Par Marc Perelman
La Russie n’ayant pas respecté la Trêve olympique, cela a entraîné de la part du Comité International Olympique (CIO) sa suspension des compétitions olympiques et désormais l’interdiction faite à ses athlètes de participer aux Jeux paralympiques qui s’ouvrent à Pékin.
Du dopage d’Etat russe…
Toutefois, le CIO n’a jamais nommé la Russie, ni ne l’a condamnée pour son invasion, évoquant par un bel euphémisme: «la guerre qui fait rage actuellement en Ukraine».
Alors, commençons par le début de l’histoire. Déjà mise au ban des compétitions internationales en 2020 pour fait de dopage d’Etat, la Russie, et non tous ses athlètes, avait été exclue de toutes les compétitions pendant deux ans jusqu’au 16 décembre 2022. La Russie n’a donc pas participé aux JO de Tokyo et ni à ceux de Pékin. Cette décision prise par le Tribunal arbitral du sport (TAS) – une institution internationale créée par le CIO sous l’ancien président J. A. Samaranch [Marquis de Samaranch, membre de la Phalange, secrétaire des Sports sous Franco dès 1967, ambassadeur en URSS], mais dont les liens avec ce dernier ont été abolis au début des années 90 – dont le siège (comme le CIO) est à Lausanne accroît l’incertitude sur la participation de la Russie à la Coupe du monde de football au Qatar en cette fin d’année et aux JO de «Paris 2024».
Cette mise à l’écart de la Russie avait déjà constitué une source de fort mécontentement chez Poutine, un ancien judoka (ceinture noire 8e dan), dont le nationalisme ne supporte pas le moindre affront. Or, plus d’hymne, plus de drapeau, des médailles remises en cause pour cause de dopage, c’était déjà beaucoup trop…
La suspicion de dopage en Russie remonte au début des années 2010. Alertée, la chaîne de télévision «Das Erste» («La Première»), appartenant au groupement de chaînes de télévision allemande ARD, avait mené avec la collaboration des époux Stepanov – elle, une athlète de demi-fond, lui, un ancien employé de l’Agence anti-dopage russe RUSADA; elle, une ancienne dopée et lui, un ancien dopeur – une vaste enquête sur le système de dopage d’Etat russe. Puis, l’ancien directeur du laboratoire antidopage de Moscou, Grigory Rodchenkov, réfugié depuis aux Etats-Unis comme les époux Stepanov, révélait le système de triche sophistiqué mis en place aux Jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014.
Comment procédaient les Russes? Ce sont trois stéroïdes anabolisants, la méténolone, le trenbolone et l’oxandrolone qui, mélangés à de l’alcool, avaient pour effet de réduire la fenêtre durant laquelle ils pouvaient être détectés. Par ailleurs, les services secrets russes intervenaient pour changer les échantillons urinaires prélevés sur des athlètes russes. Selon Grigory Rodchenkov, les membres des services secrets remplaçaient avec son aide durant la nuit des échantillons prélevés après les compétitions par des échantillons «propres» prélevés plusieurs mois avant la compétition, évitant ainsi que les athlètes russes soient déclarés positifs. Enfin, le rapport confié par l’Agence mondiale antidopage (AMA) – une émanation du CIO dont quelques-uns de ses membres appartiennent à l’instance du gouvernement mondial du sport – au juriste canadien Richard McLaren confirmait que les laboratoires anti-dopage de Moscou et Sotchi avaient protégé les athlètes dans le cadre d’un «système de dopage d’État sécurisé», «dirigé, contrôlé et supervisé» par le ministère de Sports russe, «avec l’aide active du FSB, les services secrets russes». Poutine précisait à l’époque que la mise au ban de la Russie était «politiquement motivée ». Dernièrement, après le refus renouvelé du CIO de la participation de la Russie aux JO de Pékin, il reprenait l’antienne du CIO: «Nous nous prononçons contre la politisation du sport et la tentative de l’utiliser comme moyen de pression, de concurrence déloyale et de discrimination». Il y a quelques semaines, on l’avait vu tout sourire en compagnie du président à vie Xi Jinping à l’ouverture des JO d’hiver de Pékin.
