Ukraine-débat. «Une guerre aux multiples enjeux écologiques»

Par Pour une écologie populaire&sociale (PEPS)

Nous savions que le XXIe siècle serait celui des guerres «vertes», des guerres de l’eau, de la biodiversité, de l’accaparement des terres, des guerres biologiques et climatiques. La guerre en Ukraine en est l’illustration.

1. Cette guerre comme toute guerre est une guerre sale sur le plan humain comme environnemental. Dès 2014, dans le Donbass les Russes ont inondé de nombreuses mines, ce qui a empoisonné l’eau potable et le sol. L’atmosphère a été gravement polluée par l’utilisation d’armes lourdes. Aujourd’hui, les forces russes emploient des bombes à sous munition, dont l’utilisation, le développement, la production, l’acquisition, le stockage et le transfert ont été interdits en 2010 par une convention internationale.

Les fauteurs de guerre ont du sang sur les mains: milliers de morts civils ou militaires et de blessés, centaines de milliers d’exilés, bombardements contre les populations… constituent des crimes de guerre. L’invasion militaire russe a des conséquences dramatiques en termes de déplacement de populations, de régression des conditions de vie, de régression des libertés démocratiques. La guerre ne profite qu’aux puissants, aux marchands d’armes et aux capitalistes. Les écologistes sont contre la guerre car elle ne résout aucun problème, elle les aggrave. Comme le disent 170 journalistes russes qui ont rédigé une lettre ouverte condamnant la guerre de Poutine «La guerre n’a jamais été et ne sera jamais une méthode de résolution des conflits et rien ne la justifie».

Pourtant si les écologistes sont partisans de la résistance non violente de la désobéissance civile, ils ne sont pas en soi des pacifistes si ce terme consiste à se coucher devant l’agresseur. Ce qui veut dire qu’un peuple a le droit à l’insurrection y compris armée contre les tyrans qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur comme dans le cas de l’Ukraine

2. Cette guerre remet au centre la question du nucléaire civil et militaire. C’est la première fois depuis l’affaire des missiles de Cuba en 1962 que le monde est menacé par un dirigeant qui brandit la force nucléaire comme moyen de chantage. Mais nous ne sommes pas en 1962. Les armes nucléaires se sont adaptées et peuvent cibler des objectifs localisés. De plus, les 16 réacteurs nucléaires [1] sont en fonctionnement dans le pays où Tchernobyl a eu lieu et où ce site est devenu un enjeu de la guerre [les Russes contrôlent le site]. Cela dit d’ailleurs à quel point nucléaire civil et militaire sont liés et pourquoi il faut en finir avec les deux. C’est pourquoi nous demandons la reprise des négociations sur la maîtrise des armements et le désarmement nucléaire. Nous exigeons l’arrêt de tout déploiement de forces nucléaires et le démantèlement des bases nucléaires en Biélorussie et en Russie ainsi que celles installées en Pologne ou en France.

3. Cette guerre est une guerre de l’énergie. Les Etats-Unis exercent une pression économique et énergétique sur la Russie en faveur du gaz naturel liquéfié (GNL) américain et au contrôle de la route commerciale arctique, qui s’ouvre avec la fonte des glaces due à l’effet destructeur du capitalisme sur l’environnement naturel et l’écosystème. La Russie [possède des ressources] de pétrole et de gaz immenses, et la fonte de la banquise arctique sous l’effet du réchauffement climatique devrait encore les accroître. Elle conserve aussi les deuxièmes réserves mondiales identifiées de pétrole, derrière l’Arabie saoudite. La Russie fournit 30 % de leur pétrole aux Européens et environ 40 % de leur gaz et met l’Union européenne, sous dépendance. Ces pays ont fait l’impasse sur les nécessaires économies d’énergies, et le développement des énergies renouvelables. En refusant de mettre en cause leur mode de vie, les Européens sont victimes du chantage russe au gaz. Ce refus obstiné d’une décroissance choisie (par exemple en diminuant drastiquement les trajets en avion ou en consommant moins de viande issue de l’élevage industriel) va déboucher avec cette guerre sur l’accélération d’une décroissance subie par l’inflation et des pénuries qui toucheront en priorité les classes populaires et notamment les plus précarisé.es.

