Débat. Pourquoi Riyad place-t-il Doha en quarantaine?

Qatar Sheikh Bin Hamad Al-Thani

Entretien avec Bichara Khader

L’Arabie saoudite, l’Egypte, Bahreïn et les Emirats arabes unis (EAU) ont tour à tour annoncé lundi la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusé de «soutien au terrorisme», y compris al-Qaïda, le groupe Etat islamique (EI) et les Frères musulmans. Le Qatar a aussi été exclu de la coalition militaire arabe opérant au Yémen sous commandement saoudien.

Le spécialiste du monde arabe, l’universitaire Bichara Khader [1] estime que la crise diplomatique avec le Qatar sera contenue et que le rapprochement entre Doha et les autres pays du Golfe se fera au détriment des Frères musulmans.

Différends historiques, relations compliquées au sein du Conseil de coopération du Golfe, rapport aux Frères musulmans: pour Middle East Eye, Bichara Khader décortique les ressorts de cette troisième crise entre l’Arabie saoudite et le Qatar.

MEE. La rupture des liens diplomatiques entre l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et Bahreïn avec le Qatar signe-t-elle la fin du soft power instauré par Obama, dont le Qatar était justement un des instruments?

B.K. Le Qatar, à travers la chaîne Al Jazeera, créée en 1996, et grâce à ses ressources financières, a essayé de mener une diplomatie active, d’accroître son autonomie, et de devenir un acteur géopolitique dans une région volatile. Or, la liberté de ton de la chaîne satellitaire et l’accueil qui a été réservé à tous les opposants arabes aux régimes en place, ne pouvaient que déplaire à l’Arabie saoudite et à d’autres Emirats. Pour briser le monopole d’Al Jazeera, l’Arabie Saoudite a créé sa proche chaîne satellitaire: Al Arabiyyah.

Cette compétition médiatique vient aggraver des différends qui opposent les deux pays depuis longtemps, notamment un différend frontalier qui a donné lieu à des affrontements limités le 30 septembre 1992 qui ont fait trois morts. Le Qatar a aussi un différend frontalier avec le royaume de Bahreïn sur des îlots proches de Qatar, mais le différend a été depuis résolu grâce à un jugement de la Cour internationale de La Haye – et non grâce à une médiation saoudienne.

Les relations entre le Qatar et l’Arabie se sont tendues en 2002 lorsque la chaîne Al Jazeera a projeté un documentaire, peu flatteur, sur Al-Saoud, le fondateur du royaume d’Arabie saoudite. Celle-ci a rappelé son ambassadeur de Doha, qui n’a regagné son poste qu’en 2008.

Lors des événements liés au Printemps arabe en 2011, le Qatar a été accusé d’incitation aux révoltes, de soutien aux «jeunes révolutionnaires arabes» qui ont défenestré Ben Ali de Tunisie, Moubarak d’Egypte et Ali Saleh du Yémen.

Pour l’Arabie saoudite, le Qatar devenait un trouble-fête car, par le truchement d’Al Jazeera, il bouleversait «l’ordre régional». La tension a atteint son paroxysme lorsque le général Sissi a repris les rênes du pouvoir en Egypte, le 3 juillet 2013, en mettant le président Morsi des Frères Musulmans en prison.

L’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Emirats qui partagent une égale détestation des Frères musulmans s’en sont réjouis. Mais le Qatar a considéré cela comme un coup d’État et a pris fait et cause pour les Frères musulmans.

La césure entre les pays du Golfe devenait une brèche béante. En 2014, l’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Émirats rappelaient leurs ambassadeurs de Doha. Le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) connaît alors une crise existentielle. Grâce à une médiation koweïtienne, les relations se sont apaisées et la crise fut contenue. Mais ce ne fut qu’un répit.

Après la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, en 2015, les désaccords resurgissent. L’Arabie saoudite et Bahreïn manifestent leur mécontentement face à l’accord et ne manquent pas de le faire savoir au parrain américain. En revanche, les autres Émirats, surtout le Qatar s’en réjouissent.

L’Arabie saoudite accuse dès lors le Qatar de jouer un jeu double, de ne pas coller au consensus des pays du Golfe, de soutenir les chiites saoudiens, voire même les Houthis du Yémen qui ont pris le contrôle de la capitale yéménite et chassé le président légitime.

C’est dans ce climat assombri entre les pays du Golfe, que le président américain, D. Trump, entame sa première visite à l’étranger en Arabie saoudite: cette visite se solde par la signature de contrats juteux de plus de 300 milliards de dollars. En échange, le président Trump adopte un ton plus dur à l’égard de l’Iran et menace même de remettre en cause l’accord sur le nucléaire iranien.

