Par Stathis Khouvelakis
La déclaration de politique générale d’Alexis Tsipras de ce soir – dimanche 9 février – a été suivie avec une attention particulière tant dans le pays que dans les chancelleries européennes; et sans doute aussi aux USA.
Dans le pays, après le chantage de la BCE et les agressions continues des dirigeants européens, s’étend une atmosphère d’effervescence, de dignité retrouvée, de volonté à la fois de soutenir le gouvernement face au chantage et de faire pression pour empêcher tout recul.
A l’extérieur, et plus particulièrement dans les milieux dirigeants, on soupesait chaque mot et surtout chaque mesure annoncée pour jauger de la détermination du premier ministre (Alexis Tsipras) et de son gouvernement.
La plupart s’attendaient à une inflexion significative, annonçant un retrait, qui faciliterait un «compromis» lors des sommets européens de cette semaine, en réalité une soumission de la Grèce aux diktats. Ceux-là ont certainement été déçus. Car Alexis Tsipras n’a en réalité fait aucune concession de fond.
Certes, il a évité d’utiliser le terme «annulation de la dette». Mais il a fortement insisté sur son caractère non-viable, revendiqué sa «diminution» et sa «restructuration». Autre point: il n’a pas annoncé le rétablissement immédiat du SMIG (salaire minimum) à son niveau de 2009 (751 euros) mais il s’est engagé à le rétablir courant 2015 [ou début 2016, par contre le salaire minimum des jeunes a été élevé au niveau du salaire minimum des adultes; Réd. A l’Encontre]
Pour le reste, il a égrené tous les points du programme de Thessalonique de septembre 2014: mesures d’urgence pour faire face au désastre humanitaire (nourriture, rétablissement du courant électrique, transport et couverture médicale pour tous), rétablissement de la législation du travail, suppression des taxes injustes sur le foncier, réforme fiscale pour faire payer les riches, relèvement du seuil d’imposition à 12 mille euros, réintégration des fonctionnaires licenciés, fin des privilèges accordés aux médias privés, reconstitution de l’ERT [audiovisuel public, fermé brutalement en juin 2013 par Samaras; l’ERT disposait d’un signal dans tout le pays], activation des parts des banques détenues par l’Etat, fin de la mise en l’encan du patrimoine public (port, infrastructures, énergie), fin de la répression policière des mobilisations populaires.
Point stratégique: Alexis Tsipras a répété qu’il refuse de demander l’extension du «programme d’assistance» actuel et la tutelle de la Troïka et a demandé une extension de la liquidité accordée aux banques grecques basée sur le remboursement des profits effectués par les banques centrales de la zone euro sur la dette grecque et l’extension de la capacité d’endettement du gouvernement grec. Il a enfin insisté sur la nécessité de budgets équilibrés tout en refusant les excédents primaires exorbitants destinés à rembourser ad vitam eternam la dette et à recycler l’autorité. Mais même cet engagement de budget à l’équilibre paraît difficilement compatible avec les mesures sociales annoncées dans un contexte de rentrées fiscales anémiques.
Réforme hautement symbolique, celle du code de la nationalité, pour accorder la citoyenneté à tous les enfants d’immigrés nés en Grèce, dont il a fait un éloge vibrant. Il a également longuement insisté sur le rôle du nouvellement créé ministère de l’immigration, dont il a souligné le rôle dans la protection des droits humains et de la dignité des personnes, tout en demandant un changement de la politique européenne en la matière. Preuve, s’il en fallait, que la participation des Grecs Indépendants (ANEL) au gouvernement n’a modifié en rien la position de Syriza sur ces questions.
En réalité, le noyau dur des Mémorandums a été balayé. La rupture est bien là. Et Alexis Tsipras a enfoncé le clou de plusieurs façons. Tout d’abord il s’est explicitement référé au rôle de la mobilisation en Grèce et à la solidarité internationale, qu’il a salué de façon appuyée, dans la bataille que livre le gouvernement. Et il a été d’une grande fermeté sur le fait que le rétablissement de la souveraineté nationale et démocratique et de la dignité du peuple grec ne sont pas négociables. Dans le contexte actuel, cela équivaut à un appel à descendre dans la rue, et je ne doute pas qu’il soit entendu, en Grèce et en Europe.
De plus, à la fin de son discours, après un long hommage à la longue histoire de lutte du peuple grec, il a remis sur le tapis la question des indemnités de guerre de l’Allemagne et placé Manolis Glezos à la tête de la démarche qui sera menée par le gouvernement. Or l’on sait que ce sujet est un véritable «chiffon rouge» pour les dirigeants allemands. [Voir à ce propos le dossier historique publié sur ce site en date du 1 mai 2012]
Globalement, on peut dire qu’Alexis Tsipras a envoyé un message de fermeté et de combativité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son pays. Il a démenti les attentes de ceux qui misaient déjà sur une pente descendante de concessions menant à une capitulation. Il semble tout à fait exclu que les dirigeants européens puissent tolérer en quoi que ce soit la politique qui a été présentée aujourd’hui devant le parlement grec.
On se trouve donc bien devant un scénario de confrontation, qui prendra un tour décisif au cours de cette semaine, avec la conjonction des sommets européens et des mobilisations de rue. Nous sommes sans doute à la veille de grands événements, qui peuvent bouleverser le cours actuel des choses en Grèce et en Europe.
Dans la combinaison de la détermination de la direction grecque, de la mobilisation du peuple et de la solidarité internationale se trouve l’«équation magique» d’une victoire possible!
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Stathis Khouvelakis est membre de Syriza. Il est professeur au King’s College London
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