombreuses régions syriennes et que la révolution avance malgré tout ce qui l’entoure. (Traduction de l’arabe pour le site A l’Encontre par Jihane Al Ali, article paru dans le quotidien Al Hayat en date du 25 octobre 2012)

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* Salameh Kayleh a été arrêté le 24 avril 2012 par des agents du régime d’Assad à Barzeh, un quartier de Damas. Il fut libéré après trois semaines de détention et expulsé vers la Jordanie. Il a alors donné des entretiens sur les tortures qu’il a subies dans les services de renseignement de l’Armée de l’air, dans le district d’Al Umawiyin, et y compris à l’hôpital militaire. Salameh Kayleh est né dans la ville palestinienne de Bir Zeit, près de Ramallah. Après des études à Bagdad, il s’est installé à Damas. Il est l’auteur de nombreux écrits portant sur le nationalisme arabe, l’impérialisme et l’attitude inacceptable d’une grande partie de la gauche arabe face aux régimes dictatoriaux. Salameh Kayleh avait déjà été emprisonné en 1992. Il passa quatre ans en prison. Il fut torturé et mis l’isolement. Son procès n’eut lieu qu’en 1996 et il fut condamné à huit ans de prison. Il a été libéré en mars 2000 après avoir passé les deux dernières années d’emprisonnement incarcéré dans la prison Tadmor, décrite par lui comme un camp de concentration. Il souffre d’un cancer. Dès sa sortie, il a poursuivi son combat pour la justice sociale et les libertés politiques en Palestine, dans les pays arabes et en Syrie. Il déclarait en mai 2012: «Si vous pouviez voir la résilience des jeunes détenus, même après avoir subi des tortures horribles, vous comprendriez que ce régime ne peut pas survivre.» Voir l’article publié sur ce site en date du 30 avril 2012: «Libérez Salameh Kaileh».

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