Par Mahmoud Omar
En 2009, selon des statistiques approximatives, le nombre de Palestiniens de la diaspora se montait à presque six millions de personnes, cinq millions se trouvant dans les pays arabes et le million restant en Europe, au Canada et aux Etats-Unis.
De nombreux réfugiés vivent dans les pays limitrophes, c’est-à-dire dans des pays qui ont une frontière directe avec la Palestine: environ 3 millions en Jordanie, 500’000 au Liban et 500’000 en Syrie. L’Egypte constitue une exception puisqu’il n’y a là pas de camps de réfugiés palestiniens. Le nombre estimé de réfugiés palestiniens vivant en Egypte est de 50’000 à 70’000.
Malgré le rôle dirigeant de ce pays au plan régional et bien qu’il ait accueilli l’Union générale des étudiants palestiniens dans les années cinquante (la coalition qui a produit les leaders de l’action nationale et les partis palestiniens), l’Egypte n’a pas permis l’établissement de camps de réfugié·e·s palestiniens permanents sur son territoire. Les trois camps qui ont été créés en 1948 ont été démantelés quelques années plus tard. Beaucoup de ceux qui avaient trouvé refuge en Egypte ont été renvoyés à Gaza, resté sous commandement militaire égyptien jusqu’en 1967. Les Palestiniens résidant alors en Egypte et jouissant des privilèges octroyés par le régime de l’ancien Président Gamal Abdel Nasser n’ayant pu retourner à Gaza après la Guerre de Six Jours, ils sont devenus les actuels «réfugiés».
Aujourd’hui, les réfugiés palestiniens en Egypte se répartissent entre la capitale et la partie nord du pays. Ils vivent essentiellement au Caire, à Ismailia, Al-Arish, Port-Saïd et Rafah. L’interdiction d’établir des camps permanents, le refus d’effectuer un recensement des réfugiés et les politiques de Nasser consistant à traiter ceux-ci comme des citoyens égyptiens, tout cela a conduit beaucoup de réfugié·e·s de la première génération à essayer de s’intégrer dans leurs communautés et à se présenter comme des Egyptiens palestiniens.
Après la mort de Nasser, l’Etat égyptien a changé de politique, considérant dorénavant les réfugié·e·s comme des étrangers. Selon les nouvelles lois, ils n’avaient plus droit à la résidence ni à l’éducation gratuite. Ceux qui étaient autorisés à voyager grâce à un document égyptien spécial pour réfugiés palestiniens devaient impérativement entrer en Egypte tous les six mois s’ils ne voulaient pas perdre leur droit de résidence. Remarquons que ce document n’autorise pas celui qui en est porteur de voyager dans d’autres pays sans visa, exception faite du Soudan. Il est également requis du porteur de ce titre de voyage d’obtenir un visa d’entrée en Egypte pour le voyage de retour.
Mariages avec des Egyptiennes, intégration dans la société égyptienne et recherche d’emploi dans des institutions privées, telles sont les méthodes adoptées par les Palestiniens en Egypte pour contourner cette réalité politique difficile. Les «conditions légales faibles» des Palestiniens en Egypte, comme décrites par l’écrivain et historien palestinien Elias Sanbar, se sont légèrement améliorées après la révolution égyptienne du 25 janvier 2011 et la décision du Ministre de l’intérieur Mansour al-Issawi d’accorder, de manière rétroactive, la nationalité égyptienne aux enfants de femmes égyptiennes mariées à des Palestiniens, selon une loi qui n’avait pas été appliquée depuis des années.
Dans un document appelé The Forgotten Ones (Ceux qu’on a oubliés), qui a été diffusé sur la chaîne de nouvelles Al-Mayadeen [basée à Beyrouth], plusieurs réfugiés palestiniens vivant à Gezirat Fadelont ont parlé de leurs pays d’origine et de leurs conditions de vie en Egypte. Le village de Gezirat Fadel, qui se trouve dans une province de l’Est du pays, est habité par 350 familles, composées presque toutes de Palestiniens qui ont quitté leurs villes et leurs villages en 1948. Umm Mohammed, 75 ans, a dit qu’elle avait quitté sa ville natale de Beersheba (dans le Negev) quand elle avait quinze ans et que toutes les maisons en terre battue du village dans lequel elle vivait aujourd’hui avaient été construites par les résidents eux-mêmes et non par le gouvernement égyptien.
