Par Petros Tsagaris
Le résultat historique du 25 janvier signifie que le peuple grec a donné le mandat à SYRIZA d’abolir l’austérité. C’est-à-dire la politique qui a conduit à l’effondrement des salaires et des pensions, à une imposition expropriatrice sur les pauvres, à la destruction du système de santé, des «assurances sociale» (déjà fragiles) et du système éducatif, et à l’envol du chômage, ainsi qu’à une récession brutale et d’ampleur [moins 22% du PIB de 2010 à 2014], à une émigration massive des secteurs les plus qualifiés de la population active, et finalement à un pillage sans précédent de la richesse publique. En même temps le peuple a donné le mandat d’abolir les outils qui ont imposé l’austérité, c’est-à-dire les atteintes à la démocratie et aux droits, l’institutionnalisation de l’autoritarisme, l’Etat policier, le règne de l’arbitraire du système juridique contre le monde du travail, contre le droit de grève [conscription obligatoire des salarié·e·s dans certains secteurs comme le métro, l’enseignement, etc.].
Les premières déclarations de plusieurs nouveaux ministres de ce gouvernement se sont concentrées sur la nécessité de mettre fin à ces politiques. Il s’agit de déclarations parfaitement conformes au programme de Thessalonique: rétablir le salaire minimum à 751 euros [en vigueur en 2009 avant les mémorandums], ainsi que les négociations collectives, réembaucher les gardiens des écoles mis en disponibilité, ainsi que les nettoyeuses de certains ministères, rétablir la 13e allocation pour les retraités·e·s touchant moins de 700 euros mensuels, mettre fin à d’autres privatisations, désarmer la police lors des manifestations, protéger les droits des migrant·e·s et reconnaître la nationalité des enfants nés en Grèce ou ayant fait leur scolarité en Grèce. Par conséquent, les déclarations de ces ministres ont créé une forte attente parmi les larges masses du peuple, même celles qui n’avaient pas voté pour SYRIZA [lors de sa présentation programmatique, le 8 février 2015, Alexis Tsipras a dans les grandes lignes confirmé le programme de Thessalonique; cet article a été publié six jours avant].
Des réactions
Mais l’abolition de l’austérité est une politique qui est en contradiction flagrante avec les intérêts de la classe dirigeante, qui en a profité dans les années du mémorandum [dès 2010 et antérieurement].
Ainsi, malgré l’ébranlement au sein de leurs partis [Nouvelle Démocratie et Pasok, entre autres] suite à leur défaite, la droite et les autres forces pro-mémorandum ont immédiatement dirigé leurs flèches vers les ministres de l’«intérieur» et c’est notamment Kyriakos Mitsotakis [1] qui a affirmé que dans les ministères clés, les nouveaux chefs ont des «idées dangereuses en ce qui concerne les privatisations»!
Même les «partisans critiques» tardifs du gouvernement, issus de la classe dirigeante, ont également porté leurs attaques contre les ministres «de l’intérieur». Le rédacteur en chef de l’influent ToVima, Stavros Psycharis, dans l’édition du 1er février 2015, met en garde Tsipras ou le félicite selon la façon dont le premier ministre «se distancie» ou non des déclarations radicales de ses ministres. Voici ce qu’il écrit: «A peine 24 heures se sont passées après la prestation de serment du nouveau Cabinet des ministres que ses membres ont commencé à faire des déclarations au sujet de la mise en œuvre d’une politique radicale – d’après eux. Il a fallu une mobilisation immédiate et une intervention décisive de M. Tsipras pour atténuer des déclarations ministérielles qui ont causé la chute de la bourse. La liste des options irréalistes de certains cadres de Syriza concernent par exemple les investissements de la Chine en Grèce.» [Entre autres l’interruption de la deuxième phase de la privatisation du port du Pirée.]
Ce n’est probablement pas un hasard qu’ont été finalement arrondies les premières déclarations concernant ces «options irréalistes». Par exemple, a été relativisée «la priorité du gouvernement concernant le rétablissement immédiat du salaire minimum à 751 euros. Le projet de réexaminer toutes les privatisations (par des déclarations explicites de la part de M. Varoufakis) a également été révisé. Nos préoccupations au sujet de la non-remise en cause des privatisations n’ont pas seulement une base idéologique. Mais elles ont une base matérielle effective. Par exemple, on ne peut pas sauver le système de retraite qui s’effondre rapidement sans disposer des énormes revenus (et donc de la propriété) de l’OPAP (Organisme de Loterie Nationale). Cette institution a été vendue pour un plat de lentilles à des amis locaux et étrangers de Samaras. On ne peut pas, non plus, mener une politique en faveur du peuple sans contrôle total de Dimosia Epichirisi Illektrismou (Compagnie d’électricité).
Les carburants
Dans une guerre, toutes les alliances possibles sont compréhensibles: avec Obama contre Merkel, avec Hollande et Renzi contre Schäuble, avec Schulz et Lagarde contre les oligarques grecs. Mais le combustible nucléaire dont SYRIZA dispose est autre:
• Tout d’abord, c’est le vent d’espoir qui remue tous les peuples de l’Europe et l’impact politique qu’il donne à la gauche en Espagne, en Irlande, en France, en Angleterre et même en Allemagne et en Turquie.