Bref, c’est tout le système sportif russe qui s’est effondré à la suite de ces révélations, on pourrait dire stupéfiantes, dont les sources étaient en effet des sportifs et des dirigeants des laboratoires russes anti-dopage. Le niveau des mesures de mise à l’écart révélait aussi le rapport de force entre le TAS et l’AMA. Alors que le TAS souhaitait une sanction forte (4 ans de suspension) contre la Russie, l’une des meilleures nations sportives du monde, l’AMA minimisait l’affaire de dopage pour ne pas éloigner trop longtemps les guerriers du sport poutiniens des pistes en tartan ou de neige artificielle, des couloirs d’eau ou encore des tatamis…
… à la fin de la Trêve olympique
La Trêve olympique soutenue par l’ONU serait respectée sept jours avant le début des compétitions olympiques pékinoises et sept jours après la fin des jeux paralympiques, soit le 20 mars 2022. La guerre de la Russie contre l’Ukraine a fait voler en éclats toutes ces dates en même temps que la Trêve olympique que le CIO avait restaurée au milieu des années 90 dans l’espoir – plus que vain – de maintenir un mythe multiséculaire, le «mythe fondateur» (voir Jean-Marie Brohm, Le mythe olympique, Ed. Quel Sport ? -2021) datant de la Grèce antique.
Comme on le sait l’origine des mythes a beaucoup à voir avec les mythes de l’origine, soit une croyance sinon une légende que des historiens sérieux ont démontée depuis de nombreuses années (voir M .I. Finley, H. W. Pleket, J.-P. Vernant). Cette Trêve olympique devait permettre aux athlètes de se rendre sur les sites de compétitions sans courir, si l’on peut dire, le moindre danger. Il n’en était rien. La guerre faisait souvent rage entre les multiples cités grecques déchirées par leur volonté de puissance et de conquête.
La Trêve olympique fut restaurée et entretenue par le CIO qui, en outre, a toujours mis en avant sa neutralité politique face aux événements du monde. Car les JO se situent, selon le CIO, en dehors de la politique, parce que le sport n’est pas, non pas apolitique ni non-politique, il relève de la «neutralité politique». Quoi qu’en dise le CIO, ses positions de principe sur la neutralité ont vite été balayées par la guerre et remplacées par une position de principe pour le coup très politique. S’il y a quelques semaines encore (le 20 janvier 2022), Thomas Bach, le Président du CIO pouvait affirmer: «Nous sommes politiquement neutres et, dans le cadre de cette neutralité politique, nous essayons d’être à la hauteur de notre mission. […] nous n’adoptons pas de position politique», toutes ces belles paroles se sont fracassées contre la réalité implacable de la guerre, du jour au lendemain, précisément le jour où Poutine a envoyé ses troupes en Ukraine. Le CIO a donc interdit les compétitions en Russie et avec des Russes (athlètes, officiels, etc.) tout simplement parce que les compétiteurs ukrainiens en sont empêchés et non pas du fait de la guerre que livre la Russie contre l’Ukraine. Russes contre Ukrainiens, c’est «un dilemme qui ne peut être résolu», précise le CIO. Qui, pour le symbole, retire à Poutine la médaille de l’Ordre olympique en or attribué en 2001…
Il est maintenant assez piquant de voir le CIO appeler à ce qui ressemble à un boycott – sans que le mot soit prononcé – de la Russie et de la Biélorussie de toutes les compétitions sportives. En effet, alors que le CIO n’avait cessé des années durant de répéter que le boycott des JO ne servait à rien, que les Etats qui employaient ce moyen se plaçaient en dehors de l’Olympisme – un CIO suivi dans cette politique par quelques aficionados, en particulier le stratège politique, assez désopilant, Pascal Boniface – le mythe de la Trêve olympique s’est dissous le jour où la Russie de Poutine a envahi militairement l’Ukraine.
Le CIO a donc repris à son compte, contraint et forcé, la position politique de boycott des compétitions sportives se déroulant en Russie et chez ses proches satellites. «Aujourd’hui [25 février 2022], la commission exécutive du CIO demande instamment à toutes les Fédérations Internationales de sports de déplacer ou d’annuler leurs manifestations sportives actuellement prévues en Russie ou au Bélarus. Elles devraient tenir compte de la violation de la Trêve olympique par les gouvernements russe et bélarussien et placer la sûreté et la sécurité des athlètes au premier rang de leurs priorités. Le CIO lui-même n’a aucune manifestation prévue en Russie ou au Bélarus.
Par ailleurs, la commission exécutive du CIO demande instamment de ne pas déployer le drapeau national russe ou bélarussien et de ne pas jouer l’hymne russe ou bélarussien dans le cadre de manifestations sportives internationales qui ne soient pas déjà soumises aux sanctions édictées par l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) à l’encontre de la Russie.» On ne saurait mieux dire.