L’Arabie saoudite se réjouit que le président américain s’aligne sur ses positions anti-iraniennes. Mais les petits Emirats s’en inquiètent, notamment le Qatar, qui ne veut pas de cette polarisation Arabie-saoudite-Iran qui, à la longue peut menacer leur stabilité et les entraîner dans des conflits aussi futiles que coûteux.

L’Arabie saoudite s’offusque d’un rapprochement entre le Qatar et l’Iran. Tandis que l’ambassadeur des Emirats arabes Unis, à Washington, selon des fuites, se serait engagé dans une campagne de dénigrement du Qatar, appelant même les Etats-Unis à fermer leur base au Qatar.

Ainsi la tension allait crescendo. Accusé de soutenir les Frères musulmans, considérés comme «une organisation terroriste» par l’Egypte, l’Arabie saoudite, Bahreïn et les Emirats arabes unis et soupçonné de reprendre langue avec les Iraniens, le Qatar est cette fois-ci puni.

Non seulement les relations diplomatiques sont rompues, mais l’espace aérien, maritime et terrestre est fermé. Le Qatar qui n’a qu’une seule frontière terrestre avec l’Arabie saoudite, se voit dès lors isolé, assiégé.

Naturellement le Qatar dénonce les allégations saoudiennes et dit vouloir préserver son autonomie, refuser la tutelle de quiconque et avoir une politique étrangère qui préserve les intérêts de l’Emirat. Derrière ce discours rassurant se cache néanmoins une grosse inquiétude. L’Emirat ne pourra résister trop longtemps. Certes il dispose de moyens financiers importants grâce à des fonds souverains estimés à plus de 400 milliards de dollars lui permettant d’amortir le choc.

Mais il faut trouver une sortie de la crise assez rapidement. C’est la tâche du Koweït et d’Oman qui devront jouer les médiateurs entre les pays frères. C’est aussi la tâche des Etats-Unis et de l’Europe qui ont des intérêts considérables dans la région. Si la médiation ne débouche sur rien et si les protagonistes s’enferment dans une posture d’affrontement, alors le Qatar n’aura qu’une seule porte de sortie: se mettre sous les ailes de l’Iran. S’il arrive à cet extrême, cela signifierait que le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) vole en éclats et que l’Arabie saoudite aurait remporté une victoire à la Pyrrhus en renforçant le camp qu’elle cherchait à affaiblir.

MEE: Vous ne voyez donc pas dans cette crise diplomatique un effet Trump?

BK: Il ne faut pas confondre l’étincelle et les causes qui ont amené à cette crise. Les tensions ne sont pas nouvelles. Nous en sommes à la troisième crise entre l’Arabie saoudite et le Qatar.

Cette troisième crise n’a pas été déclenchée par Trump. Certes Il s’est aligné sur la position saoudienne en la confortant dans sa position anti-iranienne. Mais Trump n’a été que la brindille qui a brisé le dos du chameau.

En réalité, le conflit Arabie saoudite-Qatar se nourrit de différends historiques, des problèmes internes au CCG, et du rapport aux Frères musulmans et à l’Iran.

MEE: Est-ce qu’il n’y a pas aussi une volonté de revenir à l’ordre pré-Printemps arabe avec un axe fort Le Caire-Riyad?

BK: Depuis le Printemps arabe, le Qatar est perçu comme un facteur de déstabilisation de l’ordre régional établi, autoritaire et conservateur. Il est vrai que le Qatar a toujours considéré les Frères musulmans comme une composante essentielle du spectre politique dans le monde arabe. Cette opinion n’est pas partagée par l’Arabie saoudite, Bahreïn et les Emirats arabes unis qui ne veulent pas entendre d’un mouvement politique tel que les Frères musulmans, qui arrive au pouvoir par les urnes. Cela pourrait faire des émules.

Salmane Ben Abdel Aziz (Arabie saoudite)

Quant à l’Egypte du général Sissi, elle est engagée dans une lutte sans merci contre les Frères musulmans dont les principaux chefs sont en prison. Ainsi, pratiquement aucune opposition légale n’est autorisée. Cela produit une polarisation dramatique de la société égyptienne et conduit certains éléments des Frères musulmans à rejoindre des mouvements radicaux. Ainsi, le Qatar est accusé, par son soutien aux Frères musulmans, d’être un facteur de division de l’Egypte.

