Et si Israël cessait de payer des allocations aux vétérans de son armée?

Manifestation de soutien aux prisonniers grévistes de la faim,
à Naplouse, le 23 avril 2017

Par Gideon Levy

Le pays qui devrait être en train de payer des dédommagements à des familles palestiniennes pour avoir inutilement tué, paralysé ou emprisonné leurs proches, veut interdire à l’Autorité palestinienne (AP) de les verser.

Le Premier ministre [Benyamin Netanyahou, dit Bibi!] a dépassé un nouveau record Guiness du «chutzpah» (culot, toupet, impudence) lorsqu’il a déclaré que l’Autorité palestinienne devait prouver son engagement pour la paix en cessant de payer des indemnités pour les familles des Palestiniens tués ou emprisonnés.

Le pays qui devrait être en train de payer des indemnités à des familles palestiniennes pour avoir inutilement tué, paralysé ou emprisonné leurs proches, prétend donc interdire à l’Autorité palestinienne d’effectuer ces versements. Le pays dont l’occupation violente a provoqué la résistance violente, qui a emprisonné des centaines de milliers de Palestiniens et leur a imposé des punitions draconiennes; le pays dont les soldats ont la gâchette tellement facile qu’il ne se passe presque pas un jour sans qu’ils occasionnent des morts et des blessés inutiles. Or c’est ce même pays – qui se montre le plus généreux avec ses propres blessés, prisonniers et familles endeuillées – qui exige que les Palestiniens cessent de verser des indemnités aux leurs. Pouvez-vous imaginer une prétention plus cynique? Imaginez les réactions si Mahmoud Abbas demandait à Israël de cesser de verser des allocations aux veuves de «ses» soldats pour prouver ses intentions pacifiques.

Mais il faut évidemment ignorer les préconditions changeantes de Benyamin Netanyahou et les tests de paix ridicules qu’il impose avant de daigner entrer dans des «négociations sans préconditions» préliminaires. Cette approche est sous-tendue par une hypothèse grave, à savoir que les Palestiniens nous sont inférieurs. Ce qui nous est permis leur est interdit. Nos héros sont sacrés; les leurs sont des criminels. La comparaison même est vue comme scandaleuse. Or, rien ne pourra être résolu avant que cet univers de concepts distordus ne soit déraciné et que nous acceptions de «nous mettre à la place» des Palestiniens.

Les prisonniers palestiniens sont leurs prisonniers de guerre, leurs héros nationaux, leurs morts sont leurs martyrs. Comment pourrait-il en être autrement? Ce sont des personnes qui ont tout sacrifié pour un combat qui n’est pas moins sacré que le nôtre. Si l’AP a pris une mesure juste, c’est précisément l’aide financière qu’elle verse aux familles survivantes et à celles de prisonniers. Seule la propagande israélienne et ses forces de sécurité peuvent imaginer qu’il existe des Palestiniens qui vont tuer et se faire tuer, qui risquent de passer le restant de leur vie handicapés ou en prison dans le seul but que leur famille puisse toucher 350 dollars par mois. Seul un esprit tordu peut penser que les combattants palestiniens n’ont d’autre motivation que la cupidité, et que le «terrorisme» cesserait si cet argent n’était plus versé. Des soldats israéliens seraient-ils prêts à tuer ou être tués pour pouvoir toucher des allocations de survivant ou d’impotent? Qui aurait une idée aussi vicieuse? Mais on peut incriminer les Palestiniens de n’importe quoi dans la mesure où nous considérons qu’ils ne sont pas comme nous.

Il faut bien que quelqu’un s’occupe des dizaines de milliers de membres de familles de prisonniers palestiniens. Ils sont les victimes de l’occupation. Après tout, aucune personne respectable ne peut sérieusement penser qu’ils méritent tous de mourir. La petite fille avec les ciseaux? Le garçonnet qui a jeté des pierres? La femme qui se tenait à la fenêtre? [qui ont été tués sur-le-champ par des soldats israéliens]. Même les terroristes, oui, les terroristes, ceux qui ont fait des choses terribles et attaqué des personnes innocentes, sont des héros de leur nation, laquelle se doit de s’occuper de leurs familles, tout comme nos semeurs de mort sont nos héros et l’Etat israélien est obligé de s’occuper de leurs familles.

L’Autorité palestinienne le fait. C’est son rôle, et elle est obligée de se montrer bienveillante à l’égard de ses combattants. Israël fait preuve de beaucoup plus de générosité à l’égard de ses propres héros, en matière de versements d’argent, de respect et de monuments commémoratifs. On pourrait surtout s’attendre à ce qu’Israël se montre plus compréhensif à l’égard d’un sentiment très similaire vécu dans un autre pays, lui qui considère ses endeuillés comme sacrés.

Le destin joue parfois des tours. Benyamin Netanyahou a eu le culot de formuler cette exigence une semaine avant le Memorial Day, le jour où nous honorons tous nos héros nationaux. On n’a pas besoin de mesurer les quantités de sang versées par nos héros et par les leurs, ni le degré de cruauté ou de dommages causés à des innocents. Il suffit de se souvenir qu’alors que nous observons des minutes de silence en mémoire de nos héros et que nous nous occupons de leurs proches survivants, les Palestiniens ont le droit de faire exactement la même chose. (Article publié dans le quotidien Haaretz, le 26 avril 2017; traduction A l’Encontre)

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Gideon Levy a publié en français: Gaza – Articles pour Haaretz, 2006-2009 (Ed. La Fabrique, octobre 2009) et comme coauteur: Gaza, le livre noir (Ed. La Découverte, 2009)

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