Zaineb Salem, 50 ans, a exprimé un profond mécontentement quant au manque de structures de santé en général et au fait qu’il n’y ait aucun hôpital dans son village.
Najla Baraka, 30 ans, a dit qu’elle était née en Egypte, qu’elle y avait grandi et qu’elle méritait un meilleur traitement. Elle s’est plainte du fait qu’on exige d’elle l’obtention d’un document attribué par les autorités de surveillance pour toute démarche administrative qu’elle entreprenait.
Fayiq Abu-Awkal, 27 ans, un réfugié résidant dans la partie Est de Ayn Shams, a parlé du fait que depuis quelques années on diminuait graduellement l’aide aux réfugié·e·s, obligeant les bénéficiaires de ces aides au bout du compte supprimées à ne plus compter que sur eux-mêmes.
Rania al Madhoun, une journaliste et militante palestinienne vivant en Egypte, a parlé à Al-Monitor du statut des réfugiés palestiniens et de son point de vue sur la question du retour en Palestine. Pour elle, il y a deux types de souffrance vécue par les Palestiniens d’Egypte. Premièrement, la souffrance vécue par les Egyptiens eux-mêmes en raison des conditions économiques, de la pauvreté, du manque de structures santé de et de l’état de délabrement de l’Etat égyptien en général. Deuxièmement, il y a la souffrance plus spécifique des Palestiniens causée par des lois non écrites et coutumières telles que les redevances obligatoires (pour chaque procédure) ou par la question des titres de voyages accordés, en l’absence de toutes règles ou lois, par les fonctionnaires égyptiens selon leur humeur.
Elle a ajouté que la légère amélioration qui avait suivi la révolution du 25 janvier 2011 se limitait aux relations politiques entre le leadership égyptien et une partie du leadership palestinien et qu’au niveau populaire et dans la vie quotidienne, rien n’avait changé.
Madhoun a insisté sur le fait que le manque de soins et d’attention dont étaient l’objet les réfugiés palestiniens en Egypte, les «oubliés» comme elle les appelle, n’était pas le fait de l’Etat égyptien seulement, mais également du leadership palestinien.
A ce sujet, elle a dit que le leadership palestinien ne leur apportait pas de soutien et ne leur accordait qu’un minimum d’attention. Des institutions palestiniennes telles que l’Union des écrivains et des journalistes palestiniens étaient aujourd’hui fermées, et les associations d’étudiants n’étaient encore ouvertes que grâce à des efforts amicaux et personnels.
Sur la possibilité de retourner dans les territoires palestiniens, Madhoun a dit que pour la troisième génération de Palestiniens qui étaient nés et avaient vécu en Egypte, le « retour » était devenu une sorte de rêve inachevé, notamment pour ceux des réfugiés, au nombre de 13’000 environ, qui étaient nés de mères égyptiennes. Madhoun a ajouté que le retour dans la Bande de Gaza était théoriquement possible pour certains Palestiniens, mais à la seule condition que le gouvernement soit prêt à accueillir ceux qui désiraient rentrer en leur présentant un programme d’aide au retour. Elle a dit que cette condition était actuellement loin d’être remplie.
Dalia Ghurab, une réfugiée palestinienne née de mère égyptienne et habitant au Caire, a dit à Al-Monitor que beaucoup de réfugiés palestiniens d’Egypte ne pouvaient pas retourner parce qu’ils n’avaient pas de cartes d’identité palestiniennes. Quant au rôle de l’ambassade palestinienne au Caire, elle a dit que l’ambassade n’agissait que dans des cas limités ayant trait aux redevances obligatoires pour les démarches envers des départements de l’administration. Ghurab a qualifié de tout simplement mauvais le statut de réfugié palestinien en Egypte, un statut qui ne tient compte ni du temps de résidence en Egypte ni des conditions de vie des gens. (Traduction A l’Encontre)
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Mahmoud Omar est un écrivain et bloggeur palestinien vivant entre Le Caire et Gaza. Il écrit pour le journal Al-Modon et la Radio Netherlands Worldwide. Son travail paraît aussi dans différentes publications online telles que Jadaliyya ou Alawan et dans le quotidien [palestinien] Alhyat Aljadeda.
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