On voit donc se mettre en place un axe Ryad-Le Caire anti-Qatar anti-Iran. Mais l’Egypte est aujourd’hui empêtrée dans des problèmes économiques et de sécurité d’une rare gravité, tandis que l’Arabie saoudite se trouve, quant à elle, enlisée dans une guerre au Yémen qui ne règle rien. Il est donc peu probable que cet axe puisse, sans le soutien de l’Amérique, stabiliser la région et endiguer l’influence iranienne.

L’Arabie saoudite a le sentiment d’être encerclée et elle cherche des alliés en réactivant les vieilles rivalités chiites-sunnites. Mais pour convaincre, elle doit être elle-même au-dessus de tout soupçon.

MEE: Cette crise pourrait donc affaiblir les Frères musulmans dans l’ensemble du monde arabe, et peut-être, peser sur les négociations israélo-palestiniennes via le Hamas?

BK: Oui, si la médiation régionale ou internationale parvient à réconcilier le Qatar avec les autres pays, cela pourrait se faire au détriment des Frères musulmans. Ceci dit, si aujourd’hui les Frères musulmans sont en si mauvaise posture, c’est parce qu’ils ont commis de multiples erreurs, notamment en Egypte, après l’élection de Morsi. Grisés par leur victoire électorale, ils se sont affranchis de toutes les règles en voulant «frériser» toute la société égyptienne, en imposant leurs normes et leurs codes. C’était manquer d’intelligence politique et refuser la légitimité de la différence. Ce fut une erreur colossale dont se sont emparés les militaires pour porter Abdel Fattah al-Sissi au pouvoir.

Pour ce qui est du Hamas Palestinien, il cherche désespérément un parrain, et surtout une ouverture sur le monde et des moyens financiers pour subvenir aux besoins d’une population assiégée. Donc il est forcé de faire prévaloir le réalisme sur l’idéologie. Après avoir été soutenu par le Qatar et l’Iran, il s’est rapproché de l’Arabie saoudite un certain temps. Il est à parier qu’il fera tout pour se rapprocher de l’Egypte avec laquelle il partage une frontière commune, celle de Rafah.

Ceci dit, en cas de réconciliation entre l’Egypte et l’Arabie saoudite d’un côté, et le Qatar, de l’autre, ce dernier devra tempérer son discours médiatique concernant les régimes en place et veiller à ce que ses fonds n’aillent pas vers des organisations accusées de vouloir déstabiliser la région. Même si dans cette histoire, il n’est pas le seul à soutenir des organisations soupçonnées d’être radicales en Syrie ou ailleurs.

MEE: L’Iran s’inquiète de cette crise, mais on peut aussi imaginer que Bachar al-Assad, autre cible de l’Arabie saoudite, va se retrouver dans une situation critique…

BK: L’Iran se réjouit au contraire de cette crise au sein du Conseil de coopération du Golfe. Il pourrait en tirer profit en volant au secours du Qatar, en lui promettant de lui fournir tout dont il a besoin et en mettant ses ports à sa disposition pour ses approvisionnements. Mais il est clair que si la crise devait perdurer, c’est la Coupe du Monde de 2022 qui pourrait être mise à mal. Ce serait un coup sévère porté à la crédibilité du Qatar qui fait tout pour braquer les feux des projecteurs sur l’Emirat.

Cette crise ne changera pas la donne en Syrie où de toute manière les Iraniens et les Russes font aujourd’hui la pluie et le beau temps. Le régime de Bachar al-Assad devrait également se réjouir des tensions actuelles au sein des pays du Golfe. Cela pourrait les détourner du dossier syrien. (5 juin 2017; titre de la rédaction de A l’Encontre)

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[1] Bichara Khader est le fondateur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe contemporain (CERMAC) à l’université catholique de Louvain, en Belgique, où il enseigne depuis 1974, Bichara Khader est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages sur les questions euro-arabes. Il a d’ailleurs été membre du Groupe des hauts experts sur la politique étrangère et de sécurité commune à la Commission européenne, et membre du Groupe des sages pour le dialogue des cultures en Méditerranée, relevant de la présidence européenne. Professeur émérite depuis 2010, il anime des cours et des conférences dans plusieurs pays.