Conclusion provisoire
Cet appel du CIO, de fait au boycott, celui d’un pays (et non pas de ses athlètes), une position pourtant honnie, ne fera bien sûr pas reculer la Russie. Cet appel répond par contre à une position politique sur laquelle le CIO est obligé de s’appuyer pour ne pas apparaître comme l’auxiliaire de la puissance impérialiste russe et ruiner son idéologie de neutralité politique. Le CIO semblait capable de maintenir le crédo d’une différence essentielle et de nature politique entre état (russe) et individu (russe). Jusqu’à ce jour (3 mars 2022), les délégations russe et biélorusse étaient tout de même admises à concourir aux Jeux paralympiques et à d’autres compétitions sportives internationales. Il n’en est plus rien puisque les athlètes russes et biélorusses sont désormais interdits de compétition aux Jeux paralympiques de Pékin. «Le CIP [Comité international paralympique] croit que le sport et la politique ne devraient pas se mélanger, mais, que nous le voulions ou non, l’écho de la guerre est aussi arrivé jusqu’aux Jeux.»
Cette décision, pour le coup très politique, a été prise également pour que le Village olympique ne devienne pas le lieu de violence et d’affrontements entre délégations, l’ambiance commençant à être «volatile» pour reprendre l’expression du CIP. La guerre a donc percuté et fait exploser les dernières défenses apolitiques du CIO et du CIP. Le mythe de la neutralité politique entretenu par ces instances sportives depuis tant d’années s’est vite désagrégé au fur et à mesure de l’avancée des troupes russes en Ukraine. Les JO sont donc bien la matrice vivante des enjeux politiques qui se nouent et se dénouent sur l’ensemble de la planète. Les conflits s’y exacerbent. Ils sont même comme un précipité au sens chimique du terme des positions politiques (pacifisme, préparation à la guerre, guerre…) des Etats-nations à un moment particulier de leur histoire. Si « la guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens », pour reprendre la formule de Clausewitz, le sport (les JO) n’est que la continuation de la politique par son seul et unique moyen: la compétition qui n’est que la guerre à peine civilisée.
Rappelons que pour la Charte olympique, les nations n’existent pas en tant que telles dans la compétition sportive, seul l’athlète sans nationalité est admis à concourir et reconnu comme tel. Ce qui n’avait toutefois pas empêché le CIO d’exclure des JO par exemple l’Afrique du sud à cause de l’apartheid qui régnait (de 1964 à 1992). Le thème de la «neutralité politique» des JO s’est encore davantage compliqué puisque depuis 1996, le CIO reconnaît seulement les comités représentant «un État indépendant reconnu par la communauté internationale». Ce qui n’empêche pas non plus le classement officieux des médailles par nation, non prévu dans la Charte olympique, impliquant et redoublant la bataille entre les nations.
La confusion est à son comble. La décision de la Russie d’envahir l’Ukraine peut être lourde de conséquences au point de l’exclure du Mouvement olympique qui est constitué du CIO, des Fédérations internationales des sports et des Comités nationaux olympiques. La Russie retrouverait alors un «statut» de nation paria comme elle le fut jusqu’à son arrivée dans le giron olympique en 1952 (JO d’Helsinki).
A l’inverse de ce que l’on pourrait croire, le CIO n’est pas entré dans une crise qui pourrait l’affaiblir même si les événements ukrainiens le percutent avec violence et le minent de l’intérieur (que vont devenir les membres russes du CIO? que vont dire ses membres ukrainiens?). Le CIO est encore capable d’un énième retournement et prendre acte des départs de la Russie et de la Biélorussie, peut-être suivies par leurs amis politiques du moment : le Venezuela, la Birmanie, la Syrie, l’Iran (à demi-mot), bref les grandes démocraties de notre monde actuel.
Les répercussions en France de la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine vont progressivement se faire jour. Outre les immenses problèmes liés à l’énergie et à l’alimentation auxquels les Français vont devoir faire face, la question des JO de «Paris 2024» se pose à nouveaux frais dans le contexte de guerre actuel. Comment sera-t-il possible de maintenir cet événement, sans parler de l’intérêt qu’il devait susciter, du point de vue financier et politique lorsque la guerre est désormais présente en Europe. Il paraîtrait invraisemblable de poursuivre des travaux aventureux, pour ce qui était déjà une course à l’abîme pécuniaire, sans parler de ce moment de fête, cette manifestation magique, universelle et bien sûr pacifique que seraient censés représenter les JO.
Pour ma part (modeste), et pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, je crois raisonnable d’arrêter sans délai la préparation des JO de «Paris 2024» (Article reçu le 3 mars 2022)
Lucide, cohérente la démarche de Marc Perelman est de plus en plus recevable par tous, en dépit des rodomontades de la mairie de Paris.Si par ce genre d’analyse on pouvait épargner aux parisiens les projets inutiles et couteux que la ville de Paris allait subir.