4. Cette guerre est aussi une guerre de la souveraineté alimentaire. L’Ukraine est un grenier à blé pour toute l’Europe. Si la Russie s’en empare, elle qui a aussi des immenses ressources agricoles exercera un chantage sur l’alimentation de l’Europe. Comme celle-ci n’a pas rompu avec le modèle productiviste de l’agriculture, elle sera encore plus dépendante de la Russie. Wladimir Poutine met la main sur une partie du véritable «grenier à blé» du continent européen. Là-bas, les terres agricoles représentent plus de 70 % de la surface du pays, soit 42 millions d’hectares, presque deux fois les surfaces cultivables de la France. D’autre part, le tchernoziom («terre noire» en russe) est l’un des meilleurs sols au monde. Cette terre contient 3 à 15 % d’humus et s’étale sur 1 à 6 mètres de profondeur. Elle est si riche en potasse, phosphore et oligo-éléments qu’on peut facilement se passer d’engrais azotés pour travailler ces sols. Voilà pourquoi ce pays qui par ailleurs est déjà victime d’accaparements des terres par l’agro-business européen est un enjeu de souveraineté alimentaire.

5. Cette guerre est une guerre pour l’écocide d’un peuple. PEPS l’a dit le premier jour de guerre. Le but est la destruction de l’Ukraine en tant que peuple, nation, Etat. Si nous avons dénoncé la responsabilité de l’OTAN et des va-t-en-guerre en Occident, il n’en est pas moins que Wladimir Poutine a décidé de cette stratégie de guerre totale non pour des raisons de sécurité mais par volonté impérialiste. Cette guerre asymétrique du faible au fort est une guerre pour la survie d’un peuple. Poutine nie l’existence historique, culturelle, linguistique de l’Ukraine. Le Peuple Ukrainien existe. Il reprend les traditions de lutte, de résistance et d’auto-organisation que l’armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne, la Makhnovchtchina avait eues contre les Allemands, les Russes blancs et ensuite contre la trahison des bolcheviks.

6. Cette guerre participe comme le réchauffement climatique au déplacement forcé des populations. Le fait que la Pologne, la Roumanie et la Hongrie ouvrent leur frontière aux réfugiés ukrainiens est une bonne chose. Mais le tri que ces pays exercent en refusant le passage des réfugiés arabo-musulmans ou noirs est criminel et démontre que les «phénomènes migratoires» sont devenus des enjeux civilisationnels. Quand des humains sont en danger, la notion de frontière n’existe plus. Ouverture des frontières pour accueillir les populations qui doivent fuir la guerre en leur apportant l’aide concrète nécessaire à court et à plus long terme.

7. Cette guerre est une guerre contre le peuple russe. Notre soutien va à ceux et celles qui, en Russie, rejettent la politique de Poutine parce qu’ils et elles se battent pour la paix, la solidarité entre les peuples, contre le nationalisme et l’extrême droite. De grandes manifestations ont eu lieu dans des dizaines de villes de Russie. Plus de 6500 arrestations ont eu lieu. Le mouvement féministe se mobilise comme la jeunesse, les artistes, les journalistes ou les intellectuels. Un mouvement anti-guerre est en train de naître dans ce pays qu’il nous faut soutenir notamment en accueillant les déserteurs de l’armée russe à bras ouvert. Ceux et celles qui se battent contre Poutine avec courage et détermination sont nos frères et sœurs.

8. Cette guerre a une dimension économique et se mène aussi entre des Etats capitalistes et aura des conséquences sur les classes populaires, en France. Les sanctions économiques prises contre la Russie si elles sont justifiées entraîneront une hausse des prix des produits de premières nécessités, du gaz, du pétrole et de l’électricité. La hausse de ces dépenses contraintes est insupportable et rend encore plus urgente la revendicationde blocage des prix de ces produits ainsi que la revendication d’un prix plancher relevé pour la production paysanne. Ce n’est ni aux paysans ni aux consommateurs de payer la crise, c’est aux grands distributeurs, à l’industrie agro-alimentaire, à EDF, ENGIE et à Total de la payer! Cette crise ne rend que plus urgente la nécessité de nationaliser ces dernières.

9. Pour une paix durable, soutien total à la résistance civile et armée. Nous devons à la fois soutenir la résistance y compris par la livraison d’armes à la demande du peuple ukrainien pour lutter contre l’invasion russe de son territoire. Il s’agit d’une solidarité élémentaire avec les victimes de l’agression d’un adversaire beaucoup plus puissant. L’armement c’est la condition de l’établissement d’un rapport de forces avec Poutine. Il s’agit de lui tordre le bras pour l’obliger à la désescalade, au cessez-le-feu immédiat, à la continuité des négociations. Parallèlement nous soutenons l’organisation d’une Conférence Internationale de sécurité européenne sur la base de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, signée en 1990 par 34 chefs d’Etats, et la Charte de sécurité européenne de l’OSCE signée en 1999. Nous souhaitons aussi la réouverture dès que possible des négociations OTAN-Russie qui consacrent l’engagement à assurer une sécurité égale et à ne pas rechercher sa sécurité au détriment de celle de l’autre. Pour que la diplomatie l’emporte sur la guerre, il faut d’abord soutenir le peuple ukrainien dans sa lutte contre l’agresseur.