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Contraindre le Qatar à revoir ses ambitions à la baisse

Par Benjamin Barthe

Décembre 2016, réunion du CCG: Mohammed ben Salmane (Arabie saoudite), Tamim ben Hamad al-Thani (émir du Qatar)

Haro sur le paria du Golfe persique. Lundi 5 juin, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, imités par quatre de leurs obligés (Yémen, Bahreïn, Egypte et Maldives), ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar. En désaccord avec la diplomatie de l’émirat gazier, qu’ils apparentent à un «soutien au terrorisme», ces pays ont accompagné leur décision de mesures de rétorsion: la fermeture de leurs frontières terrestres et maritimes avec Doha, la suspension des vols de leurs compagnies aériennes en direction de cette ville, la fermeture de leurs espaces aériens à la compagnie Qatar Airways et des restrictions sur le déplacement des personnes. «Le Qatar se retrouve soumis à un véritable blocus économique, auquel il aura le plus grand mal à résister», expose Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres et spécialiste des questions de sécurité dans le Golfe.

• L’émirat a également été exclu de la coalition militaire intervenant au Yémen sous commandement saoudien. Riyad et Abou Dhabi l’accusent de complaisance à l’égard de l’Iran et des mouvements islamistes, les deux principales sources de déstabilisation dans la région selon eux. Ils lui reprochent de bafouer le consensus régional, établi lors du récent sommet de Riyad, le 21 mai, au cours duquel Donald Trump, avait appelé le monde arabo-musulman à s’unir contre l’«extrémisme», un terme englobant aussi bien la République islamique iranienne que l’organisation Etat islamique (EI) ou le mouvement islamiste palestinien Hamas.

«Les mains libres»

• Doha a réagi en appelant à un dialogue «ouvert et honnête», tout en dénonçant une décision «injustifiée», dont «l’objectif est de placer l’Etat sous tutelle, ce qui marque une violation de sa souveraineté». «Les mesures prises par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis visent à mettre la pression sur les Qataris, pour qu’ils demandent un changement de ligne politique et, si ça ne suffit pas, un changement à la tête du pays», abonde Jean-Marc Rickli, analyste au Geneva Center for Security Policy. Il a enseigné pendant trois ans à l’Académie de défense du Qatar. Vu la gravité de la crise, on ne peut pas écarter l’option du changement de régime à Doha.»

• Les tensions ont émergé mercredi 24 mai, trois jours après la fin du sommet de Riyad, à la suite de déclarations attribuées par l’agence de presse qatarie QNA à l’émir Tamim Ben Hamad Al-Thani. Le communiqué qualifiait l’Iran de «puissance islamique régionale qui ne peut pas être ignorée», et conférait le statut de «mouvements de résistance légitimes» au Hamas palestinien ainsi qu’au Hezbollah, la milice libanaise pro-iranienne, engagée aux côtés des forces progouvernementales syriennes.

• Ces propos, démentis par Doha, qui affirme que le site de la QNA a été piraté, ont été aussitôt montés en épingle par les médias saoudiens et émiratis, qui y ont vu la preuve de la «trahison» de leur voisin. Une campagne de presse d’une virulence rare a suivi, au cours de laquelle le Qatar, «fils ingrat» et «agent de l’Iran», s’est retrouvé accusé de toutes les turpitudes, notamment de soutenir les milices houthistes au Yémen, perçues comme le cheval de Troie de Téhéran, ainsi que le mouvement de contestation chiite dans la province orientale du royaume saoudien. Accusations peu crédibles.

• Il s’agit de la plus grave crise frappant le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) – qui regroupe l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatar – depuis sa création en 1981. Mais c’est loin d’être la première querelle entre le Qatar et ses pairs. En 2014, Abou Dhabi, Riyad et Manama avaient retiré leur ambassadeur pendant huit mois de Doha, en signe de protestation contre les critiques d’ Al Jazeera, la chaîne d’information par satellite du Qatar, à l’encontre d’Abdel Fattah Al-Sissi, le président égyptien, auteur du putsch ayant mené au renversement de l’islamiste Mohamed Morsi, avec le soutien de l’Arabie saoudite et des Emirats.

«En 2014, Barack Obama était encore au pouvoir. Sa politique de rapprochement avec l’Iran avait empêché l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis d’aller au bout de leur conflit avec le Qatar, selon Jean-Marc Rickli. Aujourd’hui, la présence de Donald Trump désinhibe Riyad et Abou Dhabi. Ils sentent qu’ils ont les mains libres pour adopter un positionnement anti-Iran très agressif et supprimer toute opposition à cette ligne au sein de la famille sunnite.»

Positionnement attrape-tout

Adepte d’une diplomatie du grand écart, dont il use pour assurer son rayonnement sur la scène internationale, le minuscule et richissime Qatar héberge sur son territoire à la fois la base militaire d’Al-Udeid, quartier général des forces américaines au Proche-Orient, et des représentants du Hamas, comme Khaled Mechaal, ex-chef de son bureau politique. Au début des «printemps arabes», Doha s’était comporté en sponsor des Frères musulmans, parrainant leur percée politique en Tunisie, en Libye et en Egypte, notamment par l’intermédiaire de son bras médiatique, Al Jazeera.

