Par Esther Benbassa
Tandis que la torpeur de l’été commence à occulter le feuilleton Bettencourt, Nicolas Sarkozy se relance, tête baissée, dans sa politique sécuritaire. Les faits sur le terrain, si on prend garde aux montées de colère ici et là, n’attestent pas pourtant, jusqu’ici, de sa réussite.
Au contraire, ils étalent au grand jour son échec et l’incapacité de l’Etat à trouver des solutions viables pour changer la situation d’un pays qui n’a pas su gérer ses villes-ghettos, ni endiguer la violence, ni jeter les bases d’un possible vivre-ensemble, ni même simplement mettre en place des dispositifs susceptibles d’inclure ses populations immigrées, descendants d’immigrés ou gens du voyage.
À l’inverse, les déclarations stigmatisantes du Président donnent une légitimité au racisme. Si, quand sa popularité ne fait que chuter, elles visent à lui attirer la sympathie de l’électorat d’extrême droite pour les prochaines échéances présidentielles, elles instaurent surtout un climat policier et xénophobe.
Sarkozy alimente la confusion et la stigmatisation
Le policier ne peut pourtant pas devenir le symbole prochain d’une France moderne née de la Révolution, ni la xénophobie la ligne directrice de sa politique.
Le Président surfe sur les préjugés bien connus concernant les gens du voyage, voleurs, mendiants, personnes vivant d’expédients, incontrôlables, dont «l’errance» – réelle ou supposée – menacerait la sécurité des bonnes gens.
Il crée également la confusion entre gens du voyage français depuis de nombreuses générations et Roms, venus principalement d’Europe de l’Est et des Balkans avec l’élargissement de l’Europe, et dont le nombre se situerait entre 15’000 et 20’000 âmes.
Cette confusion fait implicitement des gens du voyage des sortes d’étrangers nomades – alors même que nomade, la grande majorité ne l’est plus, installée en caravane sur des terrains depuis des décennies – tandis qu’elle fait des Roms eux-mêmes des immigrés.
La boucle est ainsi bouclée, la simplification étant le chemin le plus court pour renforcer le rejet et par conséquent les discriminations envers cette catégorie de population qui en souffre déjà depuis longtemps.
Au lieu d’améliorer la cohabitation, on marginalise
La manifestation violente de la colère de quelques-uns, suite à la mort, causée par un gendarme, de l’un des leurs, a été instrumentalisée pour justifier la politique xénophobe et sécuritaire du gouvernement, visant en l’occurrence les gens du voyage, ces «barbares», dans leur globalité.
Amalgames, coercition et expulsions, voilà ce qu’on offre à des populations françaises dites gens du voyage, déjà maltraitées, lorsqu’elles osent exprimer leur mécontentement.
Au lieu de concevoir des politiques de cohabitation des groupes de cultures différentes, on marginalise un peu plus. Ainsi établit-on différentes catégories de Français, les bons et les autres, ceux de seconde zone.
«Restons entre bons Français» sera-t-il le slogan de demain? Belle utopie en ces temps d’hybridité et de circulation que ce soit des hommes et des femmes ou de l’information et de la culture, tout simplement. Les théories raciales ont créé des sous-hommes, nous voilà maintenant en France avec des sous-Français.
C’est ce qu’institue clairement la déclaration du président Sarkozy le 30 juillet à Grenoble [voir à ce sujet l’article publié sur ce site en date du 31 juillet 2010], préconisant de retirer la nationalité française à «toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police, d’un militaire de la gendarmerie ou de toute personne dépositaire de l’autorité publique».
En juillet 40 déjà, on disait: «Etre français se mérite»
L’ambition est bien de créer deux catégories de Français: ceux dont «l’ADN» serait garanti de souche et les autres, à qui on a fait la faveur de donner la nationalité française, en fait un simple privilège sur lequel on peut revenir au gré des humeurs du Prince, et ce dans un État de droit.
Certes, la loi prévoit des cas de dénaturalisation en cas d’espionnage ou de terrorisme dans les dix années qui suivent la naturalisation. Avait-on besoin d’élargir ce cadre et pour quoi faire ?
Ainsi se représentera-t-on une France avec des Français pour toujours et une autre, avec des Français provisoires, favorisant ainsi une guerre de nationaux, dans un pays autoritaire, enfin net, sans mélange.
Chacun saura où il se place, les premiers, dépositaires d’une nationalité «immuable», étant de toute évidence supérieurs aux seconds. En somme, une France enfin démocratique…
Monsieur le Président, rien de neuf dans tout cela. Est-il interdit de rappeler, même si les circonstances étaient autres, cette loi du 22 juillet 1940 créant une commission de révision des naturalisations postérieures au 10 août 1927, et qui aboutira à la dénaturalisation de centaines de milliers de Français de fraîche date ? Le garde des Sceaux de l’époque, Raphaël Alibert, qui devait la mettre en œuvre, ne disait-il pas – déjà – : «Etre français se mérite» ?
Par la suite, une loi datée du 7 octobre 1940 abroge le décret Crémieux du 24 octobre 1870, entraînant la dénaturalisation collective des juifs d’Algérie non occupée. Vous connaissez la suite, je suppose, Monsieur le Président.
Un coup de pouce au communautarisme qu’on dénonce
Ces «punitions» d’un autre temps arrêteront-elles la montée de la violence ou de la délinquance ? On peut en douter. En revanche, une chose est sûre: les Français nés de parents étrangers se sentiront de plus en plus étrangers, nourriront de plus en plus de ressentiment et les Français «purs» discrimineront à leur guise, avec la bénédiction du Président, tout en se pensant non-racistes, mais autorisés à voir des inférieurs dans certains de leurs compatriotes.
On ne peut pas mieux faire pour diviser la France et donner un coup de pouce au fameux communautarisme tant dénoncé par les élites au pouvoir. On s’assemble avec ceux qui vous accueillent et non avec ceux qui vous rejettent.
Demain, étendra-t-on cette mesure aux Français nés de parents étrangers ou naturalisés qui ne sont pas dociles, qui ne se plient pas aux règlements, et qui sait, plus tard, à ceux qui n’adhèrent pas à l’UMP ou ne votent pas Sarkozy ?
L’extrême droite préférera un vrai xénophobe à un joueur de poker
Brice Hortefeux n’a déjà pas tardé à envisager des prolongements en menaçant de déchoir de leur nationalité ceux qui pratiquent la polygamie, l’excision, la traite d’être humains ou commettent des actes de délinquance grave.
Comme on le voit, les scénarios possibles sont multiples. Être d’origine étrangère serait-il déjà en soi un délit – dont seraient coupables, en fait, près du quart de la population française, Monsieur Sarkozy compris ?
Et dire que tout cela se résume à une pêche aux voix incertaine. L’extrême droite préférera un authentique xénophobe à un joueur de poker qui imagine une nation utopiquement «homogène» (on se demande pourquoi faire, si ce n’est pour caresser les plus vils penchants racistes) au lieu de remédier aux maux dont elle souffre d’une manière chronique faute d’innovation, d’audace, de politique d’immigration et d’intégration cohérente et de pragmatisme au quotidien.
Il est à espérer que les Sages qui contrôlent l’exécutif sauront arrêter ces dérives, avant que ce vent mauvais ne souffle un peu partout dans les institutions et dans la rue.
* Esther Benbassa enseigne à l’Ecole pratique des Hautes Etudes à Paris. Elle a dirigé la publication du Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations, Ed. Larousse, 728 pages, 2007. La tribune publiée ci-dessus a été mise en ligne sur le site Rue 89.
Soyez le premier à commenter