10. Cette guerre impérialiste contre le peuple ukrainien est la nôtre. Ce n’est ni celle de Macron, ni celle de l’OTAN, c’est celle des peuples qui résistent à la barbarie impérialiste. Cette guerre fait entrer le monde dans une nouvelle phase historique. Pour les écologistes altermondialistes, Poutine est l’agresseur et l’Ukraine l’agressé. Même si nous n’oublions pas les responsabilités de l’OTAN qui n’a eu de cesse, depuis la fin de la guerre froide, d’encercler la Russie et de l’humilier, nous ne les mettons pas sur le même plan car, en ce moment, comme pendant la guerre d’Espagne ou pendant la guerre du Vietnam, un peuple se bat pour sa liberté. Les conséquences militaires et économiques vont au-delà du territoire de l’Ukraine. C’est une guerre européenne dans laquelle comme au Rojava face à Daech et à la Turquie nous devons choisir notre camp, le camp du peuple même si celui-ci est soutenu par des forces que nous considérons comme des adversaires. C’est pourquoi, si nous demandons la dissolution de l’OTAN et le retrait des troupes et des bases américaines et de l’OTAN, nous demandons simultanément le retrait de celles de l’OTSC, le Pacte de sécurité Russe en Biélorussie, au Kazakhstan.

Soutien total à la résistance du peuple ukrainien!

Poutine dégage! Non à la guerre impérialiste russe! (3 mars 2022)

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[1] Le site du Monde, en date du 4 mars 2022 indique: «La centrale nucléaire de Zaporijia, dans le centre de l’Ukraine, a été touchée vendredi 4 mars par des frappes de l’armée russe. Elles ont provoqué un incendie, mais la sécurité de la centrale est « garantie », selon Kiev. Il s’agit de la plus grande centrale atomique d’Europe. Dotée de six réacteurs, elle fournit une grande partie de l’énergie du pays… « A la suite d’un bombardement des forces russes sur la centrale nucléaire de Zaporijia, un incendie s’est déclaré », a fait savoir le porte-parole de la centrale, Andreï Touz, dans une vidéo publiée sur Telegram. « La sécurité nucléaire est maintenant garantie. Selon les responsables de la centrale, un bâtiment pour les formations et un laboratoire sont touchés par un incendie », a par la suite déclaré sur Facebook Oleksandre Staroukh, chef de l’administration militaire de la région de Zaporijia. Un temps empêchés d’intervenir par l’armée russe, les secours ont finalement pu accéder au site. « Les unités sont intervenues pour éteindre l’incendie du bâtiment pour les formations », a indiqué le Service ukrainien d’urgence dans un communiqué sur Facebook, précisant qu’aucune victime n’était à déplorer et que 44 pompiers et 11 véhicules étaient engagés dans l’opération. Un seul des six réacteurs est en fonctionnement.»

Ce bombardement confirme la déclaration faite le 22 février par des spécialistes russes et étatsuniens de l’énergie nucléaire qui se sont joints aux membres de l’International Physicians for the Prevention of Nuclear War (IPPNW, Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire) – une coalition de médecins qui a remporté le Prix Nobel de la paix en 1985 pour ses travaux sur la non-prolifération nucléaire – sur le danger d’une catastrophe nucléaire provoquée par un conflit militaire en Ukraine. Ils indiquaient: «L’Ukraine ne possède pas d’armes nucléaires, elle possède plus d’une douzaine de réacteurs nucléaires qui pourraient être dans la ligne de mire si la situation actuelle devait dégénérer en guerre totale» (voir l’article de Jake Johnson publié le site Common Dreams le 23 février 2022).

Les dernières informations confirment que la centrale  nucléaire de Zaporijia est sous contrôle des forces armées du Kremlin. Selon diverses sources, les spécialistes ukrainiens sont restés à leur poste et surveillent la mise en pause de deux des six réacteurs.

Le projet de Poutine pourrait être le suivant: 1° utiliser le contrôle de la centrale pour ouvrir et fermer le robinet électrique aux Ukrainiens, dans l’immédiat, et accroître les effets des destructions des infrastructures (eau, électricité, accès à la nourriture) qui comprennent aussi écoles et hôpitaux, qui sont bombardés; 2° «intégrer» cette centrale aux ressources énergétiques de la Russie, puisque, selon le maître du Kremlin, l’Ukraine n’existe pas. (Réd. A l’Encontre)

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