Source: International Group of Liquified Natural Gaz Importers

Une politique insupportable pour l’Arabie saoudite et les Emirats, qui ont obligé leur très entreprenant voisin à revoir ses ambitions à la baisse. Ces deux monarchies, beaucoup plus peuplées que le Qatar, redoutent l’influence des islamistes sur leur opinion publique. Le positionnement attrape-tout de Doha l’a aussi amené à ouvrir des canaux de communication avec les talibans afghans, ainsi qu’avec les djihadistes syriens du Front Al-Nosra. Un œcuménisme dangereux, mais dont les Occidentaux se servent volontiers pour passer des messages et, dans le cas syrien, pour payer des rançons et libérer des otages.

Mais c’est surtout la politique de conciliation du Qatar vis-à-vis du régime des ayatollahs iraniens qui suscite l’ire de Riyad et d’Abou Dhabi. Parce que sa fortune repose sur un gisement gazier sous-marin qu’elle partage avec l’Iran, la micro-monarchie ne peut pas se permettre de couper les ponts avec Téhéran. C’est le cas aussi d’Oman et du Koweït, deux autres membres du CCG, restés à l’écart de la crise. En obligeant le Qatar, le plus voyant des trois, à rentrer dans le rang, le camp pro-saoudien signifie que ces nuances diplomatiques ne seront plus tolérées. L’heure est à la mobilisation générale face au «danger» iranien, et au garde-à-vous. (Article publié dans Le Monde daté du mercredi 7 juin 2017, p. 4, titre de la réaction de A l’Encontre)

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De l’attaque médiatique au blocus économique

Par Benjamin Barthe

Décrété lundi 5 juin par les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite, le blocus économique anti-Qatar a déclenché une ruée sur les supermarchés dans le petit émirat gazier. Affolés par la perspective de pénuries, les habitants se pressaient devant les caisses enregistreuses, poussant des Caddie remplis à ras bord de victuailles. L’essentiel de l’approvisionnement alimentaire du pays, une presqu’île désertique à peine plus grande que la Corse, provient de l’extérieur.

L’Arabie saoudite ayant décidé de boucler sa frontière avec son voisin – la seule route terrestre vers Doha – fréquentée chaque jour par près de 800 camions, le risque est important que des produits viennent à manquer dans les magasins d’alimentation. «La voie maritime ne pourra pas vraiment se substituer à la voie terrestre, car le grand port de fret qui a été construit au sud de Doha n’est pas encore opérationnel, fait remarquer Andreas Krieg, spécialiste des questions de sécurité dans le Golfe. Les gros navires à destination de Doha déchargent dans le port de Dubaï, aux Emirats arabes unis.»

Vols rallongés

L’impact sur la population, estimée à 2,3 millions de personnes – dont 10% de citoyens qataris et 90% de travailleurs étrangers –, pourrait être d’autant plus fort qu’en période de ramadan les dépenses en nourriture augmentent en flèche. «Personne ne va mourir de soif dans les rues de Doha, mais pour les Qataris, qui ne sont pas franchement habitués à se priver, la période risque d’être compliquée», prédit Andreas Krieg.

Le blocus, s’il se poursuit plusieurs semaines, pourrait affecter aussi le ravitaillement de l’émirat en matériaux de construction et donc ralentir certains chantiers en cours, à commencer par ceux des stades de la Coupe du monde de football 2022, dont le pays a obtenu l’organisation.

La décision de l’Arabie, du Bahreïn et des Emirats de fermer leur espace aérien aux vols de la compagnie nationale qatarie, Qatar Airways, risque d’obliger celle-ci à rallonger ses vols, ce qui pourrait nuire à sa rentabilité. Autre conséquence fâcheuse: les Qataris désireux d’accomplir l’omra, le petit pèlerinage à La Mecque, dont la saison culmine durant le mois de jeûne, devront passer par le Koweït.

Pour éviter que la panique se répande, le gouvernement du Qatar a publié lundi un communiqué assurant qu’il prendra «toutes les mesures nécessaires pour (…) mettre en échec les tentatives de nuire à sa population et son économie». L’annonce n’a pas convaincu la Bourse de Doha, qui a terminé lundi en baisse de près de 8%. (Article publié dans Le Monde daté du mercredi 7 juin 2017, p. 4, titre de la rédaction de A l’Encontre)

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