• Ensuite, et plus important encore, l’appui massif à SYRIZA par le peuple grec et surtout par les travailleurs, les chômeurs, les jeunes et les agriculteurs.
• Enfin, le monde du travail envisage à travers SYRIZA, à la fois en Grèce et dans le reste de l’Europe, qu’il y a une autre façon de faire les choses, que l’austérité n’est pas la seule option.
Mais les gens savent maintenant que les arguments sur la «vie austère» et les voitures «Porsche Cayenne» [allusion à une déclaration de Varoufakis] passent, par la suite, à la phase «nous avons tous vécu au-dessus de nos moyens» et conduisent à l’austérité sévère pour les pauvres et pas pour les détenteurs de Porsche. Par conséquent SYRIZA doit mettre pleinement en œuvre les promesses de Thessalonique «quel que soit le résultat de la négociation» avec l’UE, sans détours, comme peuvent le laisser entendre des déclarations du ministre des Finances.
Si SYRIZA arrête la guerre contre l’austérité, elle sapera elle-même son «combustible nucléaire». Sans lequel ni Obama ni Hollande ni personne parmi ceux qui, pour leurs raisons particulières, s’opposent à Merkel ne s’en occuperaient.
Lien critique: les banques
Un domaine crucial où l’«adoucissement» des «options irréalistes» de SYRIZA peut saper toutes les proclamations de Thessalonique est le secteur des banques. Le programme de SYRIZA prévoit que le système bancaire entrera «sous la propriété et le contrôle du gouvernement, avec des changements radicaux dans son fonctionnement et quant aux objectifs qu’il sert actuellement». Cette question ne relève pas d’un ordre idéologique, mais, elle aussi, est directement liée à des besoins matériels. Le rôle du gouvernement dans le système bancaire cible le contrôle des fuites de capitaux à l’étranger; la lutte contre le retrait massif des dépôts (bank run) qui peut-être organisé par la classe dirigeante (qui a perdu le pouvoir); le contrôle de prêts sans intérêts ni remboursement qui ont été attribués – et le sont encore – aux deux autres pôles du triangle de la corruption (partis bourgeois, chefs des médias); le contrôle de la politique économique globale par le nouveau gouvernement.
Cependant, les premiers gestes du gouvernement dans ce domaine vont en sens inverse. L’Eurobank [3e banque de Grèce, présente en Bulgarie, en Roumanie, en Serbie et Turquie; Spira Latsis en est une des figures clés] reste, pour l’instant, dans les mains d’une société canadienne. Le pire est que la société propriétaire aura le contrôle aussi à l’avenir puisqu’elle vient d’imposer – après la victoire de SYRIZA – un nouveau président et un nouveau PDG de son choix. Bien sûr, tous les deux proviennent de «l’Etat banquier profond», c’est-à-dire de ce personnel qui a conduit le système bancaire grec à cette crise sans précédent, et pour le sauvetage duquel le peuple grec s’est vu imposer des souffrances. Pourtant les ministres compétents Dragasakis et Stathakis ont accepté le changement administratif. Pour d’autres banques systémiques – comme Piraeus et Alpha – des changements ne sont même pas envisagés. La déclaration du porte-parole du gouvernement est d’ailleurs complètement inexplicable, selon laquelle «les administrateurs bancaires ayant connu le succès ne seront pas remplacés» et que des administrateurs «du parti» ne vont pas prendre leur place dans les banques.
Tout cela signifie que ce sera donc le «parti» enlisé des banquiers qui va continuer à surveiller les banques. La question cruciale est de savoir si SYRIZA restera plus en arrière des actions prises par Obama contre les banquiers ayant provoqué la crise aux Etats-Unis. Par exemple, est-il possible que SYRIZA continue à maintenir dans sa position décisive le président de la Banque de Grèce, le présomptueux et souriant en permanence face à la souffrance du peuple, M. Stournaras [nommé en juin 2014], selon les paroles de Gavriil Sakellaridis [secrétaire d’Etat auprès du Cabinet] lors d’une émission sur Skai TV le 2 février? Espérons que non… (Publié dans le quinzomadaire de DEA, le 4 février 2015 dont Petros Tsagaris est un des rédacteurs. Traduction A l’Encontre)
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[1] Il est membre d’une famille de politiciens grecs conservateurs dont la figure est l’ex-premier ministre (1990-1993) Konstantinos Misotakis; Kyriakos a été très lié aux milieux bancaires et entrepreneurial, puis fut ministre des Réformes sous Samaras et la rumeur de ses liens avec Siemens dans une importante affaire de corruption s’est faite insistante. Sa sœur est l’ex-maire d’Athènes, Nora Bakoyannis qui est une des prétendantes actuelle à la direction actuelle de la Nouvelle démocratie. [Rédaction A l’Encontre]
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