Étonnante volte-face. Alors que l’Union européenne nous était présentée comme le seul cadre rationnel d’une immersion dans la mondialisation, voici que l’horizon économique et social ne se jouerait plus que dans le cadre hexagonal. La France doit « être forte »… Sans doute, mais comment, pourquoi et surtout pour qui ?
Cette soudaine «défense du maillot» ne cesse d’étonner, surtout de la part du plus haut responsable de l’État. Nicolas Sarkozy, qui en 2007 expliquait «Je veux être le Président d’une France qui dira aux Européens: nous voulons l’Europe, nous la voulons parce que sans elle nos vieilles nations ne pèseront rien dans la mondialisation, sans elle nos valeurs ne pourront pas être défendues.»
Si notre sort ne dépend plus que de nous… qu’allons-nous faire de l’imbrication grandissante des marchés européens, des capitaux et des actionnariats? Qu’allons-nous faire de la fusée Ariane, d’Airbus, d’Eurocopter tous trois consortiums européens, d’Air France-KLM, de l’alliance Renault-Daimler et de quelques milliers d’autres? Qu’allons-nous faire de la Banque centrale européenne? Et des traités européens?
N’y a-t-il pas embrouille à clamer soudain que l’économie française doit se dresser seule contre tous, alors que tout le contraire a été fait depuis 30 ans? Il est vrai que nous sommes habitués aux discours contradictoires. Entre : «L’Europe, je l’imagine comme un multiplicateur de puissance non comme un facteur d’impuissance, comme une protection non comme le cheval de Troie de tous les dumpings, pour agir et non pour subir.» (2007)… Et «L’Europe qui tolère le dumping social et le dumping fiscal entre ses États membres, l’Europe qui supporte que les subventions qu’elle verse à certains de ses membres pour les aider à combler leur retard sur les autres, puissent servir à baisser leurs charges et leurs impôts pour faire aux autres une concurrence déloyale, cela ne peut plus durer.» (Nicolas Sarkozy, Toulon 1er décembre 2011). Mais au fait, qui était dans la cabine de pilotage durant cette période?
L’Europe, mais une autre Europe
Or voilà que l’Europe disparaît soudain des radars électoralistes et que l’ambition économique se resserre sur la France seule. N’est-ce pas un peu démagogique cela?
Car même si le désastre actuel fut largement porté par une construction européenne vouée aux seuls «marchés», l’horizon économique et social s’est bel et bien déplacé, sans doute de manière irréversible. C’est désormais au niveau européen qu’il faut définir un modèle économique (et social) qui prenne en compte la réorganisation industrielle mondiale et permette de définir des besoins en matière d’investissement et d’aménagement des territoires – sans que ce soit la seule rentabilité des marchés qui décide de tout.
Aussi, s’affirmer soudain «seuls contre tous», les yeux braqués sur l’adversaire industriel allemand notamment, n’est-ce pas le déguisement d’une continuité européenne en matière de dumping social et fiscal, de concurrence libre et non faussée?
Un changement de discours qui en réalité sert à cacher la poursuite du même projet. A-t-on entendu le moindre ministre français dénoncer les propos suivant de la Banque centrale européenne (BCE), en décembre 2011: «Les réformes du marché du travail doivent s’attacher à éliminer les rigidités et à accentuer la flexibilité des salaires. Les réformes des marchés de produits doivent viser à leur ouverture complète à une concurrence accrue»?
Enfermé dans ce schéma, il ne reste en effet plus qu’à courir derrière le coût du travail « allemand », puis demain «italien» et après-demain « espagnol » ou « irlandais ». Jusqu’où ? Le «chacun pour soi» (et son application locale sous la forme «France forte») n’est finalement que la continuité d’une Europe vouée à la mise en concurrence des facteurs de production («terre», «travail», «capital»).
Au contraire, la réponse devrait être celle d’un projet européen radicalement différent fondé sur la satisfaction des besoins sociaux de tous, source d’une demande pérenne à l’industrie en matière de production, d’innovation et d’emplois. La part dédiée à l’exportation découlera tout naturellement d’une exigence de qualité centrée sur les besoins sociaux locaux. Au niveau des grandes entreprises, leurs responsabilités économiques et sociales (naturelles ou contraintes par la loi) devraient bien plus compter que la « nationalité » toute théorique de leur capital qu’il soit allemand, français… américain, indien ou qatari (1er actionnaire de Lagardère, 2ème chez Vinci). L’emploi, la «croissance soutenable», la production de valeur socialement utile devraient d’abord découler de leurs capacités à satisfaire le développement des territoires européens, régionaux et nationaux, placé dans un contexte mondialisé. Mais ce serait bien plus qu’une simple réforme des traités